mercredi 21 août 2024

Toujours la même planète

jeudi 6 octobre
 (9/9)

[le jour suivant ce jour d'avant]

Il reste encore la promesse d'une ascension avant de m'en retourner dans la plaine. J'ai changé de massif ou bien non, ce sont toujours les Alpes mais d'autres cirques de montagne. C'est toujours la même planète. La terre est humide au départ, pour ce dernier jour le dénivelé est le plus raide. En bas, donc, il y a de l'eau, et une cascade qui dévale entre les rochers d'une forêt obscure. Le soleil en cette saison passe au large du zénith, et ses rayons n'atteignent pas le fond des vallons. L'air embaume les champignons.

Trois chasseurs en treillis militaire mangent du saucisson à une table de bois, ils sont arrivés en haut de la forêt par la piste. En 4x4. Je les salue chaleureusement pour ne pas les haïr, ils ne me proposent pas de casser la graine avec eux. D'ailleurs je suis trop loin déjà, sur le flanc nu de la montagne. Plus on s'élève, plus le monde semble une illusion d'optique. Le col que je croyais à portée se révèle simple replat, il faut grimper encore. Et encore. Enfin, voici... un lac, et la ligne de crête qui à nouveau se dérobe.

Je vois le sentier traçant en biais dans un pierrier, par là le col est à une heure de marche peut-être. Mais si je grimpais tout droit, hors sentier, n'atteindrai-je pas plus vite ce moment magique où s'ouvre à la vue la vallée opposée ? Je manque de temps, souhaitant éviter de redescendre à la nuit. J'y vais. La crête semble à portée de pieds et de mains. La pente est à 50° et mon cœur bat, je dois m'arrêter tous les vingt mètres. J'y vais, mais la crête n'en est toujours pas une. Il faut grimper, continuer. Encore une fausse crête. Il faut continuer.

Faut-il vraiment ? Le jour décline, le temps passe, je m'épuise, la vue est grandiose déjà dans mon dos. L'histoire pourrait être celle d'une dernière ascension sagement avortée, et elle prendrait non moins de sens que si j'accumulais une conquête de plus. Oui mais : je veux voir ce qu'il y a de l'autre côté ! Je le veux. Il le faut. J'y suis presque. J'y suis presque. J'y suis presque. J'y suis. Et tout est justifié. La mer de nuages en contrebas. Le panorama à se dévisser le cou. Les ombres, les couleurs, le souvenir prochain de la neige. La sérénité d'un devoir accompli.

Je regagne, en quittant les sommets à l'oblique, le sentier qui montait au col. Je redescends plus vite que le jour. Les rhododendrons ferrugineux s'illuminent aux ultimes rayons du soleil. La forêt est devenue glaciale. Il fait nuit. Une mouche s'enferme dans la voiture. Elle part avec moi. Je lui parle. Que me dit-elle ? Elle ne comprend pas que le seul endroit par lequel elle ne peut pas s'échapper, c'est l'espace évident du pare-brise. Il lui faudrait retourner dans la caverne. J'ignore ce que je ne comprends pas. Je m'échappe en me croyant libre. Je rentre chez moi. Je fus heureux.