mercredi 26 mai 2021

Rhizomiques #69

C’est intéressant de parler du caca. Nous sommes un amas de chair, c’est notre misère. On a tendance à l’oublier dans notre monde qui déréalise tout.
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Je suis particulièrement soucieux de ma prochaine défécation, poursuivis-je. Il me semble qu’il y a des limites très précises à ce que la société peut supporter. Il y a toutes sortes d’excentricités et d’horreurs absurdes qui sont permises – les guerres, le mariage, les taudis – mais il semble que l’idée de devoir faire ses besoins partout sauf aux cabinets est universellement tenue pour inconvenante.
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Je découvris que même pour déféquer, les riches et puissants habitants de Luanda recouraient à l’aide des esclaves. Chose que jamais je ne voulus accepter. Et ce refus, je pense, me sauva la vie. C’est ce qui se passa un jour où j’allai, au crépuscule, me réfugier dans le coin le plus éloigné du jardin, au-delà des cabanes des esclaves, afin de satisfaire les besoins du corps. Je m’accroupis derrière des buissons, et j’étais là, réduit au plus faible bruit de l’existence, lorsque j’entendis près de moi une effrayante conversation. Deux hommes discutaient en quimbundo de la meilleure façon de s’introduire dans ma maison et de me tuer. (…) Si je m’étais rendu dans ce coin, bruyamment et avec ostentation, à la tête de trois esclaves, deux pour transporter une bassine d’eau tiède et parfumée, le troisième portant une serviette, les soldats du capitaine m’auraient extirpé de là et troué le ventre à coups de couteau. Ou ils se seraient enfuis et, revenant la nuit suivante, m’auraient égorgé dans mon sommeil. Je restai tapi, dans le plus grand silence, jusqu’à ce qu’ils partent. Seulement alors, je me relevai et courus vers la maison en criant et en tenant mes culottes à la main.
 
Blanche Gardin
& Luke Rhinehart (in L'homme-dé)
& José Eduardo Agualusa (in La reine Ginga - et comment les Africains ont inventé le monde)

lundi 24 mai 2021

Attentives #18

Il révise tout ce qu’il a surligné dans la journée en jaune phosphorescent et pense qu’il s’agit d’un ensemble impossible et incohérent de maximes hallucinées.

« Celui qui parle tout seul sait que la première personne n’existe pas. »

« Je vous préviens, rares lecteurs, que je sens mes intérêts sociaux éclore. Au moins une fois par semaine, j’ai envie de sortir et de mettre des bombes. »

« Lorsque tu commences à juger les jours à l’aune de la consistance de tes excréments tu sais que tu as fait quelque chose de mal dans la vie. »

« Ma propension au crime, bien que notable, est en dessous de la moyenne. »

« Toutes les choses sont en train de bouger, mais certaines trop lentement. »

« Je m’étonne de ne pas avoir écrit plus régulièrement sur le sexe, cet éléphant enfermé dans la chambre de ma tête. »

« La mer est pour ceux qui sont loin. »

Daniel Saldaña Paris (in Parmi d’étranges victimes)

jeudi 20 mai 2021

Il n'a plus le choix

20 janvier 2020

(24/24)

Il ne voulait pas l’embarrasser. Mauvaise idée, et si elle se pointait dans sa boutique entre deux clients avec des chocolats et les lui tendait l’air de rien, avec Lætitia à côté qui n’en perdrait pas une miette ? Aucun risque, heureusement ! Lætitia  est toujours aussi perturbée par son affaire de punaises, même si elle s’est résolue à en parler à ses parents qui ont acheté un fer à vapeur spécial.

La grève des transports en commun est terminée, cela lui manque presque – de devoir rentrer à pied le soir. Les clients du magasin en revanche le prennent à témoin comme s’il était de leur côté, un bourgeois égoïste et mesquin. Ou un serviteur loyal. Ces fois-là, Lætitia  va chercher quelque chose dans la réserve, jusqu’à ce qu’ils partent. À la sortie du métro il remonte son col.

Une main se pose sur son épaule. Lydia a couru pour se porter à sa hauteur. Un panache de vapeur sort de sa bouche entrouverte, elle sourit. Vous êtes en retard, dit-elle. Mais comment saviez-vous… commence-t-il. Vous m’invitez chez vous ? Parce que j’ai déjà pris deux cafés dans la brasserie… Il regarde derrière elle, comme pour vérifier qu’elle ne s’y trouve pas. Il n’a plus le choix.

mardi 18 mai 2021

Elle a presque tout mangé

19 janvier 2020

(23/24)

Lydia s’en veut d’avoir sur-réagi l’autre jour. Pour un simple sachet de chocolats ! Sa fille a presque tout mangé. Les temps sont étranges, un éphémère directeur des ressources humaines a gagné en deux mois plus de cinq ans de son salaire à elle après avoir licencié une caissière pour défaut de quatre-vingt centimes d’euro et d’une viennoiserie trop cuite. Et il est devenu ministre en prime. Cette caissière avait donné un pain au chocolat, elle n’avait pas reçu un cadeau, quoiqu’il en soit, la question n’est pas là. Plutôt : que faire de cet homme s’il se met à lui apporter des cadeaux au travail ? Un « amoureux », ainsi que l’a suggéré Dana ? Sa fille est tellement plus déterminée qu’elle à son âge. Des amoureux, Dana en aura autant qu’elle voudra, et surtout c’est elle qui choisira. Elle est si intelligente aussi, elle perçoit les gens en un clin d’œil, qui ils sont, ce qu’ils valent, s’ils cherchent à vous manipuler. C’est un don – Lydia se demande bien de qui elle le tient – le don du discernement. On ne peut pas dire que Lydia en ait été pourvue, encore moins sa sœur… Ni leur mère. Comme une malédiction qui poursuivrait les femmes de la famille. Dana y échappera. Il semble parfois à Lydia que sa fille est beaucoup plus sage et avisée qu’elle-même.

vendredi 7 mai 2021

Interlude prolongé

Eh oui, plantée là, l'histoire en cours.
Comme un ordinateur qui n'aurait pas supporté le déconfinement
- farce piteuse pourtant.
Mais il suffit d'un rien, même chez les machines,
pour chuter dans une faille de
décompensation psychomécanique.
Planté l'ordi, et les fichiers des jours suivants flottent
dans des limbes spatio-temporels
en attendant
que survienne un ordi de secours
...
Arrimage espéré vers le dernier tiers de mai.