mercredi 9 mai 2018

9 mai


Mère et fille se promènent dans le grand parc ensoleillé, elles sont en pleine discussion éducative : Moi j’aime marcher mais seulement quand il fait beau, quand il n’y a pas de soleil je n’aime pas, explique la mère. Sa fille écoute au bout d’une main, cherchant à comprendre la vérité de ce qui vient d’être dit, et Binh-Dû manque de se prendre le pied dans une racine. Car il n’y a pas ici de vérité à trouver, juste un commandement restrictif, insidieux, malhonnête par finalité : tu ne seras pas heureuse quand tombera la pluie et ton corps n’a pas à souhaiter s’éprouver en-dehors du confort. Binh-Dû arrive au jardin d’enfants où la fabrique d’imbécilité bat son plein, il y a notamment un petit garçon geignard. Mais qui lui a appris à parler comme ça, quels crétins faisant guili-guili au-dessus d’un berceau en prenant des voix grotesques, du même ton qu’ils destinent à leurs animaux de compagnie ? Les gens font des enfants comme ils bouffent des aliments viciés, comme ils regardent la télévision, comme ils consomment (ou non) de la culture, comme ils se font des opinions, comme ils passent le temps, comme ils regardent ailleurs (comme ils ne voient rien). Comme ils ont été fabriqués eux-mêmes, comme ils ont peur de mourir, comme on leur a dit de faire.
Binh-dû est d’humeur massacrante, aucun innocent ne trouve grâce à ses yeux. Pas même lui, qui plaidait dernièrement pour l’abolition des non-dits alors qu’il faudrait au contraire réhabiliter le silence, l’apprentissage de la confiance en l’incertitude, les secrets indicibles – que tous se taisent, hormis les oiseaux ! Il se souvient d’une amie plus âgée que lui, déesse de son adolescence, qui proclamait sa détestation de la marche à pied, qu’il vente, pleuve, neige ou fasse soleil, heureusement on avait inventé les voitures. Elle le faisait rire, c’était complètement différent, elle ne tentait pas de le convaincre, elle avait un sublime port de tête et il entrait dans ses jeans. Le problème n’est pas dans le non-dit mais dans le malentendu. Ces enfants croient que l’amour leur est dû alors que le destin qu’on leur prépare est d’être rentables. Ils sont déjà des pourcentages dénaturés, sourds à ce qu’on ne leur dit pas. Cette amie savait pertinemment que Binh-Dû était amoureux d’elle, cela se voyait à la façon qu’il avait de ne pas le dire. Il écoutait les disques qu’elle écoutait mais il pensait à elle aussi quand il marchait là où elle ne l’aurait pour rien au monde accompagné. Le malentendu c’est confondre un non-dit avec un malentendu. Au bout du parc un merle chante.