jeudi 12 décembre 2019

12 mars


Il y eut la surprise d’un baiser subit, elle ne s’y attendait vraiment pas. Elle venait de lui tendre un petit verre à thé, très chaud et sucré, qu’il avait posé sur la moquette pour ne pas se brûler les doigts. Il avait dit quelque chose à propos de ses doigts, peut-être était-ce pour qu’elle y porte son attention. Peut-être était-il de ces hommes qui parcourent les magazines féminins pour y découvrir des secrets utiles, du style La première chose que je regarde chez un homme ce sont ses mains. Ou bien il est innocent. Elle ne sait pas à quoi s’en tenir avec lui, elle ne le connaît pas depuis longtemps. Il manque sans doute d’humour mais pas de douceur. Mais est-ce de la douceur qu’elle désire ? En attendant que cela refroidisse elle visite les pièces de la maison, comme si c’était elle qui faisait visiter. Il se pourrait même que ce garçon soit un peu idiot, il ne savait pas où se trouvait la théière ! Elle retourne dans le salon, s’assied en lui souriant gentiment, sans engagement. Il semble hésiter entre prendre place à nouveau à son côté ou d’abord ramasser son verre, un choix qu’elle-même hésite à juger touchant ou insultant. Finalement il s’assied, se penche pour saisir son verre, se brûle encore les doigts, le repose. La soirée va être longue.

mercredi 11 décembre 2019

Notes inactuelles sur les conclusions malheureuses

La fin malheureuse est moralisme : elle contient toujours l’idée d’une punition.
La fin heureuse est non moins problématique dans son rapport au politique : quelle mesure de déni ?
Les deux sont pliures du réel – ce qui pourrait convenir pour une définition de l’acte artistique.
Pourtant, s’affranchir de cette dichotomie est plus exaltant encore, relève de l’utopie concrète.
La question – politique – pour l’auteur est « À quoi ai-je envie de contribuer ? » Non seulement « Que veux-je exprimer » ou « Qu’est-ce qui a nécessité à s’exprimer en moi », mais « Qu’aimerais-je créer pour le donner en partage ? » Certes, cela sonne un peu christique, mais si tout créateur apprécie de se sentir démiurge, la moindre des choses est qu’il en assume la responsabilité.
Redescendons un peu…
Quoique, plus révolutionnaire encore : le drame doit-il être la pierre philosophale de la fiction ? Ou le drame dans la fiction ne serait-il que le reflet d’une perception dramatique de la condition humaine – à côté de laquelle d’autres perceptions sont possibles ?
La littérature a l’avantage de ne pas être soumise à la mécanique dramaturgique – par définition – du théâtre. Du fait aussi de sa proximité plus grande avec la poésie qui est à la fois immersion dans le réel et dégagement vis-à-vis de celui-ci.
(Laquelle poésie, soit dit en passant, penche elle aussi furieusement vers le drame ! Mais là aussi, d’autres poésies sont possibles, existent déjà, même s’il faut chercher ses herbes vivaces sur les bas-côtés.)
La littérature devrait se sentir concernée par le « Que faire ? » de Lénine. (Et la réponse ne serait sûrement pas le réalisme socialiste !)
La force d’attraction du malheur est aussi considérable que notre terreur existentielle. Mais il serait bon de valoriser les auteurs qui ne se soumettent pas à ces ressorts puissants ; de même qu’on commence à reconnaître (grâce au féminisme politique) la valeur différenciée d’une écriture féminine.
Ceci en guise d'heureux dénouement – provisoire...

11 mars


           Elle rit, de par sa nature écrivaine, un de ces rires à l’étouffé qu’on dirait sortis à la mauvaise heure du jour, quand il y a trop de vent ou qu’il fait trop chaud ou que le ciel ne ressemble pas à un plan de cinéma, elle rit comme au téléphone avec la mauvaise personne, une secrétaire de réception, un preneur de commande, un fournisseur d’accès, elle rit avec un chat dans la gorge qui fait dresser les oreilles du chat posé sur le rebord de sa fenêtre, et c’est parce qu’on l’a pris pour une autre et qu’on se reprend, et que c’est pire encore mais drôle par la métaphore : jamais encore on n’avait fait le rapprochement entre sa personne et une… crêpe ?
           Bien sûr, cela n’a pas de sens. C’est presque énervant, on se sent exclu. De sa propre vie on se sent exclu, tant une deuxième reste en tentation. Et encore, deux vies ce ne serait pas assez. La vie de sacrifice ne tient pas la route quand on n’en a qu’une, mais le problème est-il résolu pour autant ? Parfois, l’emplacement judicieux d’une virgule permet que l’adverbe « bref » soit transféré avec élégance du langage parlé au langage littéraire.
           Une pie passe en jacassant. Le chat se réfugie sous le lit. Tout contre-stéréotype a tendance à devenir stéréotypé. Par exemple, elle ne boit pas de thé. Elle rit mais elle est en colère de devoir confirmer sans cesse des choix qui furent déjà si difficiles à affirmer.
           Autrement, tout serait tellement différent, inattendu, inconnaissable... Mieux ?

mardi 10 décembre 2019

10 mars


Mais tu te souviens surtout de n’avoir rien dit. Ta voix était blanche, ton cœur était noir. Tu balbutiais une paralysie imaginaire mais si réaliste qu’elle en devenait effective. Comme s’il y avait un écran entre toi et celle que tu aimais (non, tu ne croyais pas l’aimer, tu ne le pensais pas, ne l’imaginais pas, l’absence absolue de réciprocité ne relativise en rien cette assertion : tu l’aimais). Elle regardait ailleurs. Il y avait sans doute aussi un écran entre elle et le reste du monde, que tu ne t’expliquais pas bien, pourquoi la laissait-on si solitaire ? Étais-tu seul à reconnaître sa beauté, chaque instant de sa présence au monde ? Et d’où lui venait son calme alors même qu’elle se tenait légèrement à distance, sans hostilité ni impatience ? On te sortait parfois de ta rêverie, tu prenais garde à ne pas la trahir. / Une femme souriante t’offrait un fruit étrange, dont se mangeait la grappe et la treille. Un garçon t’invitait à visiter dans la fourche d’un chêne sa cabane assemblée sans le recours au moindre clou. Un enseignant te désignait pour effacer le tableau. / Et puis c’était le cours suivant, elle t’avait devancé, la chaise à côté de la sienne était vide, tu restais debout deux secondes de plus qu’on ne s’y serait attendu, comme si tu étais très lent ou un peu stupide, mais puisqu’elle ne remarquait rien de ton attente, qu’elle ne relevait pas la tête pour croiser ton regard, alors tu allais t’asseoir un rang derrière, en diagonale. De là, tu pouvais regarder son profil penché quand elle écrivait. Et jusqu’à ta mort, de cela tu hurleras des sons informes, tel un damné.

lundi 9 décembre 2019

9 mars


           Sans ta colère tu t’ennuies. Ce n’est pas exact : sans ta colère, tu ennuies ceux de tes proches qui aiment la colère. Ce n’est pas exact : ceux de tes proches qui goûtent la colère que tu peux manifester résistent à la douceur dont tu voudrais les envelopper. Ce n’est pas exact : certains de tes proches qui apprécient la colère que tu ne diriges pas contre eux ne sont pas véritablement des proches. Ce n’est pas exact : aucun de tes proches n’est si proche qu’il te reprocherait l’ennui qui émanerait de ton absence de colère. Ce n’est pas exact : personne ne s’ennuie.
           Elle regarde à côté de toi car elle ne sait pas mentir. Ce n’est pas exact : regarder à côté de toi est sa façon de mentir. Ce n’est pas exact : quand elle te regarde en face, sa vérité est difficilement soutenable. Ce n’est pas exact : ce qui te soutient difficilement t’élève un plan de conscience plus haut. Ce n’est pas exact : tout le monde parle pour masquer ce qui pourrait sinon être révélé, à quoi est attachée une terrible honte. Ce n’est pas exact : on parle pour ne pas voir. Ce n’est pas exact : elle se trompe parfois mais ses mots sont aussi vrais que son regard.