mercredi 28 novembre 2018

28 novembre

La tragédie intime de chacun, dont nul autre que soi ne prend la mesure, est d’avoir souvenir de jours plus lestes, aux traits moins marqués, et intuition d’une dégradation en cours. Binh-Dû ne voit pas le problème des inconnus qui l’entourent, hors l’instant peu reluisant. Mais eux savent qu’ils sont inscrits dans le temps, ils ont leurs propres images pour cela. Ils ont aussi, pour la plupart, celles de leurs parents, dans la rame qui précède. Ça les angoisse, ça et autre chose. Binh-Dû a la chance d’avoir atteint le dernier âge connu de son père, au-delà c’est l’aventure.
Dans son enfance, le circuit de train électrique n’avait pas besoin de faire des huit ou d’emprunter des voies de délestage pour être passionnant, un simple ovale un peu allongé suffisait. S’il restait toute une journée dans le tramway périphérique, la course du soleil en serait-elle troublée ? Autant partir tout droit vers l’océan, imaginer de suspendre l’irruption de la vieillesse, de prendre le bateau, de toucher les Amériques, de continuer éternellement... La dernière surprise sera de n’avoir plus envie, alors, sur le rivage, contempler l’horizon.