jeudi 20 juin 2024

Rhizomiques #192

L’erreur qui frappe les théories politiques et économiques de la liberté propres au libéralisme classique [c’est que] les individus y sont pensés comme pourvus d’un équipement de capacités permanentes et préconstituées dont l’opération, lorsqu’elles ne se heurtent pas aux limites que leur imposent des conditions extérieures, constituerait la liberté, une liberté qui résoudrait de façon quasi automatique les problèmes économiques et politiques. (…) On a supposé, en accord avec toute la théorie du libéralisme, que la seule chose qui permette de garantir la liberté de pensée et d’expression réside dans l’élimination des entraves extérieures ; repoussez les obstructions artificielles et la pensée opérera. Cette idée renferme toutes les erreurs de la psychologie individualiste. La pensée y est considérée comme une capacité ou une faculté innée ; la seule chose qu’elle réclame pour opérer relève de la chance extérieure. [Mais] le problème le plus important pour la liberté de pensée est celui de savoir si les conditions sociales font obstacle au développement du jugement et de la compréhension ou si elles l’encouragent effectivement.
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(…) ses parents eux-mêmes étaient restés si accolés à leur environnement social qu’ils n’en étaient jamais sortis, n’avaient pas su s’affranchir de leurs préjugés et s’étaient peu à peu rigidifiés pour finir par répandre des jugements derniers sans plus faire marcher leur esprit et encore moins leur sensibilité alors qu’on le savait, ils en avaient eu une. Le père s’était mis à donner de ces formulations toutes faites libres de droits parce que c’était sans doute assez commode et ne demandait pas d’effort intellectuel supplémentaire car des efforts il en faisait déjà beaucoup et c’était bien assez rappelait-il en rentrant éreinté le soir.
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C'est tellement triste, me dit son fils. Si elle ne regardait jamais la télévision, je sais qu'elle ne serait jamais devenue ainsi. Et je suis si furieux. Elle pourrait passer ses dernières années dans une paix et un confort relatifs, dans la gratitude de ce qu'elle a. Au lieu de cela, elle est dans un état de perpétuelle amertume et de rancœur contre tous ces ennemis qu'on lui désigne comme effrayants, prêts à se jeter sur elle.
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On peut être une chose et son contraire. On peut être innocente et coupable. C'est écrit en toutes lettres dans chacun des chapitres de la tragédie qu'est votre civilisation, Andrea, c'est toujours une majorité de coupables innocent.e.s qui participent à l'élaboration des structures qui les asservissent. 
 
John Dewey (cité par Bernard Quiriny in Le club des libéraux)
& Valérie Mréjen (in La jeune artiste)
& Sigrid Nunez (in Quel est donc ton tourment ?)
& Chris Bergeron (in Vandales)

mercredi 12 juin 2024

Vivaces #47 bis

Le monde est une huître.
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Ce monde n’est pas conclusion
Il existe un au-delà
Invisible, comme la musique
Mais réel, comme le son
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Si vous traversez l’enfer, surtout continuez d’avancer. 
 
Arthur Miller (in Mort d’un commis voyageur)
& Emily Dickinson
& Winston Churchill

mercredi 5 juin 2024

Vivaces #47

Je pourrais être enfermé dans une coquille de noix, et me regarder comme le roi d’un espace infini.
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Une noix,
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix
Qu'est-ce qu'on y voit quand elle est fermée ?
On y voit mille soleils, tous à tes yeux bleus pareils
On y voit briller la mer et dans l'espace d'un éclair
Un voilier noir qui chavire.

(…)

Une noix,
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix
Qu'est-ce qu'on y voit quand elle est ouverte ?
Quand elle est ouverte, on n'a pas le temps d'y voir,
On la croque et puis bonsoir
Les découvertes.
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Le monde, tel que nous l’imaginons, n’est pas plus gros qu’une noix.
 
William Shakespeare (in Hamlet)
Charles Trainet (Une noix)
William Hazlitt (probablement apocryphe, cité par Vila-Matas in Montevideo)