samedi 9 février 2019

9 février


           On se rapproche d’un point de bascule. Jusqu’à n’avoir plus qu’un pas à faire, de l’autre côté, pénétrer en territoire inconnu avec la plus grande douceur possible. C’est ainsi que le monde s’illumine, Binh-Dû se souvient. Un seul de ces moments suffit pour faire une vie, et c’est bien le drame car on en voudrait plus. De ces moments, de vies ? Un seul de ces moments apporte dans le même temps le pessimisme de son inéluctabilité ; ou le regret anticipé de son renouvellement ; ou la tristesse d’un aboutissement. Le bonheur de pouvoir mourir désormais et l’urgence de vivre plus que jamais.
           Dans la salle de réunion, tous les fous sont passés par là. Y compris la psychothérapeute dont la bienveillance vacille à peine sous les insultes. Binh-Dû observe la scène derrière une vitre teintée et blindée – des fois que tout explose à l’intérieur. Un homme aigri assaille de mépris ceux qui l'écoutent. Quand il a fini on le remercie, on l’applaudit, et on se donne rendez-vous pour la semaine prochaine. L’homme s’attarde quelques secondes supplémentaires, son regard flou dirigé vers le grand miroir en face de lui. Puis il sourit, vidé de lui-même ; l’amour se trouvait en dehors de sa conscience.