Ils restent un moment dans la même position, elle debout, elle assise, laissant retomber l’écho de
leur dispute. Le mot « dispute » vient à l’esprit de Jumien, mais il
s’agit d’autre chose, des disputes ils en ont eu par le passé, mais jamais un
tel désaccord. Jamais été en tel danger de se séparer. Les voisins les ont-ils
entendus ? La voix de Sylvelle par tous les tons, se hurlant des horreurs
à elle-même, de quoi appeler l’hôpital psychiatrique. Comment se sépare-t-on
quand on est si visiblement la même personne ? Et tu ne sais même pas
prendre soin de moi, murmure Sylvelle en se rapprochant. Regarde-moi ces
cheveux. Et cette peau, tu as transpiré et bien sûr tu ne t’es pas maquillé ce
matin. Je crois que je te préfère comme ça, souffle Jumien.
mardi 16 avril 2019
lundi 15 avril 2019
§ 25 et 26
Où étais-tu, est-ce qu’on t’a vu ? Il y a des chances,
répond Jumien, même si plus personne ne regarde personne de nos jours. Tu te
rends compte qu’on aurait pu nous voir ensemble, je suis revenue du boulot il y
a dix minutes à peine ? Là on nous aurait remarqués, c’est sûr, rit-il. Tu
es complètement inconscient, s’emporte Sylvelle, ce matin tu pleurnichais et
maintenant tu parades dans nos rues, notre quartier, est-ce que tu as pensé
un peu à moi ? Mais tout le temps, répond Jumien en lui coulant un regard empli
d’un aberrant sous-entendu. Ce que Sylvelle supporte le moins, décidément,
c’est le ton de sa voix, comme si on la parodiait, la singeait, se moquait
d’elle, une imitation parfaite et grotesque à la fois, c’est vraiment à ça
qu’elle ressemble ?
Tu ne te rends pas compte, reprend-elle, c’est un
cauchemar... Je suis quand même bien placé pour me rendre compte, s’insurge son
double, c’est tout de même moi qui ai perdu mon corps ! Je ne peux plus me
rendre à mon travail, poursuit-il, je n’ai plus d’existence légale, je ne sais
pas ce que je vais bien pouvoir raconter à mes parents ou à mes amis.... Même toi
tu ne cherches pas à me venir en aide, ce matin tu étais tout près de me frapper.
Tu es une abomination, crie Sylvelle en se levant brusquement du canapé, le
Jumien que je connaissais est mort, tu ne devrais pas même exister ! Mais
je suis Jumien, se défend-il sans trop de conviction, enfoncé dans le fauteuil…
Tu m’as tout pris, le coupe Sylvelle, tu as pris mon corps !
dimanche 14 avril 2019
§ 24
Ah, tu es là, dit-elle
en laissant tomber le trousseau sur la commode de l’entrée, comme Jumien avait
l’habitude de le faire. Elle a l’air épuisé, pas bien droite sur ses jambes,
les cheveux mal peignés. On croirait qu’elle sort du lit, pense Sylvelle, et
qu’elle n’y était pas seule. Jumien hésite une seconde puis, constatant que
Sylvelle n’est pas armée, s’assied dans un fauteuil, à distance raisonnable
toutefois. Il porte un jean dans lequel Sylvelle ne rentre plus depuis des
mois, comment a-t-il fait ? Il se tient les jambes écartées, pas féminine
du tout, il la dégoûte. Enlève ces chaussures, lance-t-elle, elles sont moches
et usées, je voulais les jeter. Au moins elles ne te bousillent pas les pieds,
rétorque Jumien, j’en ai essayé d’autres, c’était l’horreur !
samedi 13 avril 2019
§ 23
Alors il la prendrait pour une folle, et elle n’aurait aucun
argument pour le contredire. Aucune preuve. Même la marque causée par la poêle
sur le mur tendrait à aggraver son cas – Mais
pourquoi as-tu fait ça ? – Mais parce que tu n’étais plus toi ! Et
j’étais qui si je n’étais plus moi ? Tu étais moi ! On la
traiterait d’hystérique, on l’internerait sur-le-champ. Elle finirait par se laisser
convaincre, toute cette histoire n’était qu’une crise délirante. À l’instant
même, elle commence à douter. Tout a l’air si normal ici, exceptée elle. Dans
la cuisine elle va se servir un verre de vin de la veille, quand tout allait
bien. L’ascenseur s’arrête à l’étage, Jumien montait toujours par l’escalier
mais Sylvelle s’immobilise. La clef s’enclenche dans la serrure.
vendredi 12 avril 2019
§ 22
Personne dans l’appartement quand Sylvelle y rentre. Elle
vérifie dans chaque pièce, bien que la porte d’entrée ait été fermée à clef. Sans appeler ;
demander « Jumien ? » serait tenter le diable. La hantise qu’il
réponde avec sa voix à elle... Mais s’il réapparaissait en Jumien, serait-ce
mieux ? Sylvelle s’assied dans le canapé du salon, d’habitude ce moment
marque un soulagement, les chaussures ôtées, son corps adossé au moelleux des
coussins, quelques minutes pour se délester de la tension du dehors. Sauf que
cette fois la tension n’est pas moindre, et Sylvelle reste sur le rebord du canapé,
prête à se redresser en cas de danger. En cas de bruit de clef dans la serrure.
Si Jumien redevenait lui-même et ne se souvenait de rien d’anormal ?
jeudi 11 avril 2019
§ 20 et 21
Il s’est fait jouir plusieurs fois, à peine commence-t-il à
s’en lasser. Il ne se savait pas si bon amant. Il avait un peu oublié à quel
point il aimait le corps de Sylvelle. On pourrait croire que rien de mieux
n’aurait pu arriver à leur couple ! Encore faudrait-il qu’elle y
participe... Il est devenu leur couple à lui tout seul, comme le renversement radical
d’un processus masturbatoire. Bien sûr il y manque quelque chose, s’il peut à
présent disposer de Sylvelle à tout moment, lui-même est absent du tableau. Son
propre corps, son propre sexe dont l’usage était un indubitable plaisir. Jumien
aimerait pouvoir se pénétrer, sentir ce que cela fait d’être Sylvelle pénétrée
par Jumien, oui mais comment faire ? Il faudrait que la vraie Sylvelle
devienne Jumien.
Quant à se faire pénétrer par quelqu’un d’autre qu’elle,
c’est hors de question. De ce côté-là, rien n’a changé. Mais peut-être est-il
devenu lesbienne ? Peu importe, les catégories ont surtout pour fonction
de se rassurer soi-même, telle n’est pas sa préoccupation principale à l’heure
actuelle. Disons qu’il serait lesbienne et qu’il ferait une exception pour
Jumien. L’occasion est tentante en revanche de faire la connaissance d’autres
femmes que Sylvelle. Surtout si celle-ci persiste dans son hostilité ! Jusqu’alors
il lui avait toujours été fidèle, mais leur couple battait de l’aile,
non ? Jumien se sent en meilleure forme que depuis longtemps, il meurt de
faim. Déjà midi, il a somnolé. Il faudrait aussi prévenir le lycée, mais avec
sa voix c’est impossible.
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