lundi 29 mai 2023

Rhizomiques #145

 (…) cette posture spontanée qui autorise une riche dame blanche aux cheveux bien mis à offrir à son chauffeur noir le plus radieux des sourires, un sourire d’affection écrasant où se déchiffre son impérieuse certitude de l’infériorité naturelle de ce petit-fils d’esclave, ce sourire empoisonné qui n’a pas bougé d’un pouce depuis Autant en emporte le vent (…)
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Imaginez ce que peut ressentir une petite fille qui vient d’apprendre à lire et qui part à la conquête du monde, avide de déchiffrer tout ce qu’elle peut autour d’elle. Les titres des livres de la maison, la liste de course de sa maman, les enseignes des magasins… Et soudain, l’inscription suivante : « Ce banc est réservé aux Blancs ». Puis, plus loin : « Cette plage est accessible à la race blanche seulement ». Je venais d’acquérir une compétence censée m’ouvrir le monde, au lieu de quoi les mots m’en révélaient l’horreur.
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J’aurais peut-être perdu espoir en cette capacité des Blanc•hes à devenir antiracistes si je n’avais pas rencontré des Blanc•hes du Sud (des personnes plus âgées) qui résistaient à la culture de la suprématie blanche dans laquelle elles avaient grandi, en choisissant l’antiracisme et l’amour de la justice. Ces personnes avaient fait leur choix dans un contexte hostile, en pleine guerre raciale. Par respect pour leur engagement, nous devons soutenir pleinement ces processus de transformation. Il me semble abominable d’exiger que des personnes changent et renoncent à leur solidarité avec la suprématie blanche, pour ensuite se moquer d’elles en prétendant quelles ne pourront jamais se libérer du racisme. Si les Blanc•hes ne peuvent pas se libérer des modes de pensée et d’action de la suprématie blanche, alors les personnes noires ou de couleur ne pourront jamais être libres. C’est aussi simple que cela.
 
Yves le Tellier (in L'anomalie)
& Deborah Levy (entretien dans Télérama du 10/05/23)
& bell hooks « Ce qui se passe quand les Blanc•hes changent » (Infokiosques, 2020 [2003])