lundi 28 août
- La question est aussi de savoir ce que tu souhaites partager, dit-elle. Parce que ton dégoût navré du monde, vraiment ? Tu veux vraiment te la jouer Cioran au petit pied ?
- Non, mais peut-être que toi et moi on pourrait mitiger, ça donnerait « La décadence futuriste du monde est la mort de l’esthétique et l’humanité périclitera d’avoir sacrifié la beauté aux efficacités trompeuses / Oh, un lapin ! »
- Où ça ?
- Non, c’est un exemple, il n’y a même pas de lapin. Mais s’il y en avait un, tu le verrais.
- Quoi d’autre ?
- Tu ne te lasserais pas d’admirer les arbres.
- C’est vrai, et de respirer les senteurs de la forêt, tiens, là, tu sens la bonne odeur des pins, leur résine, leurs aiguilles ?
- Oui, et tu t’émerveillerais face à la souche d’un hêtre, qui figure, même de près, une chimère.
- On dirait un animal extraterrestre, figé en plein effort.
- Et moi, parlerais-je de la bibliothèque de formes sensorielles que chacun de nous s’est constitué lors de son enfance et qui détermine nos goûts d’adulte ? Je convoquerais Jung et ses archétypes…
- Si tu veux, mais pourquoi ?
- Pour estimer que cette forêt m’est trop peu familière.
- Ça te regarde mais je dirais que si c’est pour en arriver à ce type de considérations (c’est trop, c’est pas assez, je suis malheureux), tu peux nous en dispenser.
- Je sais pas…
Et tandis que je mange un melon du soir sur un muret, un millier d’étourneaux passent et repassent à bas bruit au-dessus de moi. Tel un amenuisement de peine.