mercredi 4 juillet 2018

4 juillet

Quand nous serons invulnérables comme papa. Grands et forts. Plus rien ne pourra nous menacer, de même que rien ne menace quand papa est là. Nous sommes en sécurité. Nous protégerons le monde, les nôtres dans le vaste monde. Nous serons infaillibles, nos muscles seront d’airain et notre parole d’or. En attendant nous sommes confiants, gare à toi mon frère si tu t’avises de t’opposer à la loi de papa. Car papa est aussi terrifiant. Il est capable de toucher le plafond du bout de ses doigts en se tenant sur la pointe des pieds. La seule façon de s’échapper consisterait à passer sur le balcon et à descendre en s’agrippant aux aspérités de la façade. La nuit quand il dort, car autrement : rien ne lui échappe. Il sait tout. Il ne mourra jamais.
À moins que ce jour où nous aurons grandi jusqu’à le rattraper, nous voulions remettre en cause sa vérité. Son front se sera couvert de rides horizontales, telles des ratures sur des phrases désavouées. Il se sera un peu voûté. Dans son regard on percevra des lumières inédites, plus inquiétantes que ses fureurs de jadis, ce seront les feux-follets de la peur. Finalement il aura vieilli. Ses muscles seront redevenus une glaise maladroitement pétrie. Il se retiendra à la poussette de ses petits-enfants, en effectuant trois tours du petit bassin, à pas lents. Une fillette tournera dans le même sens mais plus éloignée du centre, plus vite, en s’arrêtant souvent pour tendre la main et demander l’aumône. Les gens secoueront la tête. L’air de dire : « Non merci. »