mercredi 31 octobre 2018

31 octobre

            Les morts sont à la fête, ils font même sourire la famille syrienne serrée sous une couverture près de la grille d’aération du métro. Quant aux petits enfants noirs, ils rient de se voir si verts dans le reflet d’épouvante des vitrines. Binh-Dû sent la froideur lui empoigner les os, il a bipé trois fois sous le portique avant qu’on le laisse sortir du grand magasin.
            Certes il avait volé quelque chose, mais c’était pour gagner du temps. Et de toute façon, il rapportera ni vu ni connu cette chose, intacte après usage, ne pourrait-on pas lui faire confiance une fois pour toutes ? Il est une personne fiable, en avance sur son rendez-vous. Il se promène au hasard en attendant, il se retrouve face à l’amie, entre eux le hasard est toujours le meilleur GPS.
            À la couette il superpose les couvertures. Trop frigorifié pour retourner le matelas en face hiver. Il faut croire que cela ne changerait rien. La maison est ouverte mais le jardin est différent. Il reconnaît à peine les pièces de l’étage, mais où est la mer ? Était-ce à la campagne ? Un feu s’éteint doucement dans son cercle de pierres. C’était le bonheur.

mardi 30 octobre 2018

30 octobre

            La nuit est un voyage commencé tard, poursuivi dans l’illusion d’une paire de volets fermés. Et Binh-Dû s’étonne encore qu’il ne soit pas midi passé, plissant les yeux face à l’aveuglement du soleil. La buée a séché sur les vitres. Dehors, l’âcreté de l’air incite à manger du poulet, chair rissolée dans l’huile d’olive.
            Au passage à niveau, il contemplait une bouteille en plastique vide, méditant d’y graver un message. Le crissement du stylo sur le PET, il se le représentait clairement, mais ce qu’il aurait à dire ? Peut-être eût-ce été en rapport avec la fille aux cheveux roux qui riait aux éclats en renversant la tête en  arrière – du fait de sa relative petite taille.
            Ou avec son père qui n’est plus qu’un point sur l’horizon – impossible de déterminer s’il s’éloigne ou se rapproche. La mer est d’un turquoise lagonaire, et sa paix est à l’unisson, pas même un poisson pour en troubler la surface. Paupières closes au seuil zénithal, yeux rouverts, ce jour s’absorbera donc en bleu pisseux.

lundi 29 octobre 2018

29 octobre

            Répartir mieux qu’en assentiment las. Avant le détraquage final. À chaque accointance sa catégorie, mais pour en tirer quelle conclusion ? Un nuancier d’auras ? La ville pousse au crime, rien de plus tentant que de céder et en même temps tous résistent, même les plus déshérités, les titubants, les sarcastiques, ils entretiennent le maillage qui les asphyxie. 
            S’il était moins craintif, Binh-Dû n’aurait pas été abordé par ces deux hommes armés de téléphones portables qui, en mode vidéo, lui demandèrent s’il kiffait Paris. Ou il aurait répondu différemment, aurait joué le jeu, aurait ri avec eux. Plus loin un immigré en gros pull cassait sa bière en s’effondrant dessus, de tout son poids.
            Il est bien trop poli. Il a déjà oublié son rêve de la veille, où se déroulait sûrement une scène effroyable, toute en cris et violence. Mais personne ne lui tient rigueur de sa réserve. Sauf peut-être celle qui l’aimait et qui en vient aujourd’hui à douter de sa propre capacité à aimer. Il voudrait la rassurer. Il aggrave son cas. Il prémédite les prochaines prudences.

dimanche 28 octobre 2018

28 octobre

            La souplesse mariée à la puissance, s’y croire, météore dans la ville asphalte. Les yeux plissés face aux reflets multicolores, ne voir que la vitesse. Glisser comme le font les mutants de la nouvelle génération, mais ce sont leurs doigts qui, plus que tout autre partie du corps, sont agiles. Binh-Dû a encore des jambes, et ses tennis à semelle noire rebondissent sur le macadam.
            C’est que le temps manque à force d’accentuer la relativité, une année nouvelle représente la totalité d’une vie de bébé mais un pour cent seulement de celle d’un centenaire. Ne pourrait-on plutôt concevoir la liberté de se situer où bon nous semble dans l’intervalle ? (Afin de moins se sentir vieillir, Binh-Dû tente de n’être plus qu’un seul chiffre, celui des unités.)
            Il sera bien temps de dormir une heure de plus lors du prochain passage à l’heure d’hiver. C’est une journée qui marque davantage que la nouvelle saison, les élévateurs disposent les éclairages de Noël au-dessus des vitrines. Ou comment se hâter de mourir, impatients que nous sommes. Binh-Dû entend bien quant à lui désinscrire ses rides de fatigue.

samedi 27 octobre 2018

27 octobre

         Le petit réfrigérateur vrombissait comme un chat psychopathe. Écho blafard à la toux de Binh-Dû, lit trop grand, parquet en linoléum imitation bois, rideaux de déprime dentelée, au-dehors dressée la cathédrale. Il posa ses pieds nus dans le chœur, ouvrit l’armoire à hosties, s’attendant à ce que cliquette une rangée de mignonnettes, mais rien. Seul le moteur plus proche à l’oreille et une veilleuse ouvrant aussitôt l’œil ainsi qu’un employé servile, Vous désirez, Monsieur ? Tourner la molette sur le zéro et retourner me coucher en silence. 
         Puis ce fut le jour, où se déroula ce qui se raconterait s’il fallait souligner l’essentiel, le plus beau, le mémorable, ce dont on se souviendra aux heures de nostalgie, puis revint la nuit. 
         Les passagers se rajustent discrètement dans leur reflet plaqué sur l’obscurité des campagnes. Ils ruminent alors que le train file. Ils se replongent dans les reflets plus changeants (leur a-t-on fait croire) de leurs écrans, oreillette vissée dans le cerveau. On y voit par exemple des chiens et des chats – ce n’est donc pas une légende ? Ou des adultes mal grandis, à lèvres de canard, qui se sont filmés en train de hurler. Son vis-à-vis est un gros homme qui renifle et tapote, telle une baleine ravalant son souffle ; Binh-Dû va se réfugier dans le réduit change-bébé.

vendredi 26 octobre 2018

26 octobre

Il s’est levé trop tôt et du mauvais pied, et maintenant il appuie sur la pédale droite, la pédale gauche, et il lui semble se rapprocher du vieux bonhomme en anorak usé qui, dans une paire ou deux de décennies, bravera vaillamment les frimas et l’extension fatidique de ses propres douleurs – si les dieux jusque là lui prêtent vie – en une trajectoire asymptotique car oui, ses jambes de vingt ans étaient plus vigoureuses ; et Binh-Dû a bien d’autres sujets de récrimination tandis qu’il traverse Paris, à commencer par ces publicités ubiquistes dont la médiocrité veule ou agressive lui endommage l’âme, à continuer par les conducteurs de SUV qui ne lui témoignent pas toute l’attention qui lui est due, c’est tout juste s’ils le voient quand ils déboîtent, et la liste serait longue encore mais un moucheron le percute soudain et s’abîme sous sa paupière... Que dire, que faire ? Penser positivement, prêche la dame assise derrière lui dans le TGV, « l’argent, la santé, tout va s’arranger dans la vie ». Cette même dame qui rit d’avoir été sifflée dans la rue, jadis ? En attendant le grand arrangement, la lune du soir, tard, est gibbeuse.

jeudi 25 octobre 2018

25 octobre

Les poneys ont chacun un petit panier attaché sous le mors, dans lequel ils trouvent à mâcher tout en transportant des enfants anesthésiés. Les parents des enfants marchent à côté dans une cotonneuse inutilité, certains textotent pour moins sentir l’odeur d’urine.
Binh-Dû n’est plus très au fait des transports en vigueur, déjà que son vélo roule de moins en moins vite au fil des années. Un chauve longiligne au manteau cintré, raide comme, dit-on, la justice, le dépasse sur sa trottinette électrique. Ce qui ne perturbe en rien les plantons du Sénat.
Et les hélicoptères continuent à tourner, à se demander comment un chanteur lanceur de S.O.S. a pu s’écraser dans le désert. L’amoureuse de Binh-Dû qui souhaite cesser de l’être lui demande, si possible, de ne plus lui écrire. L’absence est toujours possible.
À l’emplacement de la future tour où des esclaves à haut niveau de revenus auront le sentiment de dominer le fleuve – unidirectionnel – et la populace – sans badge –, des ouvriers immigrés finissent de visser un portique de sécurité. Tel un gibet sur la dalle nue.