dimanche 30 juin 2019

Bonus : nuit de l'an


Sa stratégie est parodie de conscience. Lui est un autre, naufragé. Il accoste dans un café cubain, un mégot branlant entre deux de ses doigts. Il cherche un cendrier. Il regarde la carte où l’on propose un menu réveillon à 95 euros. Il cherche un regard témoin, huit lycéens bruyants jouent la comédie de la fière insouciance. Ils ne le calculent pas. Il a 67 ans, tient-il à déclarer, et sa femme l’a quitté. Au couple sympathique de la table d’à côté il emprunte un briquet pour allumer une nouvelle cigarette, il dit « Vous êtes cohérents », puis « J’ai 67 ans, ma femme m’a quitté » et il recommence à fumer. Les deux probables amoureux parlent de pathologies mentales et du pouvoir du rire, assez sérieusement. Une bouteille de rosé roule entre les pieds des lycéens qui peinent à se pencher depuis leur chaise pour la ramasser. La nuit est jeune encore, à peine un début de soirée, et l’année va mourir. Il y aura une remise à zéro sur le compteur et personne à serrer dans ses bras. Il n’y aurait rien à faire si c’était d’un coup la fin du monde, juste imploser en désolation infinie. L’homme d’une main tremblante écrase sa cigarette dans le cendrier de la table des amoureux, il leur dit qu’ils sont cohérents, qu’il a 67 ans et que sa femme l’a quitté. Il fait signe qu’on lui tende le briquet afin qu’il puisse allumer une nouvelle cigarette. Sa cohérence est peut-être de fumer sans feu. Les amoureux n’en sont pas, ils se séparent sans même un baiser. La jeune femme transporte dans un sac transparent une bûche de Noël qui commence à fondre. L’homme moins jeune n’entend pas la voix intérieure qui lui rappellerait de vivre maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Jacasse une pie nocturne dont la cohérence non moins laisse à désirer.

30 décembre


                Ce qu’il cherchait sans le trouver au centre commercial attend heureusement en d’autres lieux. Le courage d’être prêt à ce que meure l’enfant demain pourvu qu’il vive aujourd’hui. Qu’il ne meure pas vieillard en ayant renoncé sa vie durant à vivre. Le courage de souffrir intensément face aux irrémédiables pertes, sachant la valeur de ce qui nous relie, vivants.
                Comme une voix intérieure qui te dirait où tu es, qui te ferait entendre ce que tu viens de faire et vers où tu te diriges.
                Ou  autre chose, non plus une rencontre mais un mode, quasi musical : vais-je donner à pleurer ou prêter à rire ?
                Ils ont fait le choix, la plupart, de donner le moins possible. De ne pas même arpenter le côté surplombant de la dette. Quand ils donnent c’est dans la crainte, ils ont peur des coups de vent. Ou bien médit qui s’exclut ? Lui a beau jeu de souhaiter « Bonnes fêtes » à la caissière. Son autre lieu l’attend toujours, et l’enfant qu’il fut. Sa propre tragédie frise l’inconscience.

samedi 29 juin 2019

29 décembre


                Il cherche quelque chose dans le regard, il ne le trouve pas. Combien de ses concitoyens sont-ils éteints ? Quelle proportion ? En quelle proportion sont-ils éteints pour que rien ne se voie d’allumé dans leur regard ? Pas même un souvenir de flamme…
                L’âme est aspirée par l’écran des smartphones, ce qui reste au-dehors n’est plus que carcasse dépourvue de conscience. Ou l’on joue avec un chien dans le parc, l’on bêtifie dans la nostalgie des réactions joyeuses provoquées chez un être simple. Un enfant aussi bien.
                Lui-même cherche dans le miroir et trouve surtout que ses sourcils épaississent. Il n’y voit pas très clair, ciseaux à la main, c’est d’appréhension qu’il cligne. Sont-ce les cils, le problème ? Reprenant une plus juste distance il détecte un subtil affaissement de paupière.
                Lui-même, en quelle proportion s’est-il éteint ? L’oiseau couvant son œuf, déjà pressent l’horreur d’un manque. C’est ainsi qu’on tue son enfance, pour garder l’illusion qu’elle se survit et qu’elle ne nous quittera pas. L’enfance muséale étouffe pourtant dans son tombeau.

vendredi 28 juin 2019

28 décembre


                Il irait retrouver la perfection incarnée, jusqu’à l’esquisse de larmes d’émotion. Elle semble si tendre, et si déterminée, si attentionnée et si intelligente, si prompte à s’enflammer et si brûlante déjà. Si calme. Si compréhensive. Si stimulante. Si ma main sur ta joue en une lente caresse, si ta respiration précipitée dans mon cou. Si… Mais est-elle bien réelle ?
                Il se heurterait à Némésis, la juste colère. Oh, ils seraient des alliés dont le contact produirait des étincelles, ensemble ils renverseraient les tables des banquets où se gobergent les crapules, et ils tiendraient en respect les loups attirés par l’aubaine. Et puis ils s’en iraient, dansant d’un pas léger leurs différences.
                Il se rapprocherait d’un loup semblable à nul autre, non plus à un chien. Le chien serait une vieille histoire, celle de l’homme qui ne se croyait pas digne du loup, jadis. Et le loup le mènerait à l’une des plus spirituelles femmes du monde réel, et c’est lui, l’homme anciennement chien, qui pleurerait de bonheur incrédule. Vas-tu te décider à croire ? demandera-t-elle.

jeudi 27 juin 2019

27 décembre


                Si le seul survivant ne peut plus compter sur l’arrimage de la pesanteur.
                Si le seul survivant a été réduit aux dimensions d’une sauterelle sans ailes.
                Si le seul survivant ouvre les volets, puis la fenêtre, et laisse entrer une lumière apocalyptique ainsi qu’une volée de mouches.
                Si le seul survivant regarde en bas de la rue ce qui s’y passe et ce qui ne s’y passe plus.
                Si le seul survivant a pour interlocutrice une amie perdue de vue.
                Si le seul survivant accapare tout le désir de reste et peu importe que ce soit ou ne soit toujours pas suffisant.
                Si le seul survivant prend soin de cacher ses cheveux sous un bonnet.
                Si le seul survivant espère tantôt avoir moins chaud tantôt avoir moins froid.
                Si le seul survivant craint de lasser la survenue des rêves, et dès la première nuit craint l’infidélité.
                Alors…
                Le seul survivant ferait mieux.
                De changer de monde.