vendredi 7 septembre 2018

7 septembre


Un scutigère véloce tente d’échapper au ramequin qui le surplombe, attention, si tu cours trop vite tu risques de te faire trancher en deux. La bêtise est l’observance inconsciente du simulacre. Une fois avalés par la bouche du métro, faut-il souhaiter ne pas se faire pincer très fort, vraiment ? Cela pourrait peut-être nous réveiller. Au lieu de cela, nous sommes véhiculés à notre âme défendant, notre corps souffrant, et notre esprit aussi qui ne comprend pas grand-chose à ce qui lui entre par une oreille et en ressort par l’autre. Simulacres la publicité, l’impulsion de consommation, l’emploi du temps, mieux vaudrait encore sucer des lépismes et piquer des araignées. Ou qu’on nous jette du haut d’un étage dans un bac à fleurs. Simulacres le sens de la vie, les arrangements de couple. Car après le métro, ce qui reste ne peut plus être qu’une compensation hallucinée de ce que nous avons souffert sans trop le savoir. Nous sommes des régiments de cadres qui ne peuvent plus voir au-delà de leurs limites. Nous sommes une procession de menteurs plus innocents que ne le sont leurs actes. Nos jambes nous attendent ailleurs.

jeudi 6 septembre 2018

6 septembre


Une mésange se pose sur les brins d’encens disposés comme des fleurs dans le pot de terre. Elle picore sans conviction, se rabat sur le fil du linge. Binh-Dû tolérerait qu’elle lâche une petite fiente, tant sa présence lui réjouit l’âme. Dans les rues avoisinantes les arbres sont alignés au cordeau, fraîchement élagués. Rien qui dépasse, de même on brûle les cornes des chèvres. L’arbre dans la ville est une tolérance, sous condition de bien se tenir, de n’être que ce qu’on voudrait qu’il soit. Et les enfants aussi on les mutile, « Va donner le pain aux pigeons ! » ordonne un père à sa fille. On les ordonne de la maison à l’école, en passant par le parc paysager où patrouillent les gardes sur leurs scooters électriques, attentifs à ce que personne ne déborde du gazon. Du théâtre de marionnettes s’échappent des cris de dénonciation. Ce qui importe, c’est d’être du bon côté du bâton, martèlent les collabos. De retour chez lui, Binh-Dû observe un moment le ciel menaçant, son linge est quasiment sec.

mercredi 5 septembre 2018

5 septembre


Dans le magasin coloré d’une rue blasée, deux jeunes femmes se prennent dans les bras l’une de l’autre. De l’autre on ne perçoit que la chevelure brune, l’une est plus identifiable : son visage se superpose au reflet du passant dans la vitrine. Quelques minutes plus tôt, le même homme récupérait, par-dessus un pupitre de marbre, le manuscrit d’un roman refusé. La jeune femme dont la chevelure n’est pas brune ressemble à l’homme dont le reflet se superpose à son visage, dans la mesure où elle éprouve elle aussi de grandes difficultés à composer avec son contexte. Souvent elle lui montre la voie d’une échappée qui tarde à s’imposer. Un peu plus loin, une femme enceinte traverse en biais, une expression satisfaite éclaire son visage. Comme si elle s’était trouvé un mari qui la dispense désormais de rencontrer d’autres hommes. Elle continue à voir ses amies, dont la plupart vivent également en couple. Dans le magasin, l’instant d’une étreinte a suspendu tout impératif de vente. La jeune femme de face vient de terminer un roman, refusé du vivant de son auteur, qui traite de la joie comme d’un art, l’homme qui passe le lui avait recommandé avant l’été. La joie est une force nucléique, à s’en brûler les vaisseaux. Binh-Dû ne craint pas les zébrures colorées.


[merci à Goliarda Sapienza]

mardi 4 septembre 2018

4 septembre


L’expérience abêtit. N’en déplaise à Binh-Dû, ou alors c’est que nous ne parlons pas de la même chose. Certes non, de quelle expérience parles-tu ? demande-t-il. Ce qui est une drôle de façon d’orienter la conversation, car enfin, si « certes non », comment désirer répondre à l’interrogation suivante, comment ne pas déceler une non moins certaine condescendance ? Mon goût de l’expérience n’exclut pas la condescendance, admet Binh-Dû, magnanime. C’est entendu, bien que sa prédilection aille plutôt à ce qui infuse dans le corps.
Mais tout de même, l’expérience abêtit, elle fait du futur table rase. C’est parce que tu crois encore au futur, rétorque Binh-Dû. La plupart des vieilles personnes n’ont plus guère d’intérêt à découvrir quoi que ce soit qui les concerne pourtant ou qui concerne le monde. Tu crois à la vieillesse et tu crois à la mort, déduit Binh-Dû, tes expériences en sont inévitablement faussées. Les histoires de voisins en effet ne mènent pas bien loin. L’espérance d’une vie humaine correspond peu ou prou à la durée de vie d’un cerisier. Force reste au noyau.

lundi 3 septembre 2018

3 septembre


L’empathie se précipite. Hâte de réactiver la hantise d’être quitté. Mais rien ne presse ! Chaque chose en son temps, comme disait le père de Binh-Dû en une sorte de soupçon prémonitoire du jour où il disparaîtrait aux yeux de ceux qui l’avaient connu, tel un magicien flamboyant joignant la parole à l’éther. Disait-il dans une tout autre perspective, alors que l’avenir semblait aller de soi. L’empathie déjà minait le bon sens. Ce n’est pas de toi qu’il s’agit ! faudrait-il se rappeler à intervalles réguliers, ainsi que chante un oiseau au printemps.
On ne songe pas à te quitter. Peut-être est-ce alors un sentiment voisin, il serait trop tôt ? Trop tard, ce n’est pas vraiment un problème pour Binh-Dû, juste une sédimentation. Le regret est atone, dépourvu d’anxiété, tandis que l’impréparation crisse dans les virages. Vite, vite, mais le pli est pris, l’anneau de Moebius s’étrangle en son centre et il apparaît alors que tenter de se ménager revient surtout à exprimer un épouvantable scepticisme envers la puissance du présent. Comme si Binh-Dû avait vécu une fois pour toutes et à jamais.

dimanche 2 septembre 2018

2 septembre


Jusqu’en quels lieux retirés se réfugier ? Quand tout ce sur quoi l’attention est attirée équivaut à une insulte, quand les coups sont portés sans relâche, pareils au martèlement d’une musique machinale ou d’une machinerie musicale, quand les organes crient silencieusement « Emmène-moi ailleurs ! Prends soin de moi sinon je meurs ! » Quand l’âme au diapason soupire « J’aurais tout donné pour toi. J’étais ton enfant chérie, ta mère et ton père. » Dans le cube opacifié les impulsions sensorielles entament le squelette, la poussière s’ajoute à la poussière.
Mais il faut bien vivre, rétorquera-t-on à Binh-Dû. Vivre, c’est-à-dire écouter les sons et les vibrations de cette musique nous pénétrer le corps, crier qu’on est content de lever en cadence les bras en l’air et de sautiller d’une jambe sur l’autre, ingurgiter des breuvages corrosifs qui sapent de notre existence la continuité, manger du sang coagulé, de la chair pharmaceutique et du pétrole aromatisé, baiser à pierre fendre, dormir comme on meurt et vomir au réveil, renfiler le costume pour cinq jours. Binh-Dû se souvient comme il enviait ceci, du temps de son immortalité.

samedi 1 septembre 2018

1er septembre


Ces histoires de supermarché... Déjà le préfixe qui pue l’arnaque... L’illusion, la misérable excitation, le dévoiement des enchantements... La réduction de l’homo economicus... Les appétits voués à l’écœurement...
Binh-Dû est à deux doigts (dans la gorge) de formuler un nouveau serment du pâté [cf 14 août]. Une résolution qui l’éloignerait de ces lieux de perdition, en substance cela dirait : « Des fruits et légumes sains dans un environnement sain ».
Car il sent qu’il s’abîme à force de déchirer dans les bacs les emballages de citrons, de tomates et de pommes biologiques, et de s’esquiver en catimini, et d’être repéré par un employé qui lui dit « Ce n’est pas bien, ce que vous faites ».
Car il ne veut pas devenir ce monsieur perturbé réclamant au caissier les quinze centimes de différence entre le prix en rayon et celui qui s’affiche. Prétendant être sagace et rire de ses propres grimaces. Oh non, ce ne serait pas super.