jeudi 30 avril 2020

qu'aurais-tu fait à sa place ?


30 avril

Qu’aurais-tu fait à sa place ? Déjà, te serais-tu rendu à la convocation ? Mettons. À la réceptionniste tu aurais décliné ton identité, le nom du "référent" en charge de ton dossier, sur le registre tu aurais coché une case, signé. On t’aurait dire d’attendre. Là, tu aurais fait comme lui, plutôt que de t’asseoir misérablement sur une chaise et de feuilleter des prospectus citoyens tu aurais passé la porte-fenêtre pour sentir le soleil sur ta peau dans la cour intérieure du bâtiment. On serait venu te chercher, on t’aurait prié de t’asseoir dans un minuscule bureau, l’ordinateur entre toi et ton référent. Il aurait parcouru à voix haute ton dernier "contrat d’engagements réciproques". Aurais-tu commencé à soupirer ? On t’aurait demandé un "bilan des actions réalisées", la définition de nouveaux objectifs (verbes à l’infinitif s’il vous plaît), au bout d’une heure de formulations par défaut tu aurais été invité à signer les engagements réactualisés… Mais aurais-tu tenu une heure ? Qu’aurais-tu fait ? Te serais-tu peu à peu tassé sur ta chaise, te serais-tu répandu en sarcasmes, aurais-tu renversé la table et claqué la porte ? Aurais-tu clamé Je vous emmerde ! Je suis un homme libre ! Je ne rentrerai pas dans vos cases ! On t’aurait radié. Tu serais reparti dans ta montagne, à faire des économies sur tout, à bidouiller à droite à gauche, à te bousiller le dos pour quelques billets donnés de la main à la main. Le soir tu aurais continué à écrire des poésies sur l’amour et l’insoumission. Peut-être serais-tu devenu un modèle pour le citadin pauvre, lui-même au bout de sa longe ou de sa corde de pendu – allocataire.

mercredi 29 avril 2020

qu'est-ce qu'on rigole par ici !


29 avril

- Qu’est-ce que ça rigole par ici, dis-moi ! Es-tu sûr de vouloir rester ?
- Non, mais encore un peu quand même, histoire de dire.
- D’accord, dire quoi ?
- Bah tu sais, la vie, la mort, l’amour…
- La mort je vois bien, la vie l’amour je cherche encore.
- Non mais pas seulement, tiens je voulais parler de la soustraction.
- Comme Prions pour notre frère qui a été soustrait à l’affection de ses proches ?
- Mais non ! Dans un sens artistique, l’épure, la possibilité toujours de retirer du gras.
- Jusqu’à n’être plus qu’un squelette ?
- Tu as l’esprit mal tourné, en fait c’est toi qui es morbide.
- Ne va pas raconter ton idée de la soustraction à une fille – s’il te prenait l’envie de séduire.
- Je n’ai pas du tout la tête à ça.
- Tu devrais, ça pourrait être amusant.
- Je voulais parler du jeu aussi.
- Du grand jeu de la Vie auquel on perd toujours à la fin ?
- J’ai entendu des gamins, l’un protestait : « Je n’ai pas dit que je ne voulais pas jouer ».
- Double négation, il y a plus joyeux, quelle est ta conclusion ?
- La plupart des adultes ont totalement cessé de vouloir jouer comme des enfants.
- Super. Écoute, je repars danser avant de décéder, tu nous rejoins si tu veux.

mardi 28 avril 2020

j'ai toujours ce sourire trop grand


28 avril

J’ai toujours ce sourire trop grand sur les photos, bizarrement arrondi, comme si je ne savais pas quoi faire de mes dents. Le corps un peu de travers, qui lui aussi est trop grand, on dirait que je m’efforce de rentrer dans le cadre. Tout cela a été rectifié quand on m’a disposé dans le cercueil. Les paupières baissées, même s’il n’y a pas à ma connaissance de photographie de moi endormi. Mais plus calme, assurément. Sur mes photos de voyage on devine que j’ai bondi pour devancer le retardateur, et qu’après le déclic j’ai recommencé à m’agiter dans tous les sens. Les amis immortalisés à côté de moi semblent plus tranquilles, me trouvaient-ils fatigant ? Avaient-ils hâte que je reparte ? J’avais promis de rester en contact. Les enfants m’aimaient bien je crois, on rigolait tout le temps. C’est étrange de savoir qu’on est mort, mais plus encore de regarder depuis l’autre bord ce à quoi l’on ressemblait quand on était vivant. Je manquais d’objectivité. Je veux dire, même avec cette drôle de dégaine j’étais l’un des leurs, un être humain. J’avais le droit de vivre, j’aurais dû le savoir. C’est dommage.

lundi 27 avril 2020

les averses multiplient les arc-en-ciels


27 avril

Les averses se succèdent, multipliant les arcs-en-ciel. L’origine de ceux-ci est un leurre par définition, Regarde depuis ta fenêtre, lance Binh-Dû au téléphone, il doit être planté dans le jardin ! – et leur destination. Mais peu importe, du moment que se manifeste l’attention. Les cerises sont encore vertes, un sportif étire ses muscles à la rupture sous le regard goguenard de deux buveurs de bière. Binh-Dû s’essaie à lister les qualités de sa prochaine amoureuse – d’abord ce sera une évidence réciproque. Elle n’aura pas besoin de présenter toute la palette d’un arc-en-ciel. Il n’aura plus besoin de se prétendre aussi terne qu’une photographie sépia.
Elle voit l’arc-en-ciel elle aussi, par extraordinaire, mais il n’est pas dans son jardin – ce n’est donc pas le même. Un chat hésite à mouiller ses pattes sur le toit. Sous le porche, les drogués rabattent leur capuche, ils s’expriment en phrases courtes mais lentes. Au contraire de la rédactrice publicitaire qui jette son parapluie disloqué dans une poubelle transparente tout en poursuivant une discussion téléphonique avec son stagiaire souffre-douleurs, Tu te débrouilles, tu vas me trouver ça sur une banque d’images ! Dans un magazine ou sur une page web exclamative on admirera un faux ciel étoilé dont aucune lumière n’aura mis des années à nous atteindre.

dimanche 26 avril 2020

tu savais qu'il y avait de vraies filles au-dehors ?


26 avril

- Quand j’avais vingt ans, mon fantasme était de passer une nuit tout seul dans un sex-shop.
- Tu étais au courant qu’il y avait de vraies filles à l’extérieur ?
- Je ne connaissais pas grand-chose non plus à la pornographie.
- Moi j’aurais aimé me laisser enfermer toute une nuit dans un musée, avec mon amoureux.
- Cette nuit j’ai rêvé que j’étais dans un supermarché et que je ne parvenais pas à choisir parmi les avocats tant ils étaient tous parfaitement à point.
- Je ne sais jamais s’il faut les renifler pour savoir, moi je ne sens rien. Et je ne me souviens jamais de mes rêves, à croire que je ne rêve pas vraiment.
- Je me souviens d’un film qui se déroulait dans une ferme d’avocatiers, on nous apprenait que c’était un fruit et qu’il avait des vertus aphrodisiaques.
- Ce n’est pas comme si je n’avais pas de fantasmes. Et toi, tu en as depuis que tu n’as plus vingt ans ? Tu fais des rêves érotiques ? Je suis dedans ?
- Quand je serai un vieillard je réclamerai qu’on me donne du guacamole, à la petite cuillère.
- Je peux te donner mieux en attendant. Mais d’abord je vais faire pipi, tu m’attends ?
- Soit je régresse, soit je sublime.
- Je ne t’entends plus !