jeudi 31 octobre 2019

31 janvier


            Mais pour l’heure tu suffoques, dans le sac de farine on ne distingue pas un ver d’un autre. Tout ce que l’on constate c’est le grouillement et la puanteur, l’air irrespirable bientôt. Pour cela il y a des mots, plus qu’il n’en faut, les mots de la toxicité et de l’effort en pure perte. Les mots de la perte où se renforce l’intuition que ton monde, celui où tu évolues et dont tu es constitué depuis le jour de ta naissance, telle la lune en course pour l’éclipse, est en passe de se superposer au destin apocalyptique de toute l’humanité.
            Impossible de s’extraire à moins de recourir au déni. Et c’est peut-être la plus avisée des perspectives qu’il te reste, allez, rions un peu tant qu’il en est encore temps ! Au diable toute cette négativité, on n’est pas bien, là ? L’alcool substitue à l’amertume un goût sec et écœurant, tu vois danser des squelettes. Et tu ris parce que c’est drôle, tu essaies d’imiter le sourire de leurs dents. Tu as un grave besoin de t’amuser si tu ne veux pas tomber et entraîner ceux que tu aimes dans ta chute. Sur la décimation tu danses.
[tribut à Claude Lévi-Strauss]
[et merci à la "Loving Suite pour Birdy So"]

mercredi 30 octobre 2019

30 janvier


           Ils s’apparient par peur de la solitude ou d’un manque de crédit social. Ils sont des naufragés qui ont eu la malchance qu’on repère leur signal de fumée. Ils sont des inconnus l’un pour l’autre, sans qu’il y entre le moindre soupçon de délice. Ils détournent les yeux des autres naufragés, moins chanceux croient-ils – et de fait la plupart de ceux-ci  meurent noyés. Ils vivent noyés. Ils s’agitent, jouent des coudes, ils attrapent le bon train, croient-ils, n’en sortent que pour sauter dans un avion. Ils préfèrent la place près du hublot pour limiter la promiscuité ou la refusent par claustrophobie. Ils n’entendent rien au paysage. Ils aiment la viande. Ils baisent dans le cynisme. Ils n’ont aucune dignité. Ils sont désespérants, à se jeter à leurs pieds. Si tu cesses de les haïr, que te reste-t-il ?
           Que voir, une fois les yeux dessillés ? L’horreur, ou une splendeur joyeuse ? Peut-on choisir ? Comment vivre ? Le déni du condamné semble un droit légitime, quand bien même tout le procès serait une farce. Mentez tant que vous voulez, mais posez-vous la question de ce que vous désirez encore pour le reste de votre vie. Votre âme enfouie, que voudrait-elle ? Tu regardes le gris du ciel et le gris de l’océan. Tu ne te souviens plus de la couleur des yeux de celle que tu aimerais voir à ton côté. Tu es coupable de ce qui t’est échu en vain, et tu persistes à gâcher du temps. Un jour il faudra fermer  le livre et repartir à l’aventure. Pour peu que tu aies abandonné tout espoir, ta vie de noyé remontera peut-être à la surface. Alors il n’y aura plus de mots, juste ta respiration perdue.

mardi 29 octobre 2019

29 janvier


           L’âme s’est enfouie dans un tas de linge sale, elle attend. L’âme est bien calée dans le coffre à côté d’un bidon d’huile, on la véhicule du nord au sud et du sud au nord sans lui demander son accord. L’âme est une douleur au niveau des côtes.
           Nous sommes foutus parce que nous sommes des créatures d’espérance. Tant qu’il y a de l’espoir il y a de la vie il y a de l’espoir, et nous imaginons pouvoir continuer ainsi ad libitum. Ad nauseam quand le ciel nous tombe sur la tête.
           L’espérance est le signe de vie adressé au bateau qui croise à l’horizon. C’est Dieu dans une gourde d’eau plate. C’est l’ultime battement de cœur qui décèlera une porte donnant sur le dehors. La liberté enfin ou, à nouveau, l’oubli de ce qui fâche.
           Tu te souviens comme l’air était vibrant, le ciel clair. Comme ton corps était léger et massif à la fois. L’intensité de l’amour, tu te souviens ? Ton âme se passait bien de l’espérance, tu aurais pu mourir dans l’instant, heureux, tant tu étais vivant.

lundi 28 octobre 2019

28 janvier


           Quand le réflexe de propriété s’effiloche, quand on ne possède même plus ceux que l’on identifiait comme ses propres fantômes. Quand la main souffre de son côté (à moins qu’elle ne joue). Assagis on est agis, ah ah ! Quand le rire surgit d’un gouffre et se répand aux cieux. Quand tu jouis tel un arbre. Quand tu ne crois plus à ce qu’on nous raconte au sujet de la liberté mais que plus rien ne saurait entraver ta joie. Quand tu sais pourtant qu’il suffirait de quelques percussions de malveillance bien placée pour que tout soit à redécouvrir.
           Nous avons été exilés de notre sensualité. Notre sensualité nous pleure, ses sanglots même ont été trafiqués, de sorte qu’elle se rappelle à nos oreilles comme un grincement de chaînes. Confusément nous recherchons une origine éclairante alors que ce qui importe se trouve à notre portée, une main, un souffle. Par où rencontrer l’autre. Nous avons été exilés de nos membres et de notre faculté à désirer plus doux que des pixels ou des chairs en colère. Mais l’âme se souvient. Reléguée dans son inexistence, toujours elle patiente.

dimanche 27 octobre 2019

27 janvier


           L’amour en climat tempéré manque de nécessité. S’il pleuvait à verse cela irait de soi. On aurait trop froid, on aurait trop chaud, il faudrait vaincre le signe indien. On aurait toujours un deuil à conjurer, un creux d’espérance à apaiser.
           Ici une ponceuse industrielle indéfiniment ponce. La brise brouille les messages des arbres. Une pince à linge s’apprête à surprendre les sauterelles. Règne une langueur apathique qui s’est affranchie des vivacités d’antan.
           Aux heures perdues on se donne du rêve pornographique. On regarde passer le temps, sans s’arrêter sur les nuages. Dans le désert ce serait pareil, sauf que bouffer du sable nous obligerait à en cracher. Nos désirs créeraient des oasis.
           Mais il reste toujours des yeux où se noyer. On y aperçoit tout un monde, de gouffres et d’altitudes. La peur appelle le courage, et pour toi ce sera le moment, l’échappée retrouvée : tu goûteras la liberté d’aller vers sa mission.