jeudi 2 avril 2020

pourquoi si ce n'est par orgueil


2 juillet

Quoi de plus absurde et révélateur de la folie de l’homme que d’avoir dédaigné le cycle lunaire pour y substituer un calendrier arbitraire aux angles carrés ? Pourquoi si ce n’est par orgueil et par haine de la nature. Tout le long suicide de l’humanité aura découlé de cette attitude. Pourtant ce matin, le temps semble reprendre son cours là où le soir l’avait suspendu. La mer est en train de descendre, seul le soleil a changé de direction, l’espoir inversé te rassure.
Vous étiez assis à une table au milieu d’inconnus (ce n’était plus le petit-déjeuner mais un repas du soir, et tu n’étais plus seul), tu l’écoutais raconter comment vous vous étiez rencontrés, perdus de vue, retrouvés. La conclusion, merveilleusement équivoque, inattendue, telle une précision subsidiaire mais voulant être proclamée à la face du monde afin d’en affermir la réalité, te réjouit en secret : « Et depuis, on ne s’est plus quittés ». Tu ne t’en lasses pas.
Deux papillons dansent sur le chemin. Tu as failli ne pas les voir, des papillons tu en as vu tellement… Et puis tu marches trop vite, on pourrait croire que tu veux en finir, forcer le passage de ta résignation. Ce n’est pas que tu sois déprimé, mais l’espoir te fait défaut. L’exaltation, le mysticisme, la rencontre avec le divin. Même l’idiotie bienheureuse te manque, oh le  lapin ! ah la fleur ! boire de l’eau c’est merveilleux ! En moyen terme tu trouves la morosité.

mercredi 1 avril 2020

aurais-tu besoin d'un stimulant en présence du sable blanc ?


1er juillet

Aurais-tu besoin d’un stimulant en présence du sable blanc, du bleu ciel et de la mer émeraude ? Pilule pro-érectile ou anti-dépressive ? Serait-ce interchangeable ?
Et un nudiste muni d’un détecteur de métaux, ça dit quoi ? Forcément ça dit quelque chose… En tongs ! Avec une montre-bracelet en argent ! Un piercing au prépuce ?!
Il semble que le dernier chic des cafetiers bretons soit de prendre les commandes avec l’accent marseillais. Y aurait-il un lien avec la recrudescence de nudistes radio-actifs ?
Le dernier outrage des publicitaires est de vous obliger à entendre une volée d’annonces quand vous vous servez en essence. Bientôt un bracelet de serrage couplé au pistolet pour vous empêcher de raccrocher ou de vous boucher les deux oreilles avant la fin du plein de réclames. (Bientôt, d’essence il n’y aura plus, ni de surconsommation, ni d’humanité sur ce qu’il restera de planète.)
« Il fait trop frais, dommage », disait-elle au seuil de la basilique, avant de retourner dans l’étuve du dehors. « Je souhaiterais… », penses-tu à propos de tel ou tel regret amendable, et de conclure « Dommage » alors que les portes d’un avenir différent sont grandes ouvertes. "Dommage", comme s’il n’y avait pas de "je" autre que spectateur ou comme si le "je" acteur était sous la coupe du "je" qui pense. Ça clive et ça creuse sa tombe – et ça n’est toujours pas de l’action.
Étranger à tes propres désirs, le sexe, les vacances au bord de la mer, que se passe-t-il ? Comme si le monde entier était devenu du "déjà-vu". Tu avertis un gros tatoué qu’il risque de marcher sur un nid de guêpes et son chien dénommé Monsieur se ferait piquer la truffe. La plage est égale à elle-même. Une fille longe le rivage sans en rien voir, absorbée dans son téléphone. Est-ce que toi aussi tu regardes la mer comme regardent ceux qui ne voient rien ? Un chien anonyme, éperdu de joie, vient déféquer à quelques mètres de toi. Faudrait-il que tu te fasses piquer par une guêpe pour être reconnecté à la gratitude, à l’enthousiasme et au sens de la beauté ?
Ou suffit-il d’attendre patiemment, ainsi que le suggérait ton amie, que cela revienne – un nouveau matin sur le vieux monde ? Tu fais des étirements sur la plage, ton dos se raconte qu’il en a besoin pour se rétablir. Tu es un ‘‘je’’ plutôt actif (sauf quand il s’agit de descendre prendre le petit-déjeuner avec des inconnus), serait-il tout autant efficace d’être humble ? (Et partant, de supporter sans révolte la canicule, même devant les portes ouvertes de l’abbaye.)
Il y eut un matin et il y eut un soir. C’est beau, tout de même, tu t’en souviendras. Le jour décline et la marée descend. Les ombres s’étirent, la lumière devient plus chaude que l’air, les vaguelettes brisent doucement. Le sable dore à affoler les détecteurs de nudistes, les mouettes volent sans détour. Une cloche sonne l’heure indécise. Tu n’as pas endormi toutes tes faims.
La suite te donnera raison. (Et tort, à toi de choisir.) Une fille sort de l’eau avec des pattes de canard.

mardi 31 mars 2020

Interlude #6

Le 31 juin ayant été supprimé pour un motif contestable
(apparemment il ne s’agit pas du coronavirus),
et puisqu’en ce 31 mars il est toujours question de confinement,
Binh-Dû vous offre un moment Björk
vibrant de grands espaces
 – et d’un state of emergency beau et intime,
très éloigné de tout décret gouvernemental.

lundi 30 mars 2020

des livres, telle une infinité de possibles


30 juin

La veille il a retrouvé son amie parisienne, voisine du quotidien, chez une commune amie bretonne. La maison donne en terrasse sur le port, comme une proue tournée vers l’embouchure du fleuve, à l’intérieur sont rangés des centaines de livres. Telle une infinité de possibles et d’aventures. Au thé de Noël préférer une tisane de lune – choisir son décalage. C’est la veille et c’est le lendemain, une même affaire de chaises-longues, l’une résiste inexplicablement, par où ça coince, par où ça bloque ? D’évidence cette chaise-longue et lui sont appariés.
Et puis les filles s’en vont camper sur la lande, il garde la maison. La nuit il dort à plat sur un matelas, douloureux néanmoins, il se demande quelle est la plus jouée de ses mises en scène : celle de la première incapacité propice à une révélation seconde ? La mythologie de l’heureuse surprise… Le lendemain matin il y a des bruits de petit-déjeuner en bas – les colocataires –, il attend dans la mise en scène d'une solitude apeurée. Il attend qu’elles reviennent et lui racontent. Il y aura encore un repas festif, quelques notes au piano, et même un double départ vers la gare routière.

dimanche 29 mars 2020

le soleil s'est levé et réveille prématurément


29 juin

Le soleil s’est levé et réveille prématurément qui ne s’était pas garé à l’ombre la nuit précédente. Qui s’était contenté de s’orienter approximativement au souvenir des dernières lueurs du jour. Qui, un peu avant l’aube, s’était bien douté de ce qui l’attendait quand il était sorti uriner sous les étoiles, découvrant le nord au bout de la grande ourse, mais qui, préférant le "tiens" au "tu l’auras", s’était recouché au plus vite, histoire de reprendre le fil de son sommeil.
Il a encore un rêve à terminer, il démarre au radar, pieds nus sur les pédales, va se garer un peu plus loin où il y a un mur. Ferme les yeux mais en vain ; du moins s’étire autant que possible, bâille, s’apprête à bien recommencer la journée. Saisit son pied, ouvre son couteau, commence à trancher un bout de sparadrap à coller sur une ampoule. Alors un infirmier toque à sa vitre, demande si tout va bien, mais oui, pourquoi ? Eh bien parce que c’est le parking des urgences.
Pas foule pourtant, hormis un chat, des oiseaux, était-ce une clinique vétérinaire ? Ça pince quand il redémarre. La nuit il a dû dormir de travers, trop en boule pour un humain. Ou bien il s’est tordu les reins en apposant son sparadrap ? C’est maintenant qu’il aurait besoin d’un médecin. (Comme il n’en a pas sous la main, sur la plage il s’affale et se prescrit une séance d’étirements réparateurs. Mais ça ne veut pas craquer, misère, toujours ce mal de chien...)