vendredi 1 décembre 2023

Attentives #33

Nous voilà à l’orée de cette jungle des lendemains où seuls les mots-images, les mots-signes désigneront. On ne dira plus – on désignera. Une nouvelle forme représentera. Une forme simple, discontinue, que l’esprit ne lira plus mais happera. Nous serons sortis des complexes repentirs dont les phrases, leurs nuances, leurs sinuosités, leurs tâtonnements à vue plaçaient le déchiffreur sur les plans subtils d’une connivence humaine. La parole-image nous tire vers l’animalité, vers le cri, vers le raccourci, vers l’information primitive manichéenne, brute, telle qu’elle se met en place sur les écrans et à la surface des journaux. Les images parlent, prétendent ceux qui manipulent ces raccourcis. Les images sont les chocs dont l’homme du mouvement et de la fuite s’électrise, disent ceux qui prétendent fabriquer l’homme d’aujourd’hui et d’après-demain. Il suffit de savoir faire crier les images, disent-ils, nous ne voulons pas susciter la réflexion mais les réflexes des masses auxquelles ces images sont destinées. Faire choc, telle est l’expression des journalistes et des cinéastes distributeurs de ces images destinées à instruire, prétendent-ils, destinées à former l’opinion de ceux qu’ils considèrent comme une gélatine populaire. À force de manipuler cette gélatine populaire à coups d’images-cris, cela finit dans le dédain des mots et des subtilités de leur signification.

Serge Rezvani (in Les repentirs du peintre, 1993)