Il y eut la surprise d’un baiser subit, elle ne s’y
attendait vraiment pas. Elle venait de lui tendre un petit verre à thé, très
chaud et sucré, qu’il avait posé sur la moquette pour ne pas se brûler les
doigts. Il avait dit quelque chose à propos de ses doigts, peut-être était-ce
pour qu’elle y porte son attention. Peut-être était-il de ces hommes qui
parcourent les magazines féminins pour y découvrir des secrets utiles, du style
La première chose que je regarde chez un
homme ce sont ses mains. Ou bien il est innocent. Elle ne sait pas à quoi
s’en tenir avec lui, elle ne le connaît pas depuis longtemps. Il manque sans
doute d’humour mais pas de douceur. Mais est-ce de la douceur qu’elle
désire ? En attendant que cela refroidisse elle visite les pièces de la
maison, comme si c’était elle qui faisait visiter. Il se pourrait même que ce
garçon soit un peu idiot, il ne savait pas où se trouvait la théière !
Elle retourne dans le salon, s’assied en lui souriant gentiment, sans
engagement. Il semble hésiter entre prendre place à nouveau à son côté ou
d’abord ramasser son verre, un choix qu’elle-même hésite à juger touchant ou
insultant. Finalement il s’assied, se penche pour saisir son verre, se brûle encore les doigts, le repose. La soirée va être longue.
jeudi 12 décembre 2019
mercredi 11 décembre 2019
Notes inactuelles sur les conclusions malheureuses
La fin malheureuse est moralisme : elle contient
toujours l’idée d’une punition.
La fin heureuse est non moins problématique dans son rapport
au politique : quelle mesure de déni ?
Les deux sont pliures du réel – ce qui pourrait convenir
pour une définition de l’acte artistique.
Pourtant, s’affranchir de cette dichotomie est plus exaltant
encore, relève de l’utopie concrète.
La question – politique – pour l’auteur est « À quoi
ai-je envie de contribuer ? » Non seulement « Que veux-je
exprimer » ou « Qu’est-ce qui a nécessité à s’exprimer en moi »,
mais « Qu’aimerais-je créer pour le donner en partage ? » Certes, cela
sonne un peu christique, mais si tout créateur apprécie de se sentir démiurge,
la moindre des choses est qu’il en assume la responsabilité.
Redescendons un peu…
Quoique, plus révolutionnaire encore : le drame doit-il
être la pierre philosophale de la fiction ? Ou le drame dans la fiction ne
serait-il que le reflet d’une perception dramatique de la condition humaine – à
côté de laquelle d’autres perceptions sont possibles ?
La littérature a l’avantage de ne pas être soumise à la
mécanique dramaturgique – par définition – du théâtre. Du fait aussi de sa
proximité plus grande avec la poésie qui est à la fois immersion dans le réel
et dégagement vis-à-vis de celui-ci.
(Laquelle poésie, soit dit en passant, penche elle aussi
furieusement vers le drame ! Mais là aussi, d’autres poésies sont
possibles, existent déjà, même s’il faut chercher ses herbes vivaces sur les
bas-côtés.)
La littérature devrait se sentir concernée par le « Que
faire ? » de Lénine. (Et la réponse ne serait sûrement pas le
réalisme socialiste !)
La force d’attraction du malheur est aussi considérable que
notre terreur existentielle. Mais il serait bon de valoriser les auteurs qui ne
se soumettent pas à ces ressorts puissants ; de même qu’on commence à
reconnaître (grâce au féminisme politique) la valeur différenciée d’une
écriture féminine.
Ceci en guise d'heureux dénouement – provisoire...
11 mars
Elle
rit, de par sa nature écrivaine, un de ces rires à l’étouffé qu’on dirait
sortis à la mauvaise heure du jour, quand il y a trop de vent ou qu’il fait
trop chaud ou que le ciel ne ressemble pas à un plan de cinéma, elle rit comme
au téléphone avec la mauvaise personne, une secrétaire de réception, un preneur
de commande, un fournisseur d’accès, elle rit avec un chat dans la gorge qui
fait dresser les oreilles du chat posé sur le rebord de sa fenêtre, et c’est
parce qu’on l’a pris pour une autre et qu’on se reprend, et que c’est pire encore
mais drôle par la métaphore : jamais encore on n’avait fait le
rapprochement entre sa personne et une… crêpe ?
Bien
sûr, cela n’a pas de sens. C’est presque énervant, on se sent exclu. De sa
propre vie on se sent exclu, tant une deuxième reste en tentation. Et encore,
deux vies ce ne serait pas assez. La vie de sacrifice ne tient pas la route
quand on n’en a qu’une, mais le problème est-il résolu pour autant ? Parfois,
l’emplacement judicieux d’une virgule permet que l’adverbe « bref »
soit transféré avec élégance du langage parlé au langage littéraire.
Une pie
passe en jacassant. Le chat se réfugie sous le lit. Tout contre-stéréotype a
tendance à devenir stéréotypé. Par exemple, elle ne boit pas de thé. Elle rit
mais elle est en colère de devoir confirmer sans cesse des choix qui furent
déjà si difficiles à affirmer.
Autrement,
tout serait tellement différent, inattendu, inconnaissable... Mieux ?
mardi 10 décembre 2019
10 mars
Mais tu te souviens surtout de n’avoir rien dit. Ta voix
était blanche, ton cœur était noir. Tu balbutiais une paralysie imaginaire mais
si réaliste qu’elle en devenait effective. Comme s’il y avait un écran entre
toi et celle que tu aimais (non, tu ne croyais
pas l’aimer, tu ne le pensais pas,
ne l’imaginais pas, l’absence absolue
de réciprocité ne relativise en rien cette assertion : tu l’aimais). Elle
regardait ailleurs. Il y avait sans doute aussi un écran entre elle et le reste
du monde, que tu ne t’expliquais pas bien, pourquoi la laissait-on si
solitaire ? Étais-tu seul à reconnaître sa beauté, chaque instant de sa
présence au monde ? Et d’où lui venait son calme alors même qu’elle se
tenait légèrement à distance, sans hostilité ni impatience ? On te sortait
parfois de ta rêverie, tu prenais garde à ne pas la trahir. / Une femme
souriante t’offrait un fruit étrange, dont se mangeait la grappe et la treille.
Un garçon t’invitait à visiter dans la fourche d’un chêne sa cabane assemblée sans
le recours au moindre clou. Un enseignant te désignait pour effacer le tableau.
/ Et puis c’était le cours suivant, elle t’avait devancé, la chaise à côté de
la sienne était vide, tu restais debout deux secondes de plus qu’on ne s’y
serait attendu, comme si tu étais très lent ou un peu stupide, mais puisqu’elle
ne remarquait rien de ton attente, qu’elle ne relevait pas la tête pour croiser
ton regard, alors tu allais t’asseoir un rang derrière, en diagonale. De là, tu
pouvais regarder son profil penché quand elle écrivait. Et jusqu’à ta mort, de
cela tu hurleras des sons informes, tel un damné.
lundi 9 décembre 2019
9 mars
Sans ta
colère tu t’ennuies. Ce n’est pas exact : sans ta colère, tu ennuies ceux
de tes proches qui aiment la colère. Ce n’est pas exact : ceux de tes
proches qui goûtent la colère que tu peux manifester résistent à la douceur
dont tu voudrais les envelopper. Ce n’est pas exact : certains de tes
proches qui apprécient la colère que tu ne diriges pas contre eux ne sont pas
véritablement des proches. Ce n’est pas exact : aucun de tes proches n’est
si proche qu’il te reprocherait l’ennui qui émanerait de ton absence de colère.
Ce n’est pas exact : personne ne s’ennuie.
Elle
regarde à côté de toi car elle ne sait pas mentir. Ce n’est pas exact :
regarder à côté de toi est sa façon de mentir. Ce n’est pas exact : quand
elle te regarde en face, sa vérité est difficilement soutenable. Ce n’est pas
exact : ce qui te soutient difficilement t’élève un plan de conscience
plus haut. Ce n’est pas exact : tout le monde parle pour masquer ce qui
pourrait sinon être révélé, à quoi est attachée une terrible honte. Ce n’est
pas exact : on parle pour ne pas voir. Ce n’est pas exact : elle se
trompe parfois mais ses mots sont aussi vrais que son regard.
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