mardi 25 décembre 2018

25 décembre


Binh-Dû est parfois moins que Binh-Dû tout en ne l’étant pas moins, se fait-il bien comprendre ? Noël en redoux, ça fait des économies de chauffage. Une femme à contre-jour laisse entrevoir un sein, le désir en puissance est délicieusement indécent. Elle lui raconte qu'un matin, dans un petit village de montagne, des enfants jouaient à dévaler une pente et à l’escalader, elle était assise de l’autre côté de la rivière et elle avait cru mourir tant le battement régulier de son cœur avait pris de l’intensité, à la limite du supportable, est-ce qu’il voit ce qu’elle veut dire ?
Binh-Du voit très bien, lui-même se souvient d’un moment semblable. C’était ailleurs, il n’y avait pas de colline ni d’enfants, il n’y avait pas de rivière non plus, et peut-on parler d’un village ? Mais tout de même, il était assis. D’ailleurs il y avait bien une sorte de rivière puisqu’il se trouvait sur l’autre bord de là où cela se passait. Et à y réfléchir, ces hommes avaient gardé une part d’enfance, et lui-même les surplombait, et à partir de quelle impression un village devient-il une ville ? Il s’explique mal, elle sourit patiemment, il voit et ne voit plus que son sein nu.

lundi 24 décembre 2018

24 décembre


Un jour de colère dérisoire comme les autres. Au lavomatic, Binh-Dû prend le parti de deux jeunes Noirs qui n’osaient pas vider une machine faite, alors que le propriétaire du linge, blanc certainement, buvait un café, une bière, un calva au café du coin sans se soucier d’emmerder le monde. S’il avait pointé sa fraise, celui-là, et s’était avisé de protester, Binh-Dû lui aurait dit ses quatre vérités. Une demi-heure plus tard, revenant du café où il était allé s’en jeter un petit, Binh-Dû en mode clignotant peste contre les deux Noirs qui attendent la fin du cycle dans une caisse diesel au moteur allumé. S’il était flic il leur flanquerait un contrôle antipollution au cul, ça leur apprendrait à vouloir se réchauffer. Et s’il tenait ces jean-foutre de la météo, il leur ferait passer un mauvais quart d’heure pour continuer à prétendre qu’il n’y a « pas de précipitations », la bruine qui va empêcher son linge de sécher sur le balcon, elle ne mouille pas, peut-être ? Les gens sont des cons de toute façon, même les amis de Binh-Dû qui ne répondent pas à ses mails, qui laissent traîner, qui font semblant de ne pas voir qu’il y a une question, ou du moins une demande, farcissez-vous donc vos dindes aux marrons et laissez-moi crever, merci. Reste encore à Binh-Dû à écrire une lettre ravageuse, car s’il y a une chose qu’il ne supporte pas c’est l’hypocrisie, le mensonge, la malveillance, l’abus de pouvoir, ça fait quatre choses et il y en aurait sûrement une cinquième et une sixième et... Et il s’agit d’être concis et pondéré. Il a trop mal, tout le temps, pas moyen de se caler le dos avec des coussins, et nul alcool n’est assez fort pour assommer la douleur. Dans la rue un type tape avec son parapluie sur le mobilier urbain, de temps en temps il pousse un cri, ou un éclat de rire. Il n’en finira pas avant d’avoir cassé le parapluie. Non mais quel taré ! Joyeux Noël.

dimanche 23 décembre 2018

23 décembre


À côté de la caisse enregistreuse, dans un petit panier d’osier tapissé d’un mouchoir à carreaux, une vingtaine de sachets semblent à la disposition des clients. Pas de prix affiché, Binh-Dû était entré pour acheter un croissant, mais curieux il se rapproche, lit ce qui est inscrit sur l’emballage. Dans un angle du plafond, la caméra de surveillance ne bronche pas. Il hésite, repose le sachet, regarde autour de lui : personne. Il tend la main à nouveau, enfin se décide, c’est non. Bien que la chose soit ingénieuse, « Billes synthétiques à écraser en cas d’agression terroriste, comprimer le sachet sous le nez. Effet neutralisant immédiat. Ne nuit pas à l’environnement. » De retour dans la rue, Binh-Dû est soulagé d’avoir fait le bon choix, c’est la vieille histoire du marteau dont la seule présence remplit l’univers de clous. Il ne veut pas vivre un marteau à la main. Les ruelles sont pavées de touristes, il y a un raccourci par là, suffit d’enjamber le ru. Puis de se dépêtrer des ronces. Il retire ses lunettes de soleil, ce ne sont pas des ronces mais des barbelés, heureusement il maîtrise la technique. Cela prend un peu de temps, toutefois il n’a pas besoin d’un sécateur ni d’une pince coupante. Il n’a pas besoin d’une voiture dotée d’un klaxon. Il n’a pas besoin d’un smartphone. Il n’a pas besoin d’une amoureuse ni d’un guide pour admirer les pierres de taille et les façades inclinées qui réduisent le ciel à une perspective sublime et renversante.

samedi 22 décembre 2018

22 décembre


Car Binh-Dû est en avance sur l’avenir, souvent cela le damne au sol. Il se trouve aussi au ras du passé, ce qui pourrait expliquer l’insistance hébétée de certains de ses comportements – et des explications, on lui en demanderait si l’on n’anticipait pas de sa part une dérobade. Vu de l’extérieur, il semble flotter dans une sorte de capsule autonome affranchie des raisons du passé, du futur et de la pesanteur. Au jeu des métaphores oxymoriques il serait noyau de résistance résignée ou nuage d’espérance inconsidérée.
Le réel est plus pressant, surtout à l’approche des fêtes dans les grands magasins. Cassandre ne souffrait sans doute pas tant de n’être pas crue que d’être seule à savoir – la nuance est d’importance. D’ailleurs, tenait-elle vraiment à convaincre ? Binh-Dû est invité à creuser le sable devant lui, la croûte superficielle a séché, ce n’est pas aussi facile que cela en a l’air ; il brise une mince plaque de bitume, vestige archéologique récent ; enfin il déterre un coffre. Rempli de livres et de fruits momifiés.

vendredi 21 décembre 2018

21 décembre


Le jour est à la nuit, Binh-Dû pourtant est bien en peine de la fêter. Ou se trompe-t-il du tout au tout, et ses douleurs seraient sexy, du moins pour lui, en une sorte d’autoérotisme engorgé de loyautés toxiques ? La bruine adoucit l’air, les lumières sont accueillantes au palais des illusions sereines. Un homme au grand chapeau laisse filtrer son intelligence, il finit par s’engouffrer dans la bouche du métro ; tandis que les bavards piétinent comme une parodie de tentative où il ne serait pas exclu de s’embrasser sauf que cela n’aurait aucun sens.
Binh-Dû dit n’importe quoi, il craint tellement de passer pour quelqu’un d’autre (un type antipathique, un idiot, un égoïste) qu’il sourit, mais alors il n’est plus personne. N’en a-t-il pas toujours été ainsi, depuis le premier embarras de sa naissance lorsqu’il se vit pleurer sur le sein de sa mère ? Dans les limbes au contraire, nul empêchement. Il peut affirmer que les crispations crapoteuses, il n’en veut plus, et chercher un meilleur moment : peut-être après le solstice, délassé par le souffle des résolutions.

jeudi 20 décembre 2018

20 décembre


À force de taper sur la maison en rénovation, ils vont finir par l’effondrer. Le jardin déjà n’est plus que tas de gravats qu’on aperçoit par la fenêtre imparfaitement bâchée de la façade ou par la trouée dans le mur du fond, et que reste-t-il du toit ? Binh-Dû se préoccupe de l’avenir immédiat, il profite autant que possible d’un lit qui n’est pas le sien, où il a intérêt à se montrer aimable. Une fournée de pâtisseries a été déposée sur la table basse, à portée de main, combien de parts de tartelettes aux framboises pourra-t-il escamoter ?
En toute discrétion, ensuite il s’en ira, rassurant. Il veillera à ne pas rééditer l’erreur commise la fois d’avant, quand il s’était envolé par-dessus les voies du métro pour rejoindre plus vite le quai opposé. C’était manquer d’humilité, on l’avait repéré, il avait dû rester sur ses gardes durant tout le voyage de crainte qu’on ne le trucide pour s’approprier son don. Quant à savoir où se rendre... Rien ne presse, puisque le temps n’existe plus. Binh-Dû emporte ses douleurs avec lui, irrésolues. Tant qu’il avance, ça ira. Tant qu’il n’accélère pas.