Vers les montagnes, Binh-Dû s’égare. Il s’agit bien de lui, mais se
trouve-t-il toujours à l’ouest du chancre urbain, et ce soleil de midi
indique-t-il de façon fiable la direction du sud ? La sinuosité des routes
se joue de sa prétention aux détours.
Il espère diminuer à chaque tour de roue la distance qui le sépare des
randonneuses parties bien avant lui. Le lendemain, l’excédent de kilomètres se
résorbera à pieds et à contresens. « Suis-je sur le bon
chemin » ? demande-t-il dans l’épicerie-bar.
L’adolescente monte dans sa chambre vérifier sur l’ordinateur, tandis
que le grand frère reste relié à sa fiancée par les écouteurs de leur iPad. Le
père rentre de sa promenade un peu essoufflé, il allègue de son âge en parade
aux moqueries.
Binh-Dû ne peut que compatir, comparant à son propre avantage les corps
entamés : leurs peaux sont de même ascendance, très orientale,
l’adolescente redescendue pourrait être sa fille, qui lui indique par où
partir. Tous les sourires s’apparentent.
Bien qu’à l’âge du fils, Binh-Dû n’ait pas connu la présence à son côté
d’une fiancée si jolie. Il eût été plus empressé. On a les échecs et les
réussites de ses ambitions, celles de Binh-Dû consistaient à ne pas se faire
entendre.
Être, agir, recevoir, ressentir, et se garder de trop comprendre. Dans
la vallée, les gens se préservent d’une décompensation en perpétuant leurs illusions,
la différence est dans le degré de conscience vis-à-vis du régime infligé.
L’artifice du réel se dissémine en mille exemples d’usurpation de
l’espace commun. Soit tu te soumets à la loi du péage, soit tu raques en ZAC
tentaculaires, en ronds-points et en panneaux publicitaires. Quel consensus en
a décidé ainsi ?
À qui profite le crime ? Jusqu'où continuera-t-on à instaurer la peur pour légitimer l'autoritarisme ? Sur ces questions la compréhension est disponible. Mais « Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? / Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? » : oublie.