samedi 30 mars 2019

Narcissus amorosa

- une fantaisie dégenrée -


Jumien ouvrit les yeux devant le miroir de la salle de bains. Sylvelle plissait les siens, comme s’il s’agissait de l’imiter. Comme s’il n’y avait pas de miroir mais Sylvelle en face de lui. L’éclairage était trop fort, des mois qu’ils se le disaient mais ils n’avaient toujours pas acheté d’ampoule de moindre wattage, dans l’attente peut-être que crame leur LED garantie cinq ans ? Il se frotta les yeux, but au robinet, se cogna la poitrine. Jumien se redressa, il posa les mains sur ses seins, là où le rebord du lavabo l’avait heurté. Il avait des seins ! Il se regarda de nouveau dans le miroir, interloqué, un téton entre le pouce et l’index. Sylvelle ? dit-elle d’une voix étrange, la bouche articulant précisément les syllabes.

lundi 25 mars 2019

J-5

On va se la jouer courte.
Il n'y aura pas de compte à rebours, J-4, J-3, J-2...
Plus de babillage dilatoire.
Non, juste cette indication présente d'inversion de courbe.
Et samedi prochain s'ouvrira un nouveau chapitre.
Encore imprécis, on sait quand ça commence, c'est déjà ça.
On ignore par où ça passera.
On a une petite idée de la fin, vu le tropisme cyclique.
Mais est-ce de la buée sur le miroir ?
Ou bien mes lunettes, où ai-je mis mes lunettes ?

dimanche 24 mars 2019

J+4

Avis

L’air de se la couler douce, mais non, pas croire.
Le Dit de Binh saison printemps-hiver sera sous peu disponible en version papier.
Pas cher, toujours pas illustré.
(Mais mieux vaut un livre qu’un écran, non ?)

Et en attendant – ou pas – quelque chose arrive.

samedi 23 mars 2019

J+3

Le mouvement perpétuel est en place.
On peut reprendre depuis le début ? Attendez !
(Mais oui, si vous voulez, la spirale du ressort est aussi une ellipse.)
Attendez, ça va rétrocéder pour mieux repartir...

vendredi 22 mars 2019

J+2

Il est sorti de la capsule.
Le soleil apparemment n’a pas bougé.
Le contraire du sentiment d’apesanteur est encore un rapport d’étrangeté au sol.

°°°

mercredi 20 mars 2019

20 mars


                Mais à quoi bon s’appeler, on a tout notre temps. Quelqu’un s’affaire dans la cuisine, il finira bien par en sortir, quelqu’un d’autre examine le dos des livres dans la bibliothèque du salon. On se fiche bien de savoir comment ils s’appellent, une troisième personne passe dans la rue, seule ou accompagnée. Il y a un certain nombre de couples qui font sens, d’autres plus gratuits, et les nombres impairs, tout à fait en mesure de s’apparier avec les nombres pairs, ne déparent pas le tableau. Binh-Dû ne ressent nul scrupule à souhaiter à tout-va de joyeux anniversaires, parfois il tombe juste, sinon c'est le calendrier qui tombe faux.
                Elle retourne à son bureau après sa pause-déjeuner. Il y a du soleil aujourd’hui mais l’air est froid pour la saison. Ils ont pris une table à l’intérieur, c’était jour de couscous, deux merguez chacun. Son collègue achète une recharge pour cigarette électronique, elle ne l’attend pas, elle traverse les voies du tramway en regardant à gauche puis à droite. Toujours un temps d'hésitation, est-ce comme avec les voitures, est-ce pareil à Londres ? Elle a lu la veille qu’un robot a tué une femme qui marchait hors des passages piétons, ce qui semblerait constituer une circonstance atténuante. Il est difficile de savoir à première vue qui tient vraiment à la vie.
                Ou qui voudrait simplement ne pas souffrir. Il y a de l’énervement face à la tache sur le chemisier de soie, et cette fois le coupable est tout trouvé : c’est ce Binh-Dû dénué de scrupules, qui n’a pas choisi le détachant adéquat dans les rayons du supermarché. Je pensais que cela suffirait, se défend-il piteusement. Son amie est à deux doigts de prendre ses cliques et ses claques, elle s’est enfermée dans leur chambre, que fait-elle ? Il y a doute sur la consistance. C’est peut-être du gras de baleine. À qui en tenir rigueur, si tel est l’objectif ? À l’espèce humaine tout entière, massacreuse et néanmoins adoratrice du rare et du précieux.
                Poudre aux yeux, oui ! Quand on te demande pourquoi tu ne veux pas, n’objecte qu’une raison à la fois ou tu te feras coincer. Ne dis pas que tu préfères ne t’en remettre qu’à tes intuitions et que de toute façon tu n’es pas disponible pour prendre rendez-vous. On ne te croira pas. Toi-même tu t’apercevras que tu mens. Qui que tu sois, Binh-Dû par-ci, Binh-Dû par-là. Aux origines il y avait un jardin, et dans ce jardin roucoulaient des pigeons ramiers. Tu ne les appelais jamais tourterelles, et pourtant c’en étaient. Un jour, tu as mangé de la palombe farcie. Tout ce temps passé à écouter n’a pas été du temps perdu.
                On pourrait même parler de bonheur. Soyons fous ! Sylvelle et Jumien ont réintégré leur intérieur, à rebours, veillant à ne pas se heurter. Ceux-là, aucun doute, ils sont faits l’un pour l’autre, Binh-Dû les considère avec attendrissement. Au bout de la toux est un chant. Et à la fin de l’ellipse ? Imaginons un embranchement, une voie de désengagement hors saison. D’un coup, le silence et l’obscurité. On avance mais on ne saurait en jurer, les biomécanismes semblent ralentis. Il n’y a plus de régularité qui tienne, du moins celle à laquelle on s’était habitué. Plus de repères fatigués. Chut alors... Mais à la fin, si ce n’est soi, qui - pour le dire ?