lundi 15 avril 2019

§ 25 et 26

Où étais-tu, est-ce qu’on t’a vu ? Il y a des chances, répond Jumien, même si plus personne ne regarde personne de nos jours. Tu te rends compte qu’on aurait pu nous voir ensemble, je suis revenue du boulot il y a dix minutes à peine ? Là on nous aurait remarqués, c’est sûr, rit-il. Tu es complètement inconscient, s’emporte Sylvelle, ce matin tu pleurnichais et maintenant tu parades dans nos rues, notre quartier, est-ce que tu as pensé un peu à moi ? Mais tout le temps, répond Jumien en lui coulant un regard empli d’un aberrant sous-entendu. Ce que Sylvelle supporte le moins, décidément, c’est le ton de sa voix, comme si on la parodiait, la singeait, se moquait d’elle, une imitation parfaite et grotesque à la fois, c’est vraiment à ça qu’elle ressemble ?

Tu ne te rends pas compte, reprend-elle, c’est un cauchemar... Je suis quand même bien placé pour me rendre compte, s’insurge son double, c’est tout de même moi qui ai perdu mon corps ! Je ne peux plus me rendre à mon travail, poursuit-il, je n’ai plus d’existence légale, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir raconter à mes parents ou à mes amis.... Même toi tu ne cherches pas à me venir en aide, ce matin tu étais tout près de me frapper. Tu es une abomination, crie Sylvelle en se levant brusquement du canapé, le Jumien que je connaissais est mort, tu ne devrais pas même exister ! Mais je suis Jumien, se défend-il sans trop de conviction, enfoncé dans le fauteuil… Tu m’as tout pris, le coupe Sylvelle, tu as pris mon corps !