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Dites-moi, avez-vous déjà savouré l’un de mes cornichons ? Si vous avez
jamais mangé un cornichon dans la région de Washington au cours des premières
années de ce siècle, il y a de fortes chances pour que ce fût un « DeCroix
Féroce ».
-
Les bocaux portaient une étiquette rouge et jaune, si je ne m’abuse. Et sur
chacune, le dessin d’une louve en redingote ?
-
Oui ! C’étaient bien mes cornichons ! Les trouviez-vous bons ?
-
Très.
- Merci infiniment d’affirmer que mes cornichons étaient excellents. Merci d’affirmer
que, de tous les cornichons produits à cette époque à travers le pays, les
miens étaient, de loin, les meilleurs.
-
Ils étaient comme mon œuvre : la plus grande du monde à cette époque. N’êtes-vous
pas d’accord ? Sommes-nous du même avis sur cette question ?
-
Je crois que nous le sommes. Je crois que nous l’avons été à maintes reprises
par le passé.
- J’espère
que vous aurez très bientôt l’occasion de me redire à quel point vous tenez mon
œuvre en estime. Votre admiration me touche. Et peut-être, un jour prochain,
vous gratifierai-je de quelque remarque sur la qualité de vos cornichons, si cela
peut vous agréer. Je le ferai avec joie. Vous le méritez. Vous qui m’êtes si
loyal et m’admirez tant.
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Les avis de refus envoyés par les éditeurs américains faisaient écho aux
lettres précédemment reçues par mon agente : « Nous trouvons que vos
personnages auraient besoin d’être travaillés. » « Le marché du récit
à la première personne est actuellement très restreint. » « Je pense
que votre histoire n’est pas assez accrocheuse et je vous conseille de la
réviser. » Ce genre de conneries. Du jargon d’éditeur. De la merde et du
vent.
George Saunders (Lincoln au bardo)
& Dan Fante (Régime sec)