dimanche 7 octobre 2018

7 octobre


L’amour, qu’il se dépêche. Ou qu’il se déporte, tout ne se résume-t-il pas au choix d’une ville, d’une bibliothèque, d’un livre ? Au rythme de lecture, si l’on a bien dormi, à la disposition...
Binh-Dû est moins prêt que jamais à n’importe quoi, à moins que ce ne soit le contraire : il serait prêt à tout, pourvu que ce soit bien présenté ; selon des critères indécis.
Plutôt que de se conforter soi-même. L’histoire décrit une inconnue passionnément aimable, ici l’on croque en solo du chocolat, adossé à l’oreiller.
L’auteur n’a pas renoncé aux péripéties, aux tourments, à la force d’âme. Une fois refermé le livre, reste un goût amer et un sentiment d’inutilité.
Une sensation physique aussi, qui prend aux tripes, tant le retournement de saison augure d’une chute dans le froid, jusqu’où ? Vraiment, on y va ?
C’est en demeurant qu’on attire les bombes, aussi Binh-Dû remplit-il son sac, remonte-t-il ses chaussettes et s’élance-t-il vers l'ouest.

samedi 6 octobre 2018

6 octobre


L’usage de ses poumons est encore pour Binh-Dû un gage de son individualité. Bien qu’il maîtrise mal l’environnement où ils se gonflent, en deuxième lieu cette atmosphère plus ou moins respirable qui nimbe la surface terrestre. En premier lieu cet assemblage corporel dont la fonctionnalité lui semble se dégrader à la mesure des temps. L’âge n’aide pas, ni la froide humidité. Pour autant Binh-Dû n’a pas abdiqué devant la technologie, son rythme intime garde ses distances avec tout ce qui pourrait sonner comme des bips. Même le chant des baleines il n’y croit plus, et ce qu’il voit de ses yeux voit n’est jamais que surface émergée. À la fin, la plupart des gens trouvent un certain réconfort à gratter le tissu des draps du lit dont ils ne se relèveront pas. Tout ramener à une quête de réconfort. Binh-Dû voudrait-il cesser de respirer à en mourir, il n’y parviendrait pas, le souvenir de l’air serait trop pressant. Quoi d’autre le retient avec une telle persistance – l’espérance bien sûr, pareillement tenace, chaque acte visant avant tout à rassurer l’homme de peu de foi. Nous sommes tous identiques dans notre prétention au contrôle, nonobstant l’amour demeure une belle aventure.

vendredi 5 octobre 2018

5 octobre


Mais cesserez-vous bien de tousser !  Les rires, les applaudissements, les bâillements, passe encore. Mais cette contagion-là, comme si l’humilité était une faute de goût, comme si le théâtre n’était qu’un espace d’ostentation personnelle, comme si la scène n’était que prétexte à la salle... Vous ne voudriez pas quitter les lieux et vous en aller mourir, plutôt ?
On demande à Binh-Dû s’il s’aime et il entreprend de répondre sérieusement, non mais oui quand même, ça dépend. (« On » n’est pas n’importe qui.) Plus Binh-Dû s’énerve contre ses contemporains de race humaine, moins il est enclin à se pardonner d’être des leurs. Identité qui n’est pas si évidente d’ailleurs, tant il revêt souvent la peau de l’ours.
Qu’on leur donne de bonnes raisons de tousser, et à moi des coups de bâton, ronchonnerait-il encore. Binh-Dû ces jours-là cesse d’être Binh-Dû mais il se souvient de son nom, c’est sa voie de salvation. Il dormira plus longtemps, il remontera plus loin dans les étoiles, il se secouera les grelots et reviendra calmé, ses pouces formant cercle à chaque main.

jeudi 4 octobre 2018

4 octobre


Toute pièce dépourvue de fenêtre se propose en salle de torture. Grande ou petite, obscure, éclairée au néon, quand bien même dispenserait-elle une douce pénombre avec écharpes fines posées sur abat-jours, coussins moelleux, fragrances ambrées, un chat angora ? Une odalisque à la peau d’albâtre ? La musique pourrait caresser l’âme... Torture.
Les spectateurs s’installent dans leur fauteuil, félicitation implicite et mutuelle. La scène est d’un noir profond, plastique, une bâche recouvre le sol, sur les côtés des plantes vertes, des chaises pliantes, des chaussures. Bonne compagnie, rires aux quatre coins raisonnables, silence en face où la folie menace, mots qui fusent en parade désordonnée.
Ça commence. C’est fini. Sur le trottoir un parasol chauffant déborde de la terrasse du café, Binh-Dû frissonne tandis que se faufile un cycliste casqué. L’amie avec qui il se trouve lui raconte tout ce qu’il a manqué, les tableaux émotionnels, le plaisir organique, les déploiements contemplatifs. Elle a raison, c’était sûrement beau. Il rouvre à nouveau ses yeux vers l’extérieur.

mercredi 3 octobre 2018

3 octobre


Si le premier mot désigne celui qui parle, ce n’est pas seulement faute de goût, manque de délicatesse, passion de soi-même... C’est aussi un contresens. Binh-Dû est bien placé pour raisonner ainsi, lui qui se décrirait comme flottant dans des vêtements trop amples qui ne lui appartiennent pas. Mais à l’aise, il se pose un peu là.
Si le deuxième mot désigne une action, alors Binh-Dû commence à rire dans sa barbe. (Sa barbe ne lui appartient pas non plus mais il en est très satisfait, ne serait-ce que pour tirer sur son menton.) Il apprécie qu’on lui raconte des histoires peuplées de personnages allant d’un point à un autre tout en tournant sur eux-mêmes, à l’instar des planètes.
Le troisième mot est dépourvu d’humour intrinsèque – sauf si le deuxième mot désigne un état. C’est le point de bifurcation pour Binh-Dû, soit il retourne à son sourire de base, soit il rigole franchement. Sa bonne nature est parfois agaçante, ses interlocuteurs ont l’impression de parler dans le vide. Ils insistent un peu, puis, de guerre lasse, s’en vont chercher ailleurs.

mardi 2 octobre 2018

2 octobre

Ne sortez pas de chez vous à midi si c’est pour revenir avec une baguette de pain dans un sachet transparent. Surtout si vous portez des lunettes et si vous êtes vêtus d’un blouson étriqué. À la fin du repas vous vous sentirez ballonné, vous aurez envie de vous allonger un moment, Binh-Dû sera profondément peiné.
Tout en dormant il retire avec deux incisives une tige organique enfoncée dans son doigt. À mi-parcours cela résiste, il doit insister, la plaie s’écarte davantage. Enfin elle peut se refermer, il s’en trouve soulagé comme après un accouchement. Au milieu du corps étranger la poche de venin ne s’est pas rompue.
La pluie n’était pas non plus attendue et pourtant elle fouette les épidermes. Tout devient plus petit depuis un tricycle Oui-Oui – quand je serai grand j’aurai la voiture avec le klaxon qui fait pouêt. C’est le destin des mondes que de flotter, mieux vaut s’y habituer très tôt, vous aurez l’œil plus vif et vous pleurerez moins.

lundi 1 octobre 2018

1er octobre


On reniflera nos culs dans la cage. On ne prêtera pas attention aux fusées qui éclatent dans le ciel avant la nuit, on déclinera l’offre de l’ours en peluche. On se jettera sur le bitume et on se relèvera avec sur nos pantalons la marque du crachin. Les gens autour imagineront des tatouages bleus sur nos cuisses et nos jambes et se demanderont jusqu’à quand la Terre nous portera. Ils renoueront leurs lacets en prévision d’une course échevelée. Une cohorte de bras prendra son envol en direction des océans. La peau frissonnera d’amour plutôt que de froid. Les mots seront balbutiés de sorte qu'on ne dise jamais une seule chose à la fois mais bien deux ou trois, pour le moins. Oui, sous la pluie nous pousserons des cris d’animaux et les humains raisonneurs se retrouveront du mauvais côté des barreaux. On se racontera des mensonges immémoriaux qui nous feront plaisir. On évitera les bacs à sable que les enfants eux-mêmes dédaignent. On se déplacera en glissant sous la lune, affranchis de toute mauvaise conscience. Le temps cliquettera sa bonne heure. Il se fera tard. On aura appris de nos erreurs. Au bout du décompte on exultera.