lundi 3 décembre 2018

3 décembre


Sur les photographies aussi l’on danse. D’appartement. Binh-Dû avait mis une belle chemise, aux pieds des souliers brillants. Son amoureuse avait l’air de ses vingt ans, qu’on lui en aurait donné dix de plus tant l’intelligence, la douceur et l’exigence émanaient de sa peau. Lui-même rajeunissait en sa présence, mais à quel point ! D’une manière étourdissante, elle le faisait grandir. Peut-être même faisait-elle pousser ses cheveux (à lui) si longs sur les épaules. Elle le faisait sourire, ou plutôt elle faisait qu’il souriait, non plus comme on se raccroche à n’importe quelle branche surplombant la rivière, mais comme on s’émerveille d’avoir été malheureux puisque tel fut le chemin du bonheur. Quand elle l’avait quitté il avait battu son record de barbe. Un jour ils s’étaient retrouvés dans un pub irlandais, le lendemain il s’était rasé, comme avant, comme sur les photographies, quand elle préférait que cela ne pique pas. Binh-Dû devrait se raser plus souvent au lieu de se vieillir. Elle s’en fichait, sa dernière amoureuse, qu’il pique ou pas, et lui se trouvait plus beau comme ça. Ils n’ont pas de photos qui les commémorent. Ils ont cinq cents pages de correspondance électronique. Ils  étaient secrets. Le soir du bal, il ne pouvait pas danser à cause d’une tendinite achiléenne, mais dans la pénombre ils se sont embrassés, il s’en souviendra encore dans quinze ans. Il aura peut-être rasé sa tête, qu’on le prendra pour un moine. Elle sera revenue dans sa vie pour toujours à jamais (car là est sa place, là est leur place, au plus élevé de l’amour, que Binh-Dû, d’en bas, contemple).