Sur
un des murs du fond, saint Georges terrassait un dragon, sa lance lui
transperçant la poitrine, le sang rouge coulant sur le ventre écailleux. Si
l’on était capable de croire en Dieu, ce n’était sûrement pas difficile de
croire aux dragons.
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Nous
étions à moins d’un mile de la côte quand un marin attira mon attention sur un
animal extravagant, grand comme un bœuf, avec un museau de chien et des
nageoires comme celles d’un phoque. Le marin me dit que, dans le fleuve
Amazone, on trouvait aussi beaucoup de ces créatures étonnantes, et qu’on leur
donnait là-bas le nom de poisson-bœuf ou manati. Il me dit aussi que les
femelles allaitaient leurs petits au sein, comme de vraies femmes, tout en
chantant, et que leur chant était si beau et si triste qu’il arrivait souvent
que celui qui les écoutait devînt fou.
De
ces animaux, que certains appellent aussi poisson-femme, est peut-être né le
mythe des sirènes, avec lequel les marins aiment terrifier le vulgus, et il est lamentable que de
nombreux auteurs respectables défendent encore aujourd’hui une si grande
aberration. Dieu, puisque Dieu il y a, n’insufflerait jamais la vie à une si
grossière contradiction, car il me semble que cela soit une tâche impossible
que d’harmoniser la perfection de la femme, sa peau si douce et parfumée, avec
la bestialité d’un poisson.
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- Le
sang de limace remplace le sang de dragon ? demanda Olearius.
-
Non, dit Kircher avec indulgence. La bile de dragon.
-
Et qu’est-ce qui vous amène ici ?
- La substitution a ses limites. Le pestiféré choisi pour notre expérience est
mort malgré la décoction, ce qui prouve clairement que du vrai sang de dragon
l’aurait guéri. Il nous faut donc un dragon et c’est dans le Holstein que vit
le dernier dragon du Nord.
(…)
-
Est-ce qu’on l’a déjà aperçu, ce dragon ?
-
Bien sûr que non. Un dragon qu’on aurait aperçu serait un dragon qui ne dispose
pas de la qualité principale de son espèce – à savoir être introuvable. C’est
précisément la raison pour laquelle on doit afficher le plus grand scepticisme
face aux récits de ceux qui prétendent avoir vu un dragon, car un dragon qu’on
peut apercevoir serait déjà a priori considéré comme un dragon qui n’en est pas
vraiment un.
Olearius
se frotta le front.
-
Dans cette contrée, l’existence d’un dragon n’a visiblement jamais été
confirmée. Par conséquent, je suis
absolument certain qu’il y en a un.
Louise
Welsch (in La fille dans l’escalier)
& José
Eduardo Agualusa (in La reine Ginga - et comment les Africains ont inventé le monde)
& Daniel
Kehlmann (in Le roman de Tyll Ulespiègle)