mardi 24 juillet 2018

24 juillet

Vers les montagnes, Binh-Dû s’égare. Il s’agit bien de lui, mais se trouve-t-il toujours à l’ouest du chancre urbain, et ce soleil de midi indique-t-il de façon fiable la direction du sud ? La sinuosité des routes se joue de sa prétention aux détours.
Il espère diminuer à chaque tour de roue la distance qui le sépare des randonneuses parties bien avant lui. Le lendemain, l’excédent de kilomètres se résorbera à pieds et à contresens. « Suis-je sur le bon chemin » ? demande-t-il dans l’épicerie-bar.
L’adolescente monte dans sa chambre vérifier sur l’ordinateur, tandis que le grand frère reste relié à sa fiancée par les écouteurs de leur iPad. Le père rentre de sa promenade un peu essoufflé, il allègue de son âge en parade aux moqueries.
Binh-Dû ne peut que compatir, comparant à son propre avantage les corps entamés : leurs peaux sont de même ascendance, très orientale, l’adolescente redescendue pourrait être sa fille, qui lui indique par où partir. Tous les sourires s’apparentent.
Bien qu’à l’âge du fils, Binh-Dû n’ait pas connu la présence à son côté d’une fiancée si jolie. Il eût été plus empressé. On a les échecs et les réussites de ses ambitions, celles de Binh-Dû consistaient à ne pas se faire entendre.
Être, agir, recevoir, ressentir, et se garder de trop comprendre. Dans la vallée, les gens se préservent d’une décompensation en perpétuant leurs illusions, la différence est dans le degré de conscience vis-à-vis du régime infligé.
L’artifice du réel se dissémine en mille exemples d’usurpation de l’espace commun. Soit tu te soumets à la loi du péage, soit tu raques en ZAC tentaculaires, en ronds-points et en panneaux publicitaires. Quel consensus en a décidé ainsi ?
À qui profite le crime ? Jusqu'où continuera-t-on à instaurer la peur pour légitimer l'autoritarisme ? Sur ces questions la compréhension est disponible. Mais « Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? / Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? » : oublie.

lundi 23 juillet 2018

23 juillet

Reprise du ballet des histoires au quatrième jour du festival : une vieille femme pourrait éviter d'ouvrir sa porte aux catastrophes, la fille du boucher rend son tablier, le chevalier à la triste figure connaît des sursauts de jeunesse. Sous les premières branches maîtresses de l'arbre on mange un taboulé.

Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.

Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.

Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.

dimanche 22 juillet 2018

22 juillet

Une tente se démonte mieux avant le petit-déjeuner, surtout si celui-ci est un brunch. Un thé se boit chaud, surtout si c’est une tisane. Un homme bavard s’écoute plus distraitement le matin, surtout s’il parle à quelqu’un d’autre. Une femme aimée est toujours aussi jolie de profil. Un square est un square, quelque soit l’heure, d’autant lorsqu’on n’est pas en retard. Le même arbre nous y retient.
Une voiture blanche attend au pied de la statue républicaine. « Au revoir, à très bientôt », dit-il. Et la pluie reste avec lui une bonne partie de l’après-midi. Ce n’est pas aussi triste qu’il l’avait anticipé, « Nous avons fait du chemin », remarquait-elle. Quand la pluie cesse, le corps est hissé hors de l’humus, deux acrobates en bottes narguent un squelette doré dans son fauteuil, on plante des fleurs.
Les femmes bavardes courent les rues comme tout le monde, s'arrêtent aux bons endroits pour boire un verre, usent généreusement de leurs passe-droits, demandent des nouvelles depuis tout ce temps - puisqu'on a failli se heurter par hasard -, ne sont pas tant bavardes que désireuses de partager un peu de passé. Mais du côté chagrin de sa propre loyauté, mieux vaut aller se coucher.

samedi 21 juillet 2018

21 juillet

           La journée suit la courbe du soleil, au zénith se tient une discussion à l’ombre des frondaisons. Il y est question d’idéal, le doute est virulent. Celui qui répond au premier geste aurait-il pu parler le premier ? Cherche-t-on quelqu’un qui nous ressemble parce que nous sommes nés de quelqu’un à qui nous ressemblons ? Voit-on en l’autre la personne que l’on voudrait voir jusqu’au jour où l’on finira par y voir ce qu’on ne voudra plus ? Les vieilles questions ont la vie dure. Les nuages préfigurent un épisode pluvieux.
           Au matin pourtant l’amour chantait et nous tendait la main. Au soir, c’est un arbre noirci qui se couvre de roses. Le fleuve mène aux anciens abattoirs, s’y rendre à pas rapides redresse le moral. Là-bas, tout est prêt aussi pour la pluie qui ne viendra pas, le chapiteau à ciel ouvert assume sa fragilité. De quoi avez-vous le plus peur, comment rêvez-vous l’avenir, que voudriez-vous vivre avant de mourir ? Dix doigts s’entrelacent. Personne n’est forcé de répondre. Les baisers sont silencieux.


[merci à Gilles Cailleau]

vendredi 20 juillet 2018

20 juillet

Sur l’île, les supputations sont foison, à qui ce sourire insistant est-il destiné ? Nous sommes assis par terre, nous avons montré patte blanche et franc sac à la police, nous attendons entre personnes de bonne compagnie que le spectacle commence. Au matin, un héron a traversé le ciel sans que personne ou presque n’y prête attention. (Binh-Dû serait flatté qu’un chef tribal des Grandes Plaines le nomme ainsi, Personne-ou-presque.) Il y avait excès de sardines pour monter la tente au bord du fleuve.
Cette femme qui sourit semble hésiter à l’unisson, fut-elle connue dix ans auparavant dans une maison de l’emploi ? Est-ce ainsi que ses traits ont évolué, et l’expression que l’on devine en retrait du sourire est-elle mi-amusée mi-appréciatrice ? Faudrait-il se lever pour raconter le chemin parcouru, serait-il opportun d’improviser un bref rapport d’activité teinté de gratitude ? Ou son expectative s’adresse-t-elle à un spectateur situé dans la continuité de l’axe, comme si personne ou presque n’existait au milieu ?
Plus tôt dans la journée, un guitariste était persuadé de reconnaître en l'homme dégustant une crêpe avec son amoureuse (aurait-on cru) sous un grand arbre du parc quelqu'un qu'il aurait connu ailleurs, mais où ? Plus tard dans la journée un pianiste s'avère être le même pianiste qui un mois plus tôt ne s'était pas rasé le crâne - autour de lui, de très singulières amies communes sont aisément reconnaissables. En fin de soirée tous les chemins se séparent, non sans une inespérée exhalaison de boucles brunes.

jeudi 19 juillet 2018

19 juillet

De glissement en glissement, le délai s’accentue, devient détour. La ville est une boule hérissée de piquants, Paris est un hérisson. On veut éviter les bouchons, on s’éloigne, on fait le tour d’un grand stade et on revient, Paris est un flipper. La ville n’a pas de limite, elle se longe tel un chemin d’estuaire.
Et pendant ce temps, la plus tendre des ondines confectionne des sandwiches. Patiente, ses yeux brillent d’un feu qui rassure et guérit. Elle est ce qu’en disent les légendes, les boucles de ses cheveux sont des langues d’amour, et son front renferme le trésor d’une âme pure. Le manque, chez elle, est une orée.
L’ignore-t-elle, pourtant ! Elle propose un thé sur un banc. Mieux vaut s’échapper, s’en aller dîner dans les champs. Au loin la pluie rivalise avec les rayons du soleil couchant, en traits obliques, cendres grises, gloire blanche. Les hirondelles ont fait leur nid dans un village aux deux rivières, où paissent aussi des moutons.
Tombe la nuit, et l'orage annoncé. Qui se mue en déluge cisaillé d'éclairs. Écrin pour que soient confiées la colère, la honte, la peur. Entendues, acceptées, alchimisées par le tonnerre. À l'arrivée il ne pleut presque plus dans les flaques, des étoiles apparaissent derrière le pare-brise. Jusqu'à plus d'heure.

mercredi 18 juillet 2018

18 juillet

Il fait chaud, le temps glisse. L'attente se rapproche du lendemain où les amarres enfin seront larguées. Il y aura un effort requis puisque d'avance le bras est douloureux, de l'épaule au poignet, le bras qui tiendra le volant, l'autre reposant sur la portière, vitre baissée. Dans des circonstances plus solitaires cette contrariété musculaire serait prétexte à rester couché. A regarder dans l'écran de télévision les petits bonshommes pédaler en haut des cols. Il fait si chaud. Et les orages menacent, non ? Oui, si l'on en croit les prévisions météorologiques. Si l'on croyait les prévisions de toute sorte - celles qui ont les apparences du bon sens - on n'irait pas bien loin. On guetterait l'époque à venir des casques immersifs, quand il ne sera plus nécessaire de grimper la moindre colline pour tenter de ressentir ce qu'est le vol d'un aigle. Quand partager une expérience commune ne fournira plus un motif de déplacement - autant rêver sans regret aux temps de la sauvagerie. La transpiration ruisselle dans l'immobilité du cube, volets fermés. Dernières dernières fois avant l'accostage du retour, partir en vacances est un renoncement provisoire. A une poignée de kilomètres d'ici, un autre sac à dos se remplit - dans la joie.