samedi 30 juin 2018

30 juin

Usées jusqu’à la corde, et cela ne suffit pas, il faut encore que tombe la pluie. Sorties du placard elles ont pauvre allure, une araignée morte depuis longtemps a tissé sa toile dans l’embouchure et y a retenu des moutons de poussière. Et pourtant leur mémoire de forme est d’une fidélité à toute épreuve, on pourrait y couler du bronze et l’on se retrouverait avec deux pieds jumeaux des deux nôtres, pesant leur poids de postérité. Ces pieds-là resteraient sans broncher au fond du torrent de montagne, au lieu que les orteils de chair, saisis, se recroquevillent.
Car elles font éponge sur le bitume, c’est confirmé. Mieux vaudrait les enlever et marcher pieds nus. D’un geste auguste, on les laisserait tomber par leurs lacets effilochés dans une poubelle transparente, et l’on serait libre, enfin. Comme s’il ne s’agissait pas toujours de cela... Les torrents de montagne entament leur crue à des centaines de kilomètres, là où se canalisent les habitudes. Ici, nos contraintes ont nom consommation ou endettement. Pourtant il s’agit bien de se mouvoir, la porte est ouverte, l’air du dehors est frais. Sous la douche doucement tiède effacer la déteinte.

vendredi 29 juin 2018

29 juin

Le sourire le plus franc est un mystère. Il y a une vérité cachée derrière, qui ne passe pas par les mots, soient-ils seulement pensés. Ceux qui sourient, eux-mêmes ignorent l’étendue de ce qu’ils savent. C’est une connaissance lointaine, transmise au fil des générations à l’insu de ses gardiens, l’idée originelle que nous serions tous frères. À chacun de nous, naissance a été donnée, et depuis lors les sourires qu’on nous adresse perpétuent ce don, nous voudrions confusément nous blottir contre le sein d’une mère.
Vient l’attente, qui semble ne pouvoir jamais être comblée. On s’en satisfait dans un mouvement de flux et de reflux. On s’y complaît parfois, à distance les filles sont déjà si jolies ! On va de trop tard en trop tard, et cela pourrait durer toute une vie. Mais se dégager du flux est une autre affaire. La fougère devient fossile, on passe au temps géologique, on se perd dans le temps cosmique. Y a-t-il encore quelqu’un par ici, pour un sourire qui ne soit distraction ou réflexe reptilien, sommes-nous encore de ce monde ?

jeudi 28 juin 2018

28 juin

Quand tu marches tu n’attends pas, tournerais-tu en cercle. Cela peut durer toute une journée sous le soleil, à s’en cramer le crâne, tu n’attendras pas. Ou tu seras en train d’attendre, ce qui n’est pas attendre. Allons plus loin : cesse de marcher, reste dehors. Le souffle de vent sur ta joue, comme par l’effet de ton propre déplacement, te démontre que tu n’attends pas. Et s’il n’y a pas de vent, il y aura autre chose, un papillon, un son, l’hypothétique imminence d’un désir. Même tu t’endormirais, ce ne serait plus attente. Ne parlons pas de mourir.
Du temps où tu portais les cheveux longs tu aurais pu voir le monde d’un peu plus haut mais tu marchais voûté. Ce n’était pas désagréable, tu ne ressentais aucune douleur. Tu voyais en coin ce que la plupart des gens ne soupçonnaient pas, leur position relative dans l’espace. Leur arrivisme. Toi tu ne te souciais guère d’arriver quelque part, hormis au creux d’un sexe mythifié. L’amour était un pari amoureux. Depuis tu as réaligné ta cambrure, selon des principes ergonomiques. On pourrait te juger guindé. Mais toi tu sais qu’il n’est plus temps – d’attendre.

mercredi 27 juin 2018

27 juin

Il faudrait mettre en lien l’attente. Non pas l’attente de quoi, de qui, mais l’attente pourquoi. Ou comment ne pas attendre. Il doit bien y avoir une alternative à la défaite – qui ne soit pas non plus banale ou médiocre victoire.
On peut entendre à vingt mètres de distance, fenêtres ouvertes, le son caractéristique d’un coupe-ongles. Dans le règne de l’attente il y a agacement. L’alternative serait une averse soudaine noyant le bruit sous le bruit.
La non-attente se tient parfois à l’intersection de l’observation et du discours. Le corps contredit la fiction, ou c’est la fiction qui est en avance. L’averse tombe mais doucement, moins puissante qu’un cliquetis de clavier.
Ou l'attente signifie peu. Elle demeure absconse, un dépit, une tristesse, l'amorce d'une supposition. Les filles sont jolies et voilà tout. D'autres jeunes hommes paradent, chacun son style. L'attente, c'était l'espérance.

mardi 26 juin 2018

26 juin


Perpendiculaire serait égal, un lit est une croix, ajouterait-il s’il y avait lieu de repentir. Ce n’est pas vrai : il y aurait lieu mais il n’y a pas la place, la place est prise depuis dix jours. Les parallèles sont lancées dans la grande course du temps, déjà elles s’infléchissent, aux certitudes ne pas se fier. Si la mort était instantanée, que d’un coup il n’y ait plus rien, avant même le moindre sursaut de conscience – voire de sensation –, serait-ce préférable ? Tu lis ton journal et l’instant d’après : le néant. Ta postérité à jamais hors de question.
Dans l’allée du centre commercial une mère radieuse passe avec son bébé dans les bras près des tubes de néon verticaux qui le fascinent – « Presque attrapé ! Au suivant ! Bravo ! » Dans le jardin public, une dame en surpoids appelle d’une voix lasse les enfants dont elle a la charge – « Mangez un bout de gâteau ! Venez ! » S’il y avait repentir, il remonterait loin en amont. On effacerait la question originelle – « Qui voudra de moi ? » Et un soir comme celui-ci, le soleil plus bas que les nuages créerait un ciel à la Turner.

lundi 25 juin 2018

25 juin

Il n’y a pas un chat dehors. Des oiseaux dans les cerisiers sans plus de cerises. Des gouttes éparses sur le pare-brise, attestant qu’il a plu au cours de la nuit. Le départ du retour est toujours plus facile que celui de l’aller.
La température extérieure monte à contre-courant de l’altitude, à moins que ce ne soit dans le courant du jour qui s’avance. Quand elle diminuera à nouveau, ce sera peut-être le signe que le soleil descend ou que le Nord approche.
Entre le Sud et le Nord il y a surtout un premier amour, qui malheureusement ne sera pas disponible pour boire un verre au passage, vu qu’elle est couchée sur son dos bloqué. Compassion naturelle, et pointe de soulagement dans le regret.
Serait-ce déjà le retour du répit ? Dans un village où il ferait bon vivre, nulle âme par les rues ni aux fenêtres. Des équipements urbains dernière mode, acquis au salon des maires de France, un émoticône vert sourit et dit « Merci ! » à moins de 50km/h.
Tout bien réfléchi, demandons-nous plus à ceux que l’on choisit d’aimer ? Se consoler de l’éviscération d’un chat sur la chaussée en se disant que des vies d’oiseau seront préservées, possible, mais comment se consoler du déchirement d’un oiseau ?
Une vingtaine de jours de marche sans se presser, la distance sur pneus effectuée en un même laps de temps que la veille. (Pauses comprises, tituber dans des villages déserts.) Ce à quoi servent les voitures. La solution est l'abeille libérée par le hayon, loin de chez elle.

dimanche 24 juin 2018

24 juin

Celui qui s’inquiète de perforer la terre avec ses bâtons de marche soudain découvrira les pylônes plantés des remontées mécaniques. Le cheminement fut hideux longtemps dans ce paysage ravagé, mais indispensable à la découverte d’un vallon édénique juste avant le col.
Une, encore une prairie d’altitude parsemée de fleurs et dont l’herbe semble si tendre qu’on en mangerait. Deux, les pierres aussi stupéfiantes que les fleurs. Moins colorées, plus nervurées. Comparer leurs caractères. Trois les fées, ainsi qu’on appelle les concrétions rocheuses qui se découpent sur les crêtes quand le soleil se couche à leur hauteur.
La pierre est fractale de sa montagne, et l’éblouissement de la cornée fractal du soleil derrière les nuages (la tomographie cérébrale sera fractale au second degré). À la nuit on ne marche plus. On tâte du bâton la piste blanche. La fatigue a fait redescendre d’une arcade l’inconscience de la belle santé.

« J’ai décidé de renaître, jugeant qu’il y avait encore de quoi se réjouir. Oui, cette planète était belle ; la prochaine fois j’en chercherai une autre. »


samedi 23 juin 2018

23 juin

     Un, les nuages dirigés par le mouvement des yeux, sur la droite cet amas menaçant, par ici l’orée plus claire. Et le ciel dialogue avec Binh-Dû. [Tiens, le revoilà ?] Deux, les névés traversés, ils sont au rendez-vous, comme la réassurance que tout va bien en dépit des canicules. Pour le moment encore, tout va bien. Trois, l’eau bue à la source, dont l’esprit diffuse dans tout le corps. Encore, encore. Toujours courir parmi les fleurs et les mousses tendres.

     Retour dans les cirques magiques. La fluidité souvent laisse incrédule. D’autant que la nuit fut difficile : une chèvre avait mordu la main de Binh-Dû et les outils de l’infirmière (une scie crantée bonne à tailler dans le bois une béquille) ne lui inspiraient pas confiance. La femme qui lui voulait du bien masquait visiblement la crainte qu’il lui inspirait, et ne semblait pas vouloir le guérir d’un baiser. Lui-même, que voulait-il ? Il ne ressentait aucune douleur, mais la violence.

     Aucune douleur au jour, le ciel parfait avec ses nuages idéaux. Rien d’épique dans le bien-être et la beauté. C’en est presque fini de l’escapade, on n’ira pas plus loin à l’est. L’ombre des pluies se maintient à la frontière, l’humeur égale est raisonnable. Un serpent traversa le chemin. L’homme le regarda intensément, cherchant à comprendre son message. Le serpent s’éloigna dans les rhododendrons : « Mon ami, tu avais réclamé de la clémence. »

vendredi 22 juin 2018

22 juin

Un, c’est le paradis. Une succession de vallées d’altitude entourées de pentes plus ou moins sévères au-delà desquelles le ciel... Le paradis est sous le ciel. Deux, un papillon noir dont les ailes repliées, moirées de bleu, sont en forme de delta. Il n’a rien de spectaculaire. Posé sur le dos de la main découverte, il en suce le sel. Trois, une prairie semée de boutons d’or, de violettes, de gentianes et de myosotis, et d’autres fleurs encore dont le nom importe peu. La niverolle volette au-dessus de l’embarras du choix. L’air est doux. Comme ces montagnes sont bienveillantes... Quand un dantesque coup de tonnerre ébranle l’atmosphère.
Le mantra adéquat, à chaque pas, reste « merci », même la pluie s’abat en grêlons afin de ne pas tremper l’homme qui marche. Merci pour les intempéries qui reconnaissent au lieu sa force païenne. Merci pour les égarements qui aboutissent ici, et pour la permanence des bouquetins, des marmottes et des craves à bec rouge qui passent l’hiver sans la gêne d’une présence humaine. Merci tout autant pour les pieds de l’homme, ses jambes, son cœur, le ressourcement. L’expérience recouvrée de la volonté, dissimulée des mois durant sous les inquiétudes et les velléités. Merci quand, par l’effort consenti – les bienfaits dispensés.

jeudi 21 juin 2018

21 juin

(Binh-Dû s’est fait remarquer toute une saison. Il est un peu las de son nom. Voyons si l’on peut s’en passer.)

       Un, les cumulus qui s’élèvent à la verticale dans le ciel, derrière la crête des montagnes. D’une blancheur immaculée, identique à celle des plaques de neige accrochées aux parois. Puis se délitent. Deux, les gouttes de pluie en soirée, qui soulèvent des cratères sur le chemin de sable, tant elles sont grosses ; tant elles tombent de haut. Trois, le moineau qui vient s’agripper au rebord de la vitre fermée côté passager. Pour un peu il toquerait du bec un message énigmatique.
       Reprenons : aux pylônes des télésièges offensant le regard succéda une croix plus ancienne, tout autant superflue. Mais à son pied on ne la voit plus. Un chien patou tint à gueuler haut son hostilité, je ne vais pas les bouffer, tes moutons ! Fut-il rétorqué. La pluie a attendu un moment de tranquillité sous l’abri d’un chalet pour s’abattre, le soleil brillait, cela a duré. Puis le moineau.
       (Mais la pluie n’est pas si mémorable, reléguée aux lisières si l’objectif est de retenir trois moments parmi l’abondance nouvelle – ah, quittées les villes ! –, deux aurait été le torrent traversé, si froid que les pieds d’une certaine façon sont encore dans le fond, parmi les cailloux plats.)

mercredi 20 juin 2018

20 juin

Un, le parfum du jasmin. Qui atténue la canicule à venir. Deux, le goût du pain. Nous sommes sauvés. Trois, une douche en douce.
Dans les montagnes il fait seulement chaud. Alors qu’en plaine on meurt.
La forêt escarpée incite à renoncer mais la vieillesse ne sera jamais d’actualité. Quand il était petit, Binh-Dû se persuadait qu’il ne mourrait jamais, quand il sera très âgé il découvrira qu’il avait eu raison. Il se trompait juste quant à la forme que prendrait son immortalité.
Pas âme qui vive au refuge de la cascade, mais une paire de tongs sur le seuil, des habits à sécher sur une corde tendue.
Peut-être vaudrait-il mieux mourir en compagnie que survivre seul.
Délivrer un ultime regard encourageant, dans des yeux apeurés, voilà qui serait sympathique. Beaucoup plus bas, là où la cascade s'est horizontalisée et ne laisse plus entendre qu'un murmure, Binh-Dû se couche près d'un bâtiment à ciel ouvert qui hébergera des poneys.

mardi 19 juin 2018

19 juin


Ah oui, ils se lèvent tard. En plus ils vont au cinéma. Une vieille dame robinsonne sur la plage d’une station balnéaire l’hiver, et ne s’en trouve pas plus mal, dès lors qu’un chien lui renvoie son regard et qu’elle parvient à ordonner le peu de souvenirs qui lui restent. Dans la rue, un couple d’amis surgit, leur offre des cerises. La main de la femme, gardée tendue, tenant la barquette, paraît à Binh-Dû d’une générosité inouïe. Au supermarché, des courses sont effectuées sans rien voler, saumon, avocats. Les avocats se révèlent pourris mais la salade de la veille est fraîche encore. Les mots dépixellisés libèrent des ellipses.
Ils sont en retard. Ils rejoignent les autres à un mini-concert. Puis ils se séparent, Binh-Dû et son amie. Il y a de gros morceaux de bœuf sur le barbec'. Une assiette pour lui puisqu’il est là, ça se passe comme ça. De nouveaux prénoms, aussi des courgettes du jardin. Binh-Dû fait une dernière blague, il part à la cantonade. Depuis le pont routier on les distingue encore, la grande table au bord du fleuve. C’est l’heure des éphémères. Plus nombreux sur la route qu’il n’y a d’êtres humains sur la planète. Hécatombe sur le pare-brise, Binh-Dû s’arrête, pisse sur le parterre d’un monument à la guerre. Les étoiles veillent.

lundi 18 juin 2018

18 juin


On a beau dormir sur un matelas à mémoire de forme, on ne s’en souvient pas mieux de ses rêves. Binh-Dû s’en va au lac avec cinq amis dont quatre qu’il ne connaît pas. Trois garçons et trois filles, zéro couple, c’est facile. Au lac on se baigne et on crache des noyaux de cerise le plus loin possible. Binh-Dû juge l’eau trop jaune, le soleil pas assez chaud, et son nouveau ventre disgracieux, alors c’est tout juste s’il retire ses chaussures. L’une des filles reste sur la berge elle aussi, sans que personne n’y cherche motif. Elle se tait quand les autres parlent, de choses et d’autres. Sauf à un moment vers la fin ; Binh-Dû essaie de tendre l’oreille mais il est lui-même en pleine conversation avec l’un des garçons. Au garçon, Binh-Dû déclare : « L’attention sincère que tu portes aux autres, elle se voit, c’est de la pacification préventive ». Quoique cela témoigne, il y a des éclats de rire qui se perdent. Le soir, Binh-Dû et son amie se souviennent qu’il leur reste du travail à accomplir, c’est même la raison de sa venue ici. La bougie colle son fond de mèche à la table. C’était comme un dimanche à la campagne. Il est quatre heures du matin.

dimanche 17 juin 2018

17 juin

Binh-Dû n’obtempéra pas à la sonnerie matinale du réveil.
Il s’accorda une heure de sommeil supplémentaire.
Il avertit son amie qu’il arriverait vers treize heures plutôt qu’à midi comme prévu. Super, cela me laissera le temps de ranger un peu, lui répondit-elle. Binh-Dû se sentit dès lors en avance et alla consulter ses mails sur l’ordi.
Il prit du retard, ce faisant.
Et puis il ne trouvait plus son bermuda kaki.
À mi-chemin, il dut prévenir son amie que, la distance étant ce qu’elle était et non ce qu’il s’était approximativement imaginé, il arriverait à quatorze heures. Super, répondit-elle, comme ça je pourrai aussi prendre une douche.
Il arriva à quinze heures. Elle avait faim, lui aussi. Super ! se dirent-ils.
Il pensa qu'il avait de la chance d'avoir des amis exempts de tout reproche.

samedi 16 juin 2018

16 juin

Ayant tenté de se coucher suffisamment tôt pour dormir son content, Binh-Dû se réveilla avant midi et avant que l’alarme ne sonne, il prit un petit-déjeuner. Rallumant son téléphone portable, il y trouva un texto de l’amie supposée l’attendre dans la soirée, qui lui demandait s’il ne pourrait pas plutôt arriver le lendemain. Il en ressentit un fort soulagement, comme si un sursis lui était accordé. Comme si quitter son confort ordonné était une effroyable prise de risque. Comme si s’en aller vivre c’était mourir.
Il eut donc beaucoup de temps pour vivre lentement, et passa une bonne après-midi. Puis il commença à prendre du retard sur son nouveau planning qui prévoyait qu’il se couchât tôt, et qu’ainsi il pût dormir suffisamment avant de se lever de bonne heure le lendemain. Comme la vie est compliquée, méditait-il, allongé bien parallèle dans son lit, attendant le sommeil. Las, et pourtant il ne lui restait plus rien d’autre à faire pour se mettre en avance. Peut-être se tourner sur le côté et compter ses vertèbres ?

vendredi 15 juin 2018

15 juin


Est-il correct de transpirer autant ? s’inquiète Binh-Dû, bien que les gens autour de lui ne paraissent pas s’en offusquer. Ils sont plongés dans leur monde intérieur, dénué d’odeurs. Binh-Dû aimerait bien faire comme eux, mais son métabolisme puissant souhaite s’exprimer. Eh, oh, j’existe ! Je suis biologique ! J’ingère, j’exsude, je fais mon beurre, j’huile mes mécanismes organiques, de moi émanent des phéromones pour qui voudrait les capter au passage. Mon coefficient de séduction déborde la politesse du quant-à-soi, ça te dirait de co-métaboliser ?
Son ex-amoureuse amie lui dit quelque chose qu’il interprète à la sauce rilkienne, Binh-Dû serait terriblement séduisant. Une constatation souhaitée et appelée de toute la force de son angélisme (celui de Binh-Dû), qui rejoignait à merveille le charme exhalé (celui de l’amie). Il serait également terriblement attachant, et là bizarrement Binh-Dû voit apparaître une vieille poêle dans laquelle ne plus ambitionner de réussir une omelette, quelque quantité de beurre qu’on y mette à fondre. Mais séduisant, pourquoi pas ? Les doigts glissent sur la peau.

jeudi 14 juin 2018

14 juin

Binh-Dû lutte contre les moustiques, les mauvais rêves, la chaleur, des douleurs imaginaires. Il ne comprend pas que des gens puissent faire vrombir des machines dès le matin. Ils n’ont pas d’oreilles ? Il ne comprend pas grand-chose de ce que la plupart des gens admettent comme normal, correct. Il aimerait pratiquer l’insolence mais cela ne lui vient pas, ou alors sous forme de rage sourde. L’insolence tue est-elle encore de l’insolence, la résistance passive est-elle un acte convaincant ? Binh-Dû se tient sur le départ, dans un entre-deux instable. Il se souvient d’attentes où il fut plus déterminé. Il se souvient d’autres fois où tout ce qu’il apprenait était une redécouverte, et même il souriait à l’idée qu’il allait l’oublier une fois de plus. L’amour non vécu est-il encore de l’amour ? L’amour non vécu est quelque chose qui passe, telle une saison maudite, à la fin l’on pleure des larmes amères (selon l’expression). Mais personne n’entend. Si Binh-Dû savait se faire entendre, alors il n’aurait pas besoin de dire avec tant de détours. Demain il bouclera son sac, et ce sera comme une protestation induite.

mercredi 13 juin 2018

13 juin

Le loup de compagnie a le ventre ouvert, il se meurt. Couché auprès de son maître maléfique, lequel devrait payer pour les crimes perpétrés et ceux occasionnés en retour. Binh-Dû s’approche, l’arme à la main. La rage au cœur. Tu ne pourras le tuer de la sorte, dit une voix. Binh-Dû avance encore, ouvre les bras et commence à se dissoudre en un sourire d’indulgence absolue ; son maître se dissout à sa suite mais en grimaçant, se tordant de souffrance. Ne reste plus qu’un amas de fourrure et de viscères dans le caniveau, le réverbère éclaire mal. Pour la cinq-cent-soixante-quinzième fois Binh-Dû traverse la cité dont les barres d’immeubles prédisposent à l’effacement. Un enfant sur son skate lui dit bonjour, puis une grosse dame assise sur un banc, aux deux il répond d’un sourire. Il ressemble un peu au jeune homme échevelé floqué sur son tee-shirt, aux airs de Méduse. Parfois on ne sait plus si l’illusion recouvre un monde (totalitaire) cartographié par des drones-lézards, ou un autre monde totalitaire en voie de contamination post-organique, ou le monde totalitaire où l’on marche et l’on rêve.

mardi 12 juin 2018

12 juin

Ailleurs c’est demain, et aujourd’hui pourrait être un moment d’insolence. L’insolence est une réponse, rumine Binh-Dû qui n’a pas articulé un son depuis trois jours. D’ailleurs, pourquoi ne pas mugir ? Être la vache qui cherche à attraper sa queue. Écraser une mouche en tombant sur le cul. Dans la boue déduire une direction marquée par l’empreinte de sabots. Partir à l’aventure sans savoir si les traces sont celles d’une autre vache ou bien les siennes, car on ne se souvient pas de tout, il se pourrait que Binh-Dû reprenne constamment la même quête.
             L’insolence, donc, sur le dos d’une vache. L’insolence est le doigt pointé du soleil. C’est plonger dans la saturation des couleurs, ne plus craindre de se faire tanner le cuir, que toujours brille l’œil humide d’une intensité aux infinis chromatismes, et toujours suive le rire, tant on n’est pas sur Terre pour se lamenter de devoir la quitter. Un amour offert ne se refuse pas, se souvient Binh-Dû, sous le petit pont coule la rivière où fut confiée une promesse. Dans l’eau glacée enfoncer le pied qui émergera guéri, par la réitération des miracles.

lundi 11 juin 2018

11 juin

Alors qu’il emprunte pour la trois millième fois de sa vie la rue de l’égalité, non loin de chez lui, qui descend en pente douce vers le boulevard, avec à droite les locaux d’une agence de publicité et à gauche des pavillons remplis de chiens, de vieux et de petits-enfants qui viennent le week-end s’asseoir sur la balançoire du jardin, Binh-Dû est assailli par la pensée que tout ce quotidien monotone, bien ordonné, égal en toutes choses, n’a d’autre fonction que de contenir la panique. Du moins la sienne, qui menace, tel un rendez-vous solitaire face à la télévision.
« Quelle journée magnifique, cette fois c’est vraiment l’été », s’extasie à l’attention d’une voisine une femme entre deux âges, venue probablement insuffler un peu de dynamisme à ses retraités de parents. Suffit-il de dire pour que soit ? Pour que se restaure l’optimisme des jours prochains ? Binh-Dû devrait en prendre de la graine au lieu d’identifier sous ces mots un sentiment de terreur. Nier la peur relève de la politesse, si l’on veut, il serait peut-être temps de quitter cette ville. Ailleurs, peut-être, le soleil brillerait d’une illusion moins déchirante.

dimanche 10 juin 2018

10 juin

Dès qu’il y a gare il y a métaphore, médite Binh-Dû sur le quai. Personne n’est tombé sur la voie, qu’on se rassure. Nulle bombe n’a explosé. Il ne s’est presque rien passé, d’ailleurs il ne reste plus que Binh-Dû, les bras ballants, qui regarde l’affichage annonçant le prochain tramway dans neuf minutes.
Il est le premier maintenant. Il peut se diriger lentement vers le bout du quai, comme ça il n’aura plus qu’à faire un pas devant lui pour entrer dans la rame par la porte même où il en sortira, arrivé à destination, juste en face de la sortie. Tout bien ordonné. Les choses telles qu’elles doivent l’être.
Si le tramway précédent et lui sont arrivés simultanément, cela semblait de bon augure. Il a remonté à contre-courant le flot des passagers – pour gagner du temps. Il a voulu entrer dans la rame au dernier moment, la porte était « réservée à la descente ». La porte suivante l’était aussi et ne s’est pas ouverte.
Le tramway est parti sans lui. Les amoureuses de Binh-Dû ont tendance à le laisser sur le quai. Lui-même en demande trop, ou tarde à se décider. Un certain sens tragique consiste à idéaliser la suspension du temps, paniquer à la pensée d'une seule minute perdue. Et accomplir in fine un destin contraire.

samedi 9 juin 2018

9 juin

Ce n’est pas la joie, croit constater Binh-Dû, tant se lever ce matin lui fut un effort. L’assertion est prophétique, elle ne s’en impose pas moins. Quelques lunes plus tôt il se riait de la distinction nulle entre se croire amoureux et l’être. Maintenant, que va-t-il faire ? Glisser du sentiment de la vieillesse à celui du désespoir ? Se souvenir des temps bénis, cela se passait ici et cela se passait là, et cela n’a plus lieu de se passer désormais ? Mais qui voudrait le suivre au fil de ces considérations méandreuses...
           Quelqu’un dans un an lui dira J’étais là. Tandis que tu te lamentais j’étais tout proche et je n’attendais qu’un appel de toi. Peut-être n’attendais-je pas avec une telle intensité, mais j’aurais répondu. Quelqu’un mais qui ? Binh-Dû fait un tour d’horizon comme on se retourne dans son lit, il n’aperçoit personne. Quelqu’un dans un an lui dira Je n’étais pas encore là mais sur le point d’apparaître, n’en avais-tu pas le pressentiment ? Le soir venu Binh-Dû ferme les yeux, il entend mieux. Il ronfle.

vendredi 8 juin 2018

8 juin


C’est jour de fête. La plus danseuse des amies de Binh-Dû, en jeune épousée s’avance cachée derrière un bouquet de roses blanches, et s’autorise à l’abri des regards une dernière exultation d’enfance avant de rejoindre la noce. Puis lui aussi quitte la grange et retrouve à l’une des tables dressées sur la pelouse son amoureuse d’il y a cent douze jours. Quatre lunes plus tôt exactement ils se voyaient pour la dernière fois avant ce jour, sans le savoir, le compteur est remis à zéro mais tout a changé d’une certaine façon (et non d’une autre), est-ce que cela suffira ? Est-ce que cela sera satisfaisant ? Peut-on s’étreindre à la fin devant une station de métro puis se séparer en souriant sans qu’un baiser ne soit échangé ? Tout en s’enfonçant dans la forêt, Binh-Dû médite sur le mieux que rien, les prostituées dans leur caravane ne dérangent pas sa promenade.
De retour à la prairie où plus rien ne s’impose. Dans cent douze jours, qui sait où les convives se seront dispersés, combien auront quitté le pays, emménagé dans un nouveau lieu, commencé une nouvelle vie. Il en faut peu pour se représenter telle ou telle décision de couple comme un sceau de mariage, Binh-Dû a toujours détesté les engagements qui l’excluent. Il a rarement le cœur à lancer du riz. La question du désir semble donc close, quant à celle de l’altruisme, elle ne s’est tout bonnement pas posée lors de leurs retrouvailles, à moins que son amie et lui ne l’aient résolue en la passant sous silence. Faisant comme si le désir n’était pas désespérant, par finalité. Il faudrait donc continuer à marcher côte à côte jusqu’à ce que la route bifurque, accompagner l’extinction des signes, et que Binh-Dû reparte s’investir ailleurs en bon homo economicus ?
Il y a trois attitudes possibles face aux extraterrestres, préfère-t-il théoriser : la première consiste à se croire l’un deux, échoué sur la Terre ; la deuxième réfute ce sentiment d’appartenance exilée ; la troisième identifie chez nombre de contemporains le gêne extraterrestre envahisseur. Dans le premier cas on est animé des meilleures intentions, on est gentil, on se sent terriblement seul. Le deuxième cas requiert beaucoup d’espérance ; c’est une consolation dispensée par un être humain certifié, envers qui éprouver de la gratitude. Dans le troisième cas nous avons besoin d’alliés car la guerre est en cours et nous résistons avec peine. L’ex-amoureuse de Binh-Dû rejoindra peut-être une cellule de lutte autonome. Binh-Dû quant à lui reprendra son bâton de samouraï. Puisant son courage dans l’orgueil anticipé de ses propres funérailles.

jeudi 7 juin 2018

7 juin

Rester altruiste ou engager à plein son désir. Tel est le dilemme qui attend Binh-Dû de l’autre côté de la nuit. Avant cela, une nonagénaire en regain déclare son amour à un eurasien qui pourrait être son petit-fils. Ou le frère de Binh-Dû, est-ce sa faute si la vieillesse ne cesse de se rappeler à lui ces jours-ci ? La vieille dame a de sévères pertes de mémoire, ses yeux brillent comme à quinze ans et son sourire contient un peu de l’abandon passionné auquel elle se livrait du temps où les hommes s’évertuaient à la séduire. Le frère de Binh-Dû est troublé, il n’imaginait pas que son charme pût être si puissant. Personne ne concevrait qu’il engage son désir, et pourtant il y a sollicitation. Pourtant il prête déjà son bras, sa main, il laisse caresser sa joue. Binh-Dû tire certainement avantage de son altruisme, ne serait-ce qu’un allègement de responsabilité envers lui-même, qu’il noie dans l’attention aux autres. Et le dispense de décider ce qu’il ressent, conséquences incluses. Il ne cessera jamais d’éprouver les sentiments d’un enfant de quinze ans ou d’un vieillard de quatre-vingt-quinze. Il cessera peut-être un jour d’être si raisonnable, et on lui en saura gré. Ou il périclitera sans dommage apparent.

(merci à Valeria Bruni Tedeschi)

mercredi 6 juin 2018

6 juin

D’abord, Binh-Dû peste contre la décision prise de fermer le parc en raison d’une alerte météorologique. Il exècre cette logique d’alerte qui envahit insidieusement le quotidien. Si éloignée de la vivacité du moment présent. Si petitement sécurisante. Certes, le vent souffle un peu fort, et alors ? N’a-t-on plus le droit de risquer de se prendre une branche morte sur la tête ?
Ensuite, il s’essaie à la plaisanterie avec une hôtesse d’accueil (quelle vulgarité dans ces appellations marketing...). Il propose qu’on lui rembourse ses tubes de dentifrices sans en retrancher la promotion de deux pour le prix d’un. Il se fait pitié. Devant le stand des légumes, il informe un couple que les avocats bios sont moins chers que les pas bios. Mais qu’est-ce qui lui arrive ? Lui revient en mémoire qu’à la poste, il a perdu deux minutes à négocier avec un automate le rapport poids/euros d’un paquet à timbrer.
Il est devenu vieux, c'est ça ? Et avare, par-dessus le marché ? Ou bien a-t-il toujours été vieux et avare ? Et acariâtre aussi, croyant que c'était de la rébellion ? Ou bien est-ce seulement la peur de vieillir qui l'amène à s'inquiéter si souvent de son âge ? Il accélère le pas, face au vent. Alerte au fâcheux, à l'ennuyeux ! Qu'un pot de fleurs tombe et le réveille !

mardi 5 juin 2018

5 juin

Il y a des lettres que Binh-Dû a raison de méditer longtemps pour en définitive ne pas les envoyer. Le problème est qu’il ne sait jamais lesquelles. C’est-à-dire qu’il s’en doute, sur le moment cela ressort de l’intuition. Mais même ce doute intuitif est sujet au doute, puisque le moment est composé de moments. Par exemple, le moment de l’écriture est exempt de repentir (par exemple et par définition tant ce présent-là est compact). En revanche le moment du remuement ensommeillé (la première nuit qui porte conseil) imagine déjà des alternatives à ce qui n’est pas encore un souvenir fiable – est-ce bien cela qu’il a écrit et qui ne convient pas, mais alors pas du tout ? Puis il y a le moment de la relecture qui est toujours une expérience d’étrangéité – quelqu’un a écrit ceci qui convient ou ne convient pas. S’initie alors le cycle des réécritures, une succession de moments cumulatifs, progressifs, parfois récessifs, tous similaires dans la forme et par le sentiment de relative absurdité qui les accompagne. Porté à l’extrême, Binh-Dû parvient, au terme d’une noria de rendez-vous avec lui-même, à un texte qui, s’il était envoyé à sa destinatrice, produirait dans le pire des cas un effet dramatique et piteux et dans le meilleur une faille d’entendement. (Ou bien non ? Ce serait l’amour reconnu, maintes fois esquivé ?) Le moment de l’envoi s’arrache par orgueil au conditionnel, Binh-Dû s’est par le passé donné des gifles. Reprenons, quelle était l’idée, à l’origine ? Il cherche, il doit fouir parmi ses phrases. Ça ne ressort pas, ça reste caché. Il gagnerait du temps à téléphoner.

lundi 4 juin 2018

4 juin

Cette jeune acrobate, on en tomberait instantanément amoureux, non seulement parce qu’elle est acrobate mais pour ce moment où elle se tient immobile sur le devant de la scène et laisse monter les émotions sur son visage. Ce moment où toute une palette d’intimité se dessine et s’expose, confraternellement.
Ce n’est pourtant pas trop l’humeur de Binh-Dû – la confraternité. Mais il se souvient de l'amie du 31 mai suggérant qu’un bavardage misanthrope dissimulerait de la bonté. Question de pudeur et de priorités. L’acrobate si aimable dont il pourrait être le père, il lui semble qu’il pourrait ainsi qu'un fils désirer se l’accaparer.
Comme une impulsion très naturelle, le tabou consisterait à aimer sur un pied d’égalité. Ni père ni fils, et en vertu, oui, d’une conception tendancieuse de l’amitié. Elle lui sourit, lui dit merci. Binh-Dû, tel un petit frère rangé des voitures et des footballeurs, lui achète un poster qu’il punaisera sur une porte de placard.

dimanche 3 juin 2018

3 juin

Binh-Dû ne se lève pas au son du réveil, il bâcle une collation minimale, rallonge son trajet de plusieurs kilomètres et de longues minutes – faute de l’avoir correctement étudié au préalable, il arrive donc en retard pour le spectacle qu’il aurait aimé voir, se rabat sur un attroupement, les gens rient, à vue de nez un comédien travesti parodie Céline Dion, la pluie se met à tomber, l’amie que Binh-Dû devait retrouver est introuvable, ne répond plus au téléphone, le ciel reste obstinément gris pluvieux, tous les spectacles sont annulés, Binh-Dû se perd puis doit se rendre à l’évidence : on lui a volé sa voiture.
Binh-Dû se réveille quand son corps lui en donne le signal, il invente sur le pouce un plat de restes, dans sa voiture les heureux embranchements de l’autoradio font passer ses inspirations erronées, le spectacle manqué sera rejoué demain – au moins ce mauvais clown fait rire les enfants –, puisqu’il pleut Binh-Dû se réfugie dans un supermarché où il espère trouver une boîte de haricots verts, au tournant d’une allée il tombe nez à nez sur son amie en panne de batterie entrée acheter des collants, ils se racontent leurs vies dans une brasserie, la voiture attend là où Binh-Dû ne se souvient plus de l’avoir garée.

samedi 2 juin 2018

2 juin


Mais tout va bien, répondent les quatre mésanges jaunes qui à l’aube s’ébattent dans la gouttière. Le ciel à cette heure donne la part belle aux cirrus, comme à la tombée de la nuit, c’est étrange, raisonne Binh-Dû qui n’a guère l’habitude de traîner une insomnie jusqu’au moment où le soleil paraît derrière le toit de tuiles. S’il avait dormi et s’il buvait du thé, l’heure serait propice à l’écriture, ce dont les mésanges se fichent bien, quoique leur bec puisse induire le contraire. Ou le duvet de leur poitrine.
            Binh-Dû ronge son frein, il ne pourrait pas en dire autant de ses orteils. Dont les ongles poussent inexorablement, comment faisaient les êtres humains aux temps anciens ? Se montraient-ils serviables les uns envers les autres ? Certains de ses contemporains en savent beaucoup moins que Binh-Dû sur le fonctionnement et l’histoire du monde, certains n’en sauront jamais autant. D’autres encore ont bon pied, bon œil et bonne oreille, ils ont tout compris de l’essentiel. Binh-Dû à leur cheville les contemple.

vendredi 1 juin 2018

1er juin


Mais tout de même, jusqu’où vouloir l’autonomie ? se récrie Binh-Dû au milieu d’une journée sans surprise. Il est en sécurité. Il se couche dans le même lit que celui dans lequel il s’est couché la veille, et même durant la journée il s’y installe pour travailler devant l’écran de son ordinateur portable. La moins portable des choses présentes dans sa chambre semble parfois être Binh-Dû lui-même, qui lorsqu’il n’a pas mal au pied a mal autre part. Et quand il quitte sa chambre pour l’au-dehors, le contenu de sa tête lui paraît un million de fois plus lourd qu’un ordinateur portable. L’autonomie c’est un niveau de batterie, celle de Binh-Dû s’épuise, il y a fuite, déperdition de veille, cent jours c’est mille jours en perspective, et la mort nous séparera vaincus. Dans la ville, les gens qui se côtoient parfois de très près mâchent de la nourriture gâtée, sucent du sucre, s’accrochent à ce qui insidieusement les excite et les meurtrit. Ou nous abrutit, c’est égal. Nous allons d’une drogue à une autre et ce n’est même pas de la bonne came. Ceux qu’on aime parce qu’ils éclaircissent notre atmosphère, a-t-on le droit de s’en tenir éloignés ? Faut-il se priver d’eux afin de n’en pas dépendre ? Binh-Dû range ses courses puis éparpille dans la casserole un faisceau de spaghettis.