mercredi 19 mars 2025

L'ombre du géant

23 juin

Qu’il est étrange de retrouver le chat du voisin à sa fenêtre, et le silence, et la réduction des mouvements. Deux jours une nuit suffisent à dépayser. Je rouvre les dossiers suspendus, j’abaisse les stores contre le soleil trop chaud, je rattrape du sommeil en retard. Un géant aveugle titube tel un Godzilla sédaté au milieu de la ville, à ma recherche, il est si grand que le fuir n’est pas chose facile ; c’est l’ombre qu’il projette sans le savoir (sans la voir) qui est annihilante, plus rapidement mortelle que ses énormes pieds, et il ne sert à rien de tenter de se cacher sous une autre ombre. Je cours, j’évite les ruines, j’espère juste qu’il n’a pas la bonne intuition de la direction par où me suivre. L’une des danseuses trouvait un avantage à la perte d’odorat de son copain, il lui semblait que ses aisselles diffusaient une odeur de fer. Je n’ai presque pas porté mon masque cette fois, comme si la nature de l'amour éprouvé envers mes compagnons de résidence constituait en soi une protection. Courir à l’air libre au milieu de ruines m’apparaît moins angoissant que dans les couloirs du métro, il m’est arrivé aussi de me réveiller nain – et en danger d’être tué ; me prenant pour un chat, je cherchais à m’échapper par la façade d’un immeuble d’une autre ville, moins dévastée. Est-ce la Covid qui passe par là ? L’ombre du géant ne signifiait pas tant la mort que la disparition, ailleurs, dans une autre dimension. À quoi suis-je aveugle ? Suis-je dangereux ? Le chat a des yeux incroyablement verts. Il se penche mais jamais ne tombera.