lundi 6 août 2018

6 août

L’orage tonne et réveille. Il y eut une nuit plus jeune, semblable, quatre cent vingt-quatre heures auparavant, qui ajoutait un indice à l’amour. L’amour est en latence, Binh-Dû s’apprête à entrer en silence. Cela durera six jours et commencera demain, le matin suivant celui-ci où la terre exhale ses odeurs les plus heureusement fraîches après la pluie.
Au centre-ville un petit manoir de trois étages retentissait sûrement de rires et de cris d’enfants. Son parc est devenu jardin grillagé avec chevaux à bascule thermoformés, règlementation communale affichée à l’entrée, grillages protecteurs et toilettes publiques.
La départementale maintient tant bien que mal le soleil dans l’encadrement de la vitre côté conducteur. Même les ZAC semblent à l’abandon, comme une prémonition. Un vieil homme gonfle et dégonfle ses pneus, hésitant sur la pression.
Puis Binh-Dû arrive à destination. Les chênes grimpent les collines, les moutons accrochent leur laine aux poteaux de clôture, les cigales craquètent. L'eau serpente à contre-torsade du chemin en lacets, formant hélice.
Glisser ailleurs, jamais plus ici que maintenant. En suspension. Creuser ce qui se doit.
Émerger au même endroit. Juste un peu plus loin. Ici, là-bas.
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dimanche 5 août 2018

5 août


Un, des papillons multicolores volettent dans la futaie de pins noirs. Leur beauté est déconcertante et cependant risquée, certains portent les traces d’une survie arrachée. Mais l’aile entamée n’entame pas la parade. Il y a tant à sentir dans les trois dimensions de ce sous-bois, tant d’yeux à fixer. Tant de retournements, l’effroi surgit par quelque aspect, le dépit, la réprobation. Deux, jusqu’à râler de tant râler, alors c’est drôle. Vraiment ? Un libre penseur persécuté par les catholiques hésiterait à se téléporter dans cette modernité bétonnée, asphaltée, criarde, nonchalante et trépidante. L’œil cathare regarde ses descendants absorbés par un fétiche luminescent et portatif où des bonbons bidimensionnels défilent à l’infini. Les temps enchantés semblent forclos maintenant que le bonhomme a courbé l’échine devant les marchands de sucre. Trois, reste encore, quand les ombres s’allongent par les vallons et les champs ployés, la sensation du vent sur la peau nue. Y répondent les branches d’un chêne, en un frémissement ami. « Ne désespère pas », tel est l’insistant message.

samedi 4 août 2018

4 août

Un, le parfum tiède des bruyères naissantes et des genêts fanés, sur plaques de lauze, une vibration de l'air. Comment cela embaume et console d’un soleil trop ardent. Au matin la pente suffisait encore à offrir de l’ombre à la rosée, au soir ça tape sous la casquette mais la fontaine repérée à l’aller tend ses deux bras de fraîcheur.
Deux, sous le noisetier le monde se prête à la relation de ses dernières évolutions. Le monde mental et son balancier oscillant entre passé et futur immédiats. Entre les aigreurs et les peurs. Juste au milieu se rétablit l’amour. Toujours disponible, prêt à durer. Entre pardons et confiance, rien ne manque, la vue est belle.
Trois, un faon broutant sur le chemin. Puis relevant la tête, aux aguets. Puis s’enfuyant, en quelques bonds. Gracile, naturellement. Où dort-il quand les chiens névrosés aboient la nuit de ferme à ferme ? Quand les chats dégringolent sur le pare-brise des voitures ? Quand la mouche cherche une issue ? Dans nos rêves, peut-être.

vendredi 3 août 2018

3 août

L’horrible mauvaise conscience. Le monstre sentiment de culpabilité. Elle apparaît parfois dans le miroir, la tête qu’on fait. Dis-moi qui est le plus laid ? Facile ! Toujours le même ! La panique n’est pas loin, ou la sidération. « Qu’en penses-tu ? » suggère « Que proposes-tu ? » La question sonne douce aux oreilles si l’on s’autorise à y répondre, la question est autre : « Comment te sens-tu ? » Quoi qu’on fasse on ferait mal, quoi qu’on dise, autant se taire. Retour au temps zéro, interagir au minimum, prendre le moins de place possible, éviter de vouloir, ne pas ressentir. Binh-Dû souffrait alors en silence. Mais qui sait ce qui tue, et de quels abandons la vie se dépêtre ? Qui peut prétendre déclencher la foudre ? Au-dehors tape la canicule, et la crainte de manquer d’eau. Toute une frilosité focalisée sur le confort d’une douche nocturne. À rester climatisé immobile en attendant que ça passe. Encore un jour, dispensez-moi de vivre, je ne veux pas rejoindre les coureurs du dehors ! supplie l’insensé en s’accrochant au mobilier de l’asile. L’impératif redonde : quitter la plaine. Chercher de l’air loin au-dessus des fleuves.

jeudi 2 août 2018

2 août

Ce à quoi Binh-Dû aspire fait peur à celui avec qui Binh-Dû se confond. C’est une affaire interne, de lui à lui. Une extension de l’illusion autosuffisante. Il redoute cet engagement-là, cette responsabilité – d’être celui qui est aimé. Celui qui aime avec espoir de retour. Il sait qu’il ne devrait pas s’en faire, nous vivons nos vies de personnages de fiction, professe-t-il à l’envi. Les sentiers montent vers le plateau, puis ramènent au village en même temps que s’étend le crépuscule. À l’ouest les nuages rosissent, et les sables du Sahara traversent les océans. Chaque inspiration contient l’élan d’un baiser.

Hier à la même heure la masseuse se tient debout face au corps en caleçons, ferme un œil, se recule d’un pas, dit « En effet », puis s’approche afin d’en replacer les volumes. Demain elle prend des notes, ranime le souvenir d’un lointain accident de vélo contre un chariot de la criée. Sur la hanche, un petit bout de chair en moins, les thons restaient figés, l’œil glacé, la bouche ouverte. Au minimum on s’assiérait sur les rochers, attentif aux éclaboussures. Au maximum on rejoindrait le flot dans une frayée oblique. Celui avec qui Binh-Dû se confond n’est pas convaincu d’avoir peur. Il respire avec son abdomen.