Il
n’y a pas moins de trois miroirs, dans ce salon, mais aucun qui permette de se
regarder vraiment. Le plus grand, rectangulaire, accroché à la cloison est
au-dessus de la cheminée, est posé sur des tasseaux mais retenu par une corde
si lâche, si mal ajustée au mur, qu’il s’incline dangereusement vers l’avant,
et on ne peut donc y voir, lorsqu’on se tient debout devant la porte-fenêtre
qui donne à l’ouest, séparé de la cheminée par la table basse et les canapés de
cuir buñuelo-pompidoliens, que ses jambes. C’est la partie de mon corps que je
déteste le plus, mais l’inclinaison même de ce miroir a tendance à affiner ce
qu’il reflète, j’ai donc une très ancienne tendresse pour lui. Il faut dire que
j’ai passé dans ce salon des heures (mises à bout, peut-être plusieurs
dizaines), les soirs d’été, de 1984 à 1989, à attendre le moment de partir pour
la discothèque d’Hauteville-sur-Mer, et sans doute jamais attaché autant
d’importance à mon apparence physique, ni nourri autant de doutes à son sujet
que ces soirs-là. Je savais bien que l’inclinaison […] et l’éclairage me
flattaient. N’empêche. Ce sont de bons souvenirs, c’est déjà ça.
Julie
Wolkenstein (in Et toujours en été)