vendredi 25 janvier 2019

25 janvier


Si déjà Binh-Dû n’existe pas, l’âme de Binh-Dû est son être libre. Elle va de-ci de-là, se pose, repart, oh regarde l’oiseau ! Mais non, c’est une tortue... Sur l’âme, le temps n’a pas de prise. Elle n’a la nostalgie ni de ce qui fut ni de ce qui ne sera pas. Elle observe des photographies de famille comme elle survolerait des champs cultivés de couleurs différentes (ou des fonds marins). Tous ces gens sont en passe de disparaître des mémoires, même leurs regrets prêtent à sourire. L’avenir s’accomplit par l’égalisation.
          Que dire, sinon, à cette femme qu’on aimerait longtemps ? Vis ta vie ? Non. La veille de son mariage, alors que, désespérée, elle lancerait des regards rassurants tous azimuts, l’ami de toujours la prendrait entre quatre-z-yeux et lui dirait désagréablement Jusqu’à présent je t’admirais, je crains désormais de te plaindre. Il lui dirait Il n’y pas lieu d’être reconnaissante pour le désir qu’on te témoigne. Puis Tu ne dois pas abdiquer tes rêves. Enfin : Ose mériter mieux. L’âme de cette femme applaudirait des deux ailes.
           Binh-Dû passe d’une photographie à une autre. Sur certaines il croit reconnaître des non-dits qui le touchent comme un impossible frôlement. Sur d’autres, il se sent porté au pardon. L’album n’est pas le sien ni celui de ses parents, aucun album, nulle collection d’images n’appartient à quiconque. À la fin, même le mot « pince » devra être exhumé du tas de linge sale ; il produira un son rouillé. Le legs, comprendra-t-on, pèse le poids d’un âne mort qui aurait beaucoup marché, mieux eût valu découvrir un chemin neuf.

jeudi 24 janvier 2019

24 janvier


                Binh-Dû aimerait rire définitivement. Non pas à en mourir, ce qui serait le comble du rire désespéré. Non pas pour vivre éternellement, ce qui serait dément. Mais comme une nouvelle habitude, comme un serment de mariage, comme une résolution mathématique. Comme on fait son lit on se couche. Comme on ouvre sa fenêtre à la mouche. Comme on orthosympathise avec son système. Comme on quitte le sol une demi-seconde, puis une demi-seconde encore, puis une autre demi-seconde. Comme on suspend la tragédie sur un fil avec une pince à linge.
                Mais une chose est de poétiser ce qui nous cultive, une autre de poétiser ce qu’on fait. Une autre encore de sympathiser, dans l’action, dans la sensation ou dans le sentiment. Binh-Dû parfois s’étire ainsi que se cabre un cheval rendu fou par le mors fiché dans ses gencives. Les morts aussi semblent rire, de toutes les dents qu’il leur reste. Une loi peu utile veut que se dessine à la longue ce pour quoi nous serions faits ; et nos engouements successifs, si passionnés furent-ils, si enclins eux-mêmes à une définition, ne seront plus que mues sèches et friables.

mercredi 23 janvier 2019

23 janvier


Le contexte a toujours quelque chose d’absurde. Une salle d’études, par exemple, des rangées de tables bien alignées faisant face au professeur-surveillant. Des rangées d’étudiants assis sur leur chaise, le bazar ordonné à peine personnalisé sur chaque table. Ce silence qu’on dit studieux. Une sorte d’empressement anxieux déjà résigné à ce que la vie ressemble à cela : dans un bâtiment sans âme faire ses preuves. Binh-Dû, comme souvent, a oublié d’apporter de quoi écrire, mais ce n’est pas le plus grave, il pourra demander à un voisin ou un appariteur.
Ce qui est plus embêtant, c’est qu’il n’avait pas du tout prévu de se retrouver dans cet endroit précis. Il aurait mille fois préféré se retrouver ailleurs ; mais maintenant qu’il est là, il faut bien trouver moyen de se dépêtrer. Trois questions lui brûlent les lèvres, quoi, comment, sous quel délai ? Car il ne comprend pas ce qu’il est supposé faire, il ne comprend pas le problème à résoudre tel qu’il est énoncé. Il y a vraisemblablement une méthode à suivre, sauf qu’il ne la connaît pas. Et de combien de temps dispose-t-il encore ? Chut ! lui intime-t-on.

mardi 22 janvier 2019

22 janvier


Le contexte, Binh-Dû s’en fiche un peu. Certes, il y a une localisation possible, une architecture, des protagonistes, de simples témoins. Il y a une heure de la journée, un avant, un après. Il y a des tenants émotionnels et des aboutissants, à multiplier par un facteur x, et des intrications qui infléchissent les représentations géométriques. Mais à quoi bon ? Ce qui de tout cela ressort, ce qui importe, c’est la tendresse et la violence.
Des concepts, l'un et l'autre. Appliqués à plusieurs niveaux de réalité. Le boulevard Arago mène aux catacombes en passant par la prison de la Santé, la pente accélère le cœur des cyclistes. Les murs suintent l’abandon de tout espoir – autre concept fort maniable. Le dimanche passent aussi des poussettes. Les regrets brillent comme de l’argent empilé à la banque, un souvenir de bande dessinée où Picsou nageait sur une mer de pièces et de billets.
La porte de Binh-Dû donne vers l’extérieur sur une travée à ciel ouvert munie d’une rambarde. On aurait vite fait de basculer dans la cour, un étage plus bas. Il suffirait d’y être poussé, à coups de poings redoublés. À bout de manque, d’exaspération, de dégoût, tel un collier d’excuses auquel se pendre. Un jour cela ira mieux, en attendant, l’envie de tendresse est insatiable, reliée à une aspiration de violence infinie. Respire, souffle l’amie.

lundi 21 janvier 2019

21 janvier


Une petite dose, rien qu’une ! Allez, qu’est-ce que cela vous coûte ? Aujourd’hui c’est particulier, je n’ai pas eu de chance, mais demain tout rentrera dans l’ordre. Il faut savoir faire des exceptions, vous ne croyez pas ? S’adapter, moi je ne fais que ça, c’est la première condition de l’évolution des espèces. Et puis je sais mieux que personne ce dont j’ai besoin, non ? Je suis un adulte responsable. Je ne fais plus de cauchemars d’enfant. Je n’ai plus de ces peurs effrayantes, je souris, regardez comme je souris ! Des fois qu’on cesserait de m’aimer. C’est possible, ça se produit parfois. Ça m’est déjà arrivé. La perspective de mourir comme un chien, seul, ne pas réussir à atteindre le téléphone, ouvrir la bouche sans qu’aucun son n’en sorte, et l’air n’entrerait pas davantage. Jusqu’à présent je gère. C’est pour cela que j’aurais besoin d’une petite dose, je suis un peu désaccordé aujourd’hui. Un poids dans les nerfs, je ne sais pas ce que c’est. Comme une horloge qui se détraque, je n’ai plus que quelques décennies à vivre dans le meilleur des cas. Si je ne trouve pas à me détendre je vais claquer, c’est sûr. Ou quelqu’un viendra frapper à ma porte, un inconnu insistant, je finirai par ouvrir à la volée, ma clef à molette dans la main et je jure, s’il ne me laisse pas tranquille, s’il ne s’en retourne pas tout de suite d’où il vient, je lui exploserai la gueule. Rien que d’y penser je suis épuisé. Cette violence, ce n’est pas moi, vous savez. Allez, je vous en supplie, donnez-moi de quoi.

dimanche 20 janvier 2019

20 janvier


Il faudrait, il faudrait toujours, il faudrait encore et toujours quoi ? S’approcher telle la flèche de Zénon du secret de la suspension. Parvenir au point de limite exponentielle, presque totalement détendu, éternel, divin, ubiquiste. Les moines de la cathédrale reposent sur le lit des heures, sans nul besoin de guetter l’aube. Dans la campagne la nuit tombe d’un bloc et les maisons sont sourdes, tout déplacement devient inutile. Et dans le désert ? On ne sait pas ce qu’il s’y passe. La mémoire du futur entrave son cri dans un entonnoir de sable.
        Il faudrait délier sa main, et son épaule, et le mouvement de ses reins. Décocher la tabulation par défaut. Oublier qui l’on était pour laisser advenir la foule de ses hétéronymes, et cette fois ne pas vouloir les enrégimenter. Sentir, enfin, les points de relâchement se fluidifier dans la masse des tissus, et se diffuser d’insoupçonnées réserves d’endorphines. Alors un je de majesté pourrait apparaître. Sans courtisans, sans suffisance. Simplement –  un bras levé, « je » saisirait la perche et, comme un enfant, il jouerait à pivoter autour du monde.