samedi 6 avril 2019

§ 12 et 13


Il marche un peu dans l’appartement, passe de pièce en pièce. Il se sent plus léger mais peu assuré sur ses jambes. Il s’assied sur une chaise, relève le bas de son pyjama, les mollets de Syllvelle sont fins contrairement aux siens. La peau est douce, récemment épilée. Non, il ne s’infligera pas cela ! Il se relève, reprend sa déambulation sans but, attentif à sa façon de marcher, comment ferait Sylvelle ? Il se cherche dans la grande glace du salon, la trouve, l’air égaré. Elle l’observe d’une façon telle qu’il a du mal à soutenir son regard, cela le terrifiait parfois, une réflexion insondable qu’il percevait telle une menace, la possibilité qu’elle lui annonce son départ : tout bien considéré elle avait compris, fait le tour, ne croyait plus en lui, le quittait.
 
Mais comment pourrait-elle le quitter à présent ? se dit Jumien en portant la main droite à son sein gauche sous le tissu, puis la gauche, les bras croisés. Ses tétons sont sensibles, Sylvelle parfois était saisie de grands frissons qui lui parcouraient tout le corps. De retour dans la chambre, Jumien se laisse tomber sur le lit, envahi de désir. Il se caresse les seins, le sexe à travers le pyjama, il se frotte contre la couette, se dévêt complètement, il gémit. Avec sa voix de Sylvelle, d’ordinaire il était plus discret. Les sensations sont incroyables même s’il a encore du mal à accepter ses doigts. Ce sera une question d’habitude, c’est comme si pour la première fois il se donnait du plaisir et en même temps qu’il connaissait parfaitement ce corps. Il jouit comme jamais.

vendredi 5 avril 2019

§ 11

La porte d’entrée a claqué. Jumien n’entend plus que les bruits habituels de l’immeuble, la rumeur assourdie de la rue. Il se lève, écarte les rideaux. Le ciel est gris mais tout semble normal. Dans l’immeuble en face, le voisin prend son petit-déjeuner, un bol de céréales comme toujours. Il tourne la tête vers Jumien, qui lui fait un léger signe de la main pour montrer qu’il ne l’espionnait pas. Avant de se rappeler que cette main qui fait signe n’est pas la sienne, ni ce visage qui sourit faiblement, ni tout ce corps dans son pyjama, précipitamment il se dissimule derrière un pan du rideau. Il ne pourra pas aller travailler, pas dans ce corps, les enfants au lycée ne comprendraient pas. L’administration non plus, personne ne voudrait le croire. Nulle part, on ne le croira.

jeudi 4 avril 2019

§ 9 et 10

Jumien s’adosse à la tête du lit, étonné de s’être rendormi. Cette impression impossible à supporter, cela lui revient, il rouvre les yeux. Le semi-jour traverse les rideaux d’un côté et la lumière du couloir entre par la porte ouverte de l’autre côté. Sa poitrine se gonfle à l’inspiration, le relief de deux seins compressés par son haut de pyjama. Une mèche de cheveux lui barre les yeux, vite il porte une main entre ses jambes – la main de Sylvelle ! –, son sexe n’est plus qu’un triangle de poils, une fente doucement tiède, un pli de chair bombé à son bord supérieur qui lui procure un frémissement électrique inédit. Son sexe à lui a disparu, ce n’est plus là, il n’est plus lui, Sylvelle l’observe dans l’embrasure de la porte.


Sylvelle... Tais-toi ! l’interrompt-elle d’une même voix, le menaçant avec la poêle. C’est insupportable. Cet être chiffonné au regard implorant, dans son propre lit. Comme si elle, Sylvelle, avait disparu et s’observait de l’extérieur. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, reprend Jumien, je me suis réveillé comme ça. Ne commence pas à geindre, s’emporte Sylvelle, c’est à moi aussi que cela arrive, tu n’imagines pas ! Mais toi tu es toujours la même... Je suis deux fois la même, tu crois que c’est facile à vivre ? De rage, Sylvelle donne un coup sur le mur avec la poêle. Sûrement quelque chose s’est cabossé sous le choc, la poêle ou la peinture sur le mur. Tu me dégoûtes, crie-t-elle en quittant la pièce. Mais c’est toujours moi, à l’intérieur ! plaide en vain Jumien.

mercredi 3 avril 2019

§7 et 8

Pas un bruit en provenance de la chambre. Non plus en direction de la cuisine, nulle odeur de café ou de pain grillé. C’est là qu’elle se dirigea pourtant. La grosse horloge accrochée au mur indiquait sept heures un quart, elle était en retard. Non pas l’horloge, mais Sylvelle. Jumien lui avait-il dit la veille qu’il pourrait dormir davantage ce matin ? En tous les cas, il fallait qu’elle se dépêche, un ou deux toasts à la va-vite, un jus d’orange et elle filerait attraper son RER. Elle se maquillerait dans les toilettes au bureau, ça lui arrivait. Juste le temps de s'habiller, prendre ses affaires dans la chambre où Jumien dormirait encore. À la lumière du couloir, porte entrebâillée, sans faire de bruit, sans ouvrir les rideaux.
 
Sans regarder ? Une masse informe sous la couette, du côté de Jumien. Une chevelure blonde ébouriffée qui dépasse. Ce sont ses cheveux, ceux de Sylvelle, elle se laisse glisser au sol contre le mur. Le corps étendu dans le lit ne bouge pas, ne soulève pas la couette, serait-il mort ? Ou elle ? Serait-ce mort ? Au bout d’un moment, Sylvelle parvient à quitter la chambre, à quatre pattes, sans se relever jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans le couloir. Elle doit s’appuyer contre les murs, dans la cuisine elle cherche le long couteau à viande, ses doigts se crispent sur le manche, un geste maladroit et elle se l’enfoncerait dans le cœur. Elle s’en débarrasse en le jetant dans le tiroir, les couverts métalliques tintent, elle se saisit d’une poêle.

mardi 2 avril 2019

§ 5 et 6

Je ne comprends pas ce qui m’arrive, je me suis réveillé comme ça, tu me vois aussi ? Sylvelle se leva, contourna d’aussi loin que possible l’autre assise sur son lit et courut s’enfermer dans la salle de bains. Son reflet dans le miroir l’apaisa quelque peu, tout était bien en place. Elle mit les mains en conque autour de son visage, sentit la texture de sa peau, l’os des pommettes en-dessous, elle posa ses doigts sur ses paupières un instant, respira son odeur. Son haleine était saumâtre du matin mais c’était bien la sienne, Sylvelle fit couler de l’eau, but, se rafraîchit le visage. Pas un bruit dans l’appartement, si quelqu’un frappait à la porte elle en mourrait. Quand bien même ce serait Jumien, redevenu lui-même.

Elle avait fait un cauchemar, il ne pouvait en être autrement. Elle allait prendre sa douche, comme chaque matin, et elle irait rejoindre Jumien qui était sûrement dans la cuisine en train de préparer le petit-déjeuner. Elle ne savait pas quelle heure il était, mais ce devait être le moment. Puis elle se rendrait à son travail et elle raconterait toute l’histoire à son amie Sophiraphe pendant la pause déjeuner, elles en riraient. Sophiraphe était toujours d’humeur joyeuse, sa seule évocation amena un sourire sur le visage de Sylvelle, qui abaissa la poignée. La porte résista, Sylvelle avait oublié que, dans sa frayeur, elle l’avait verrouillée. Toute inquiétude serait irrationnelle, se convainquit-elle en passant la tête dans le couloir. Personne.

lundi 1 avril 2019

§ 4

La sensation familière de sa propre main sur sa joue, mais pas au bout de son bras, une troisième main que Sylvelle ne put incorporer à son demi-sommeil. Et voici qu’elle s’observait, elle recroquevillée dans le lit et elle dans le pyjama de Jumien, un genou sur le matelas, hésitante. C’était un rêve sinistre, elle ferma les yeux, très fort pour effacer la vision, les rouvrit : elle était toujours là, assise à présent sur le rebord du lit, à distance, une expression implorante sur le visage. Sylvelle, c’est moi, dit-elle. Dit « elle » qui n’était pas elle. Avec sa voix à elle, sa voix qu’elle supportait mal quand elle en entendait l’enregistrement sur son répondeur ou lorsqu’il lui fallait prendre la parole devant des inconnus.