jeudi 27 février 2020

Hybrides #35

La vie est la liberté s'insérant dans la nécessité.
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Les échanges, la technologie, les nations, les migrations, l'industrie - toute cette danse était entièrement réglée par les cinq nonillions de microbes en mutation que comptait la Terre. (...) Les bactéries décrétaient les guerres, stimulaient les essors et tuaient les empires. Elles décidaient qui mangeait et qui mourait de faim, qui s'enrichissait et qui, terrassé par la maladie, sombrait dans la misère. La bouche d'un enfant de dix ans abritait deux fois plus de microbes que ne vivaient de gens sur la planète. Le corps de chaque individu dépendait de cellules bactériennes dix fois plus nombreuses que les cellules humaines et de cent fois plus de gênes bactériens que de gênes humains. Les microbes orchestraient l'expression de notre ADN et régulaient notre métabolisme. Ils formaient l'écosystème dans lequel nous ne faisions que vivre. Nous pouvions danser, mais eux conduisaient le bal.
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J’ai besoin pour soigner que mes malades donnent de la confiance. C’est là que la vie s’abandonne à sa propre puissance. La guérison est faite du mouvement d’y croire, et j’enrage quand on me dit que c’est de l’imagination. Croire est un état du corps.

Henri Bergson (in L'énergie spirituelle)
Richard Powers (in Orfeo)
Frédéric Gros (in Le guérisseur des Lumières)

dimanche 23 février 2020

puis tu te retrouves un bébé entre tes bras


23 mai

Puis tu te retrouves avec un bébé entre tes bras. C’est une fille, elle est si jolie, sa petite bouche délicatement ourlée, ses yeux profonds et limpides. Elle ne te voit pas, à ce qu’on dit ; ce qu’elle distingue échappe à notre compréhension. Mais elle, comprend-elle avec une acuité inconcevable ce qu’elle commence tout juste à découvrir ? Tu serais tenté de le croire. Tu essaies de te souvenir, que voyais-tu quand tu regardais de même ? Des taches de couleur, des contours mouvants ? Faisais-tu seulement la distinction entre ce que tu voyais et ce que tu entendais (des vibrations ?), le goût du sein de ta mère, le doigt d’un géant que tu serrais dans ta main minuscule, les odeurs en farandole ? Ou bien sommes-nous tous, aux commencements, des êtres synesthésiques ? Dans le jardin tu ramasses la fleur d’un arbuste pour la porter à tes narines, immédiatement tu te souviens (mais c’est ton amie qui nomme le seringa). Elle apprend à nouer le tissu dans lequel porter son bébé, il fait encore frais quand le soleil disparaît derrière les hauts tilleuls. Tu humes l’ivresse, qu’une colombe lance son chant et tu seras projeté dans le jardin de tes grands-parents en bord de mer et tu seras redevenu un enfant à la vision temporelle limitée. La mère de ton amie appelle depuis le salon, elle demande qu’on l’aide à ouvrir en grand les portes-fenêtres. Après le thé tu repartiras comme tu es venu : bardé de tout ton savoir superflu.

samedi 22 février 2020

personne que tu aurais envie d'aimer


22 mai

         Parfois tu sors dans les rues de ta ville, tu regardes les gens et tu ne croises personne que tu aurais envie d’aimer. Est-ce le problème de ta ville ou le tien ? Tu penses alors que l’humanité tout entière mériterait d’être anéantie, malheureusement il y aurait des dégâts collatéraux.
         Tu y repenses : ton raisonnement comporte des failles malgré son apparente implacabilité. D’abord tu aimerais bien être toujours sur Terre, une fois celle-ci débarrassée des hommes. Et tant qu’à faire il y aurait au moins quelques spécimen d’humanité – en plus de toi – dont tu serais heureux qu’ils aient survécu. À l’opposé, le contre-argument des dégâts collatéraux ne tient pas – comme s’ils pouvaient être pires que les dégâts directs qu’inflige l’humanité à son biotope !
         Dans d’autres villes tu te souviens, il y avait d’autres gens, aux regards plus avenants. Dans d’autres circonstances. Parfois tu ne te soucies plus que les gens soient comme ils sont, c’est leur problème, toi tu es amoureux. Sacré Binh-Dû ! Toi qui revendiques le désordre, contre toutes les injustices, à quel ordre rattacher ton état amoureux ? Esthétique, éthique, partial, divin, un peu de tout cela ? Peu importe, parfois tu erres dans ta ville. Où ton humanité laisse à désirer.

vendredi 21 février 2020

fourmis à la mémoire courte


21 mai
 
           Fourmis à la mémoire courte, dessinant une progression inéluctable. Ce que tu n’auras pas compris, c’est l’ennui de la sincérité. Ton existence consacrée à disposer des ombres sur ce que tu imaginais être d’inavouables lucidités – et le désir éperdu de tout avouer ! Ce plaisir pris à cacher pour mieux révéler, qu’on admire et l’écrin et ce qu’il renferme, et ta peur surtout d’apparaître nu. Ta peur et ton désir : me voici, pardonne-moi, aime-moi quand même. Entends-moi. Sache tout de moi. Et que tout soit dit entre nous. Tu es maladroit stratège de ton mystère.
           Prends exemple sur ce terrifiant personnage. C’est un très vieil homme à présent, le soleil californien l’a momifié mais il est toujours aussi arrogant, fier de sa puissance passée et de ne pas se souvenir des prénoms de ses huit femmes. Il se souvient de ceux de ses enfants d’adoption, qu’il formait à la dure, encourageait, disait aimer comme un père, puis qu’il rejetait lorsque la courbe de leur progression au tennis déclinait. Il fut haï pour cela. Il était fruste et divin, incapable de regrets. À son insu enseignait le non-attachement. Prends exemple, tu seras un amour.

[#JeNeSuisPasNickBollettieri]