Quelqu’un
a dit que le photographie est la mort parce qu’elle fixe l’instant irréparable.
Mais je me demande aussi : et si c’était au contraire la vie ?, la
vie, avec son immanence et son côté péremptoire, qui se laisse surprendre un
instant et nous regarde avec sarcasme, parce qu’elle est là, fixe, immuable,
tandis que nous, nous vivons dans la mutation, et alors je pense que la
photographie, comme la musique, cueille l’instant que nous ne réussissons pas à
cueillir, à savoir ce que nous avons été, ce que nous aurions pu être, et
contre cet instant il n’y a rien à faire, parce qu’il a plus raison que nous,
mais raison de quoi ?, peut-être raison du changement de ce fleuve qui
s’écoule et qui nous entraîne, et de l’horloge, du temps qui nous domine et que
nous cherchons à dominer.
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Elle
entre dans le cercle à la suite de sa cousine, tremblante d’émotion, et d’un
seul coup elle y est, à piétiner comme tout le monde. Au début elle n’a
conscience de rien sinon de son propre corps, de sa personne, et elle observe
les autres, imitant la façon dont ils tiennent leurs bras. Mais elle a
également conscience d’être en train de faire une chose étrange et incroyable.
Une chose qui la fait se sentir entièrement vivante, des pieds à la tête. D’un
seul coup, avec un léger choc, elle comprend exactement ce qu’elle avait
toujours voulu dire à son mari : être là en personne, ce n’est pas la même
chose que regarder. On voit peut-être mieux les choses à la télévision, mais on
ne saura jamais si l’on était vivant ou mort pendant qu’on regardait. (…)
Quand
la danse recommence, elle sent une énergie nouvelle pénétrer peu à peu tout son
corps. Cette fois-ci le chant dure plus longtemps, et elle oublie ses bras et
ses jambes. C’est étonnamment facile. La musique et le mouvement sont
réconfortants, répétitifs et hypnotiques, et son corps trouve doucement sa
place dans ce balancement interminable. Aussi loin qu’elle se souvienne, c’est
la première fois qu’elle se sent complètement intégrée.
Antonio Tabucchi (Pour Isabel)
& Barbara Kingslover (Les Cochons au paradis)