mercredi 27 décembre 2023

A contre-saison #13

 27 juin

(D.R.)

 

"Le ciel se gorgeait de silence violet."

Jerzy Andrzejewski (in Les portes du paradis)

 

jeudi 21 décembre 2023

Rhizomiques #166

Nous, les humains, avons été définis de multiples façons. Homo sapiens en est une, mais que nous nous appelions ainsi nous-mêmes prête plutôt à rire dans la mesure où il s’agit d’une définition frisant la prétention : nous n’arrivons même pas à reconnaître que la seule chose que nous savons est que nous ne savons rien.
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La terre abrite une créature, se donnant le nom de grand singe, qui a entrepris de décrypter l’univers, d’expliquer tout ce qui existe, son monde, son monde social, son monde physique, la chute des empires comme celle des pommes. (…) Ne lui paraît-il pas troublant que les explications du monde qu’elle découvre lui soient intelligibles ? N’a-t-elle pas réfléchi au fait que, si elle trouve une réponse, c’est uniquement à cause d’une question qu’elle est capable de poser ? Avant d’améliorer ses connaissances, elle a dit que l’homme se distinguait du reste de la création parce qu’il avait un langage, se distinguait parce qu’il était doué de raison, se distinguait parce qu’il était doué d’une conscience, se distinguait parce qu’il concevait d’autres esprits, se distinguait à tous égards, semblait-il. L’orgueil démesuré de cet animal persiste aujourd’hui dans son idée que la vérité sous-jacente à tout ce qu’il perçoit, depuis le cosmos lointain et éternel jusqu’au banal proche et éphémère, productions humaines incluses, que cette vérité constante dont il croit qu’elle pourrait exister ne dépassera pas sa capacité de compréhension.
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Nous avons l’illusion de raisonner par nous-mêmes alors que nous récitons bien souvent ce que pense notre groupe, ses préjugés. Nous tenons ces croyances pour des vérités, des évidences, c’est ce que Françoise Héritier appelait notre adhérence aveugle au monde. Nous nous voyons comme des êtres de raison parce qu’avec le langage nous donnons une apparence sensée à nos émotions, nous les rationalisons, comme l’a montré Ernest Jones, un ami de Freud.
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Serions-nous du ça ? Du quelque chose agissant, ou plutôt agi par des forces que masqueraient les moirures de notre intelligence ?
- Vous voulez dire, l’interrompit Zef Zimmerstein, que notre intelligence…
- … serait comme ce voile sensible de la musique du sublime Beethoven que jouait un orchestre de musiciens squelettiques pendant que le bourreau, l’homme véritable et parfaitement « humain », exécutait sans trembler…
- Si je vous comprends, dit Zef Zimmerstein d’une voix un peu essoufflée par l’émotion, si je vous comprends bien…
- Oui ! vous m’avez bien compris, l’interrompit le jeune anatomiste. Je vous pose la question : de quel côté situer ce que l’on nomme : l’humain ? Beethoven ou bourreau ? Avouez que l’un peut aller avec l’autre. 
 
Enrique Vila-Matas (in Montevideo)
& Zia Haider Rahman (in À la lumière de ce que nous savons)
& Boris Cyrulnik (L’Obs du 21/01/21)
& Serge Rezvani (in La cité Potemkine)


lundi 18 décembre 2023

A contre-saison #12

18 juin



"Le jour où elle comprit que le flot doré était de la lumière,
elle rit tout fort de la pure joie de la découverte."
 
Nancy Kress (in L'une rêve, l'autre pas)
 

mercredi 13 décembre 2023

Vivaces #46

J’ai posté une lettre importante tout à l’heure, à quelqu’un d’important pour moi, qui perd la mémoire. Je n’ai pas fait mention du drame d’hier. Aucune mention de Nice et de la tuerie du 14 juillet. J’ai parlé d’autre chose, sans le décider. Nos vies se déploient juste à côté des dates. Nos vies et gestes lancés dans le temps, faisant œuvre de temps, se déposent juste à côté des grandes dates collectives.
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Ma position relève d’une décision : « Toute vie est un principe de démolition », nous rappelle Fitzgerald, mais pour autant on continue à se lever.
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Ôter de nos paupières le néant chaque matin, puis plonger dans le flot vibrant de l‘illusion. Se laisser porter jusqu’à devenir un mirage bariolé. Mais se souvenir de la vérité.
 
Marie Richeux (in Climats de France)
& Claire Marin (L’Obs du 01/06/23)
& Olga Tokarczuk (in Jeu sur tambours et tambourins)

mercredi 6 décembre 2023

A contre-saison #10

6 juin 2023


(Allégorie pour aujourd'hui, d'il y a six mois, festival Parades à Nanterre)

vendredi 1 décembre 2023

Attentives #33

Nous voilà à l’orée de cette jungle des lendemains où seuls les mots-images, les mots-signes désigneront. On ne dira plus – on désignera. Une nouvelle forme représentera. Une forme simple, discontinue, que l’esprit ne lira plus mais happera. Nous serons sortis des complexes repentirs dont les phrases, leurs nuances, leurs sinuosités, leurs tâtonnements à vue plaçaient le déchiffreur sur les plans subtils d’une connivence humaine. La parole-image nous tire vers l’animalité, vers le cri, vers le raccourci, vers l’information primitive manichéenne, brute, telle qu’elle se met en place sur les écrans et à la surface des journaux. Les images parlent, prétendent ceux qui manipulent ces raccourcis. Les images sont les chocs dont l’homme du mouvement et de la fuite s’électrise, disent ceux qui prétendent fabriquer l’homme d’aujourd’hui et d’après-demain. Il suffit de savoir faire crier les images, disent-ils, nous ne voulons pas susciter la réflexion mais les réflexes des masses auxquelles ces images sont destinées. Faire choc, telle est l’expression des journalistes et des cinéastes distributeurs de ces images destinées à instruire, prétendent-ils, destinées à former l’opinion de ceux qu’ils considèrent comme une gélatine populaire. À force de manipuler cette gélatine populaire à coups d’images-cris, cela finit dans le dédain des mots et des subtilités de leur signification.

Serge Rezvani (in Les repentirs du peintre, 1993)