mardi 10 août 2021

Rhizomiques #78

Quand je regarde les jeunes d’aujourd’hui, je suis surtout désolé pour eux, et ceux qui n’éveillent pas ma pitié peuvent aller se faire voir.
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Alors tout a commencé à me faire horreur, tout, les passants, les trottoirs d'école primaire, et les phrases légères de ceux dont j'observais le corps oxygéné et triomphant : ma génération qui restait vaseusement jeune jeune jeune.
Ils disaient « tranquille », « à la cool », ils disaient ciao ciao en votant à gauche, achetaient aux épiciers arabes des poignées de bonbons verts en plastique, ils s'exclamaient « je prends aussi les nounours, monsieur » et leur rire transpirait la certitude très juste qu'ils avaient d'être en train de crever quand même. Ma génération remplissait consciencieusement les papiers des impôts et avalait calmement les codes-barres et des brunches. Puis elle rotait de la tequila le week-end et se réveillait tard.
J'étais entourée de Presque Morts affolés d'être encore vivants et ils s'employaient à amenuiser cette sensation qui les tenaillait.
J'avais moi-même des accès de mort comme des évanouissements à mon état de vie.
Je n'allais quand même pas vieillir avec eux. J'étais en train de vieillir avec eux.
(...)
Bien sûr, je me doutais qu'à l'intérieur des Presque Morts on trouverait parfois un vivant. Je les sentais, les présences contraintes et muettes. Mais si peu se montraient. Où étaient-ils réunis, comment les reconnaître ? J'étais après tout, moi aussi, anonyme dans mon dégoût, cachée sous une Presque Morte, comme eux.
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Ensuite (…) la vie ne fait que creuser l’individu comme si la progression du temps vécu ne se faisait plus horizontalement et que, de jour en jour, à partir d’un certain moment, on commençait à s’enfoncer verticalement en soi-même.
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En dépit du fait que la lenteur, l’opacité et l’ennui faisaient partie de l’état émotionnel perpétuel et irrémédiable de Marcelo depuis toujours, il avait la sensation de ne pas toujours avoir été comme ça. Il pressentait qu’il y avait eu un moment où toute la pantomime de son enthousiasme avait été soutenue par un sentiment authentique. Il situait dans un passé lointain, antérieur à son âge adulte, la source de l’euphorie et de la vigueur créative dont il continuait, selon lui, à boire les séquelles. De la même manière, il prévoyait un avenir d’intense créativité, toujours imminent, dans lequel il recommencerait à exister avec enthousiasme et plénitude, savourant à fond chaque détail de la vie quotidienne. Le report perpétuel d’un tel moment le contrariait énormément, par périodes, mais son extrême auto-complaisance l’empêchait de reconnaître que le problème était, non pas une simple question d’étape ou de processus, mais plutôt de structure.
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C’était comme si, au cours du temps, l’être se divisait en deux, mitose de l’homme et de sa mémoire qui laisse le garçon se séparer du tout petit enfant, et plus tard l’adulte de l’adolescent, comme une représentation de l’évolution humaine, depuis le primate à quatre pattes en passant par le demi-homme sauvage, plié en deux, jusqu’au fier héritier de la terre, Homo sapiens, qui marche la tête haute, chaque homme abandonnant son prédécesseur, chaque phase une simple préparation de la suivante, et finalement l’enfance laissée loin en arrière, reléguée.
 
Louis de Bernières (in La fille du partisan)
& Lola Lafon (in De ça je me console) 
& Serge Rezvani (in Le testament amoureux)
& Daniel Saldaña Paris (in Parmi d’étranges victimes)
& Zia Haider Rahman (in A la lumière de ce que nous savons)

mardi 3 août 2021

Rhizomiques #77

La pluie continuait de tomber sur le jardin et Mrs Barron exprima le regret que les jeunes gens ne puissent pas sortir cueillir les framboises qui étaient mûres et se détachaient de leurs tiges. Bessie jeta un coup d’œil reconnaissant vers le ciel qui s’obscurcissait : les framboises, ça grouille de vers, c’est infesté de grosses mouches bleues et de sauterelles d’un vert métallique qui copulent grossièrement. Les framboises, c’est mou et pulpeux, ça se désintègre entre vos doigts, en un tas de petits sacs sanguinolents. Les framboises, ça tache votre robe du dimanche et ça vous attire des ennuis. (Bessie avait eu de mauvaises expériences avec les framboises.)
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J’ai couru. J’allais pas assez vite, alors j’ai volé. (…) 
De mes hauteurs, je vois les gens qui se pressent, se bousculent, se haïssent et haïssent la vie qui les a rendus adultes.
Ces gens-là ne savent pas que, dans le dictionnaire des enfants, au mot adulte, il est écrit :
Voir douleur, chagrin. Usure du temps, usure des gens. Se dit de ce qui a grandi trop vite. En accord avec la perte de l’innocence. Perte de l’insouciance. Contraire de Peter Pan. Ce qu’il advient des enfants au détriment de leurs rêves.
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Qu’est-ce qui les recueille, ces heures-là, qui n’ont servi à rien ? Quelquefois je crois qu’il est à l’envers du monde un endroit où elles sont conservées, où elles tombent comme de l’eau pure, où les morts les boivent pour être heureux.
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Et la vie suit son cours et la vie s’écoule tandis que nous attendons sans fin qu’elle recommence un peu. Même les gens comme moi sont toujours en train d’attendre. Peut-être surtout les gens comme moi. D’ailleurs, qui peuvent-ils bien être ?
 
Margaret Drabble (in La Phalène)
& Benatar (in La fièvre de l'ouest)
& Catherine Pozzi (in Agnès)
& Steinunn Sigurdardóttir (in Le Cheval Soleil)

jeudi 22 juillet 2021

Rhizomiques #76

Sur un des murs du fond, saint Georges terrassait un dragon, sa lance lui transperçant la poitrine, le sang rouge coulant sur le ventre écailleux. Si l’on était capable de croire en Dieu, ce n’était sûrement pas difficile de croire aux dragons.
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Nous étions à moins d’un mile de la côte quand un marin attira mon attention sur un animal extravagant, grand comme un bœuf, avec un museau de chien et des nageoires comme celles d’un phoque. Le marin me dit que, dans le fleuve Amazone, on trouvait aussi beaucoup de ces créatures étonnantes, et qu’on leur donnait là-bas le nom de poisson-bœuf ou manati. Il me dit aussi que les femelles allaitaient leurs petits au sein, comme de vraies femmes, tout en chantant, et que leur chant était si beau et si triste qu’il arrivait souvent que celui qui les écoutait devînt fou.
De ces animaux, que certains appellent aussi poisson-femme, est peut-être né le mythe des sirènes, avec lequel les marins aiment terrifier le vulgus, et il est lamentable que de nombreux auteurs respectables défendent encore aujourd’hui une si grande aberration. Dieu, puisque Dieu il y a, n’insufflerait jamais la vie à une si grossière contradiction, car il me semble que cela soit une tâche impossible que d’harmoniser la perfection de la femme, sa peau si douce et parfumée, avec la bestialité d’un poisson.
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- Le sang de limace remplace le sang de dragon ? demanda Olearius.
- Non, dit Kircher avec indulgence. La bile de dragon.
- Et qu’est-ce qui vous amène ici ?
- La substitution a ses limites. Le pestiféré choisi pour notre expérience est mort malgré la décoction, ce qui prouve clairement que du vrai sang de dragon l’aurait guéri. Il nous faut donc un dragon et c’est dans le Holstein que vit le dernier dragon du Nord.
(…)
- Est-ce qu’on l’a déjà aperçu, ce dragon ?
- Bien sûr que non. Un dragon qu’on aurait aperçu serait un dragon qui ne dispose pas de la qualité principale de son espèce – à savoir être introuvable. C’est précisément la raison pour laquelle on doit afficher le plus grand scepticisme face aux récits de ceux qui prétendent avoir vu un dragon, car un dragon qu’on peut apercevoir serait déjà a priori considéré comme un dragon qui n’en est pas vraiment un.
Olearius se frotta le front.
- Dans cette contrée, l’existence d’un dragon n’a visiblement jamais été confirmée.  Par conséquent, je suis absolument certain qu’il y en a un.
 
Louise Welsch (in La fille dans l’escalier)
& José Eduardo Agualusa (in La reine Ginga - et comment les Africains ont inventé le monde)
& Daniel Kehlmann (in Le roman de Tyll Ulespiègle)

jeudi 15 juillet 2021

Rhizomiques #75

Si je te demande de penser à un éléphant… allez, faisons une expérience. Pense à un éléphant. Que vois-tu ? Qu’as-tu à l’esprit ?
Un éléphant. J’ai un éléphant à l’esprit, répondis-je.
Maintenant, pense au nombre quinze.
Après un silence, il demanda : A quoi penses-tu ?
Au nombre quinze.
Faux. Tu as dans ton esprit l’image des nombres un et cinq, de quinze, n’est-ce pas ?
Exact.
Ce n’est pas le nombre quinze mais une représentation de lui.
Mais n’importe quel mot n’est-il pas une représentation de la chose elle-même ?
Si, mais je ne te demande pas de penser aux mots ; je te demande de penser à des choses – un éléphant et le nombre quinze. Et quand tu penses à quinze, un-cinq, tu ne penses pas au nombre – tu penses à une représentation de ce nombre. Autrement dit, tu penses à quelque chose qui exige de toi le recours à un code entièrement distinct afin de percer son mystère – dans ce cas, le code est le système décimal. Pense de nouveau à un, suivi de cinq. Cela n’a de sens que comme représentation du nombre quinze et à condition d’être dans le système décimal. Mais où est le code dans l’image de l’éléphant ? Tu pensais à un éléphant particulier, l’éléphant dans ton esprit. Pour le nombre quinze, tu as dû te contenter des numéros un et cinq. C’est comme si les nombres disaient : pour nous voir un tant soit peu, pour discerner un certain visage de nous, il faut que tu choisisses.
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J’avais beau user, croyais-je de toute la discrétion possible, elle repérait toujours ma silhouette furtive, un pan de mon manteau couleur muraille, mon ombre dans une encoignure. Je n’attendais rien d’elle, je ne voulais que la suivre en douce, en secret, en cachette, mais toujours, donc, elle me surprenait en se retournant brusquement, se plaignait de moi, me montrait les dents, menaçait d’alerter la police. 
Alors, je changeai de tactique. Auprès d’un vieil Indien, je m’initiai à l’art du cornac et, dans une animalerie clandestine des bas quartiers, à la tombée du soir, je fis l’emplette d’un éléphant.
Et c’est dans cet équipage, à califourchon sur l’échine de Soliman, que je repris ma filature quotidienne. Elle ne s’en offusqua plus car elle ne s’en avisa jamais : comment imaginer, en effet, qu’un éléphant vous suit ? 
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Le ciel ressemblait à une peau d’éléphant tendue au-dessus de la ville.
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Parfois, son genou gauche frôlait mon genou droit, comme deux éléphants qui se touchent le front. Mais juste le temps que ça puisse passer pour un salut d’éléphant, pas plus. 
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Je m’étonne de ne pas avoir écrit plus régulièrement sur le sexe, cet éléphant enfermé dans la chambre de ma tête.
 
Zia Haider Rahman (in A la lumière de ce que nous savons
& Éric Chevillard (in L’autofictif du 26 mars 2021)
& Michael Christie (in Un compagnon idéal)
& Chris Kraus (in Sommerfrauen, Winterfrauen)
& Pablo Casacuberta (in Une santé de fer)

jeudi 8 juillet 2021

Rhizomiques #74

Le prêtre drapa une étoffe sur le calice et tous les yeux se posèrent sur lui alors qu’il s’apprêtait à transformer le vin doux en sang du Christ. Au-dessus, Jésus levait les yeux au ciel depuis sa croix, avec l’air de vouloir maudire ce père qui l’avait cloué là.
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En regardant le Christ, je vis, au lieu de ses chevilles croisées, les pilons soigneusement pliés d’un poulet rôti. Je cessai de le contempler.
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Une fois, je suis entré dans une église avec une bouteille dans la main et j’ai voulu allumer un cierge mais j’ai pas pu à cause que j’étais trop bourré et je me suis cramé le doigt avec les allumettes. Après ça, le prêtre m’a fait agenouiller et m’a demandé de prier. Moi, j’ai regardé ce bon vieux Christ cloué sur sa croix. Derrière lui, il y avait un beau vitrail et j’ai dit : « Mon vieux, je bousille ma vie tous les jours que tu veux bien me donner et je voudrais que tu me dises pourquoi. » Et j’ai attendu, j’ai attendu et je n’ai pas eu de réponse… J’ai attendu des heures et le prêtre en a eu assez. Il est venu me relever et m’a demandé pourquoi je restais là à attendre. Alors je lui dis que j’attends ma réponse et le prêtre me demande si je me rappelle avoir fait une bonne action, une fois dans ma vie, et je cherche, je cherche et je me souviens d’une toute petite chose. Je dis : « Oui, mon père, à huit ans j’ai planté un arbre. » Et voilà pas que le sourire du pasteur s’éclaire d’une lumière que j’ai jamais pu oublier. La vraie lumière de Dieu qui a glissé sur ses lèvres. Ses lèvres ont dit comme ça : « Alors tu peux aller en paix mon fils, tu n’as pas échoué, non, tu n’as pas raté ta vie. » Tout ça à cause d’un tout petit arbre que j’avais planté du temps que j’étais gosse ! Et cet arbre a sauvé toute ma vie. J’étais heureux ce jour-là, j’ai dit au prêtre : « Vous devriez être Dieu à la place de Dieu. » Et je suis sorti de l’église pour me payer une bouteille.
(...) Maintenant j'attends les émissaires de Dieu. Y viendront me faire la peau dans pas si longtemps. Parce que je n'ai pas compris ce que m'avait dit le pasteur, ce jour-là. Je n'ai pas replanté d'autres arbres.
 
Louise Welsch (in La fille dans l’escalier)
& Jennifer Egan (in Sacré-Cœur)
& Benatar (in La fièvre de l'Ouest)

jeudi 1 juillet 2021

Rhizomiques #73

J'imagine parfois que je sens la Terre interrompre sa rotation et prendre le temps de nous observer, comme pour nous demander : Mais bon Dieu, vous vous prenez pour qui ?
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Le boum du mur du son écrase le crâne d'un bébé vison. Nous le savons. Est-ce que ça ne suffit pas ?
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J’entends le brutal vlamm-BANG ! d’un jet qui passe le mur du son, déchirant le ciel. Une détonation qui vous arrête le cœur. 
(…) Imaginez qu’un pauvre couple de mouflons ait été en train de copuler, sur le point de jouir, quand cet androïde casqué a franchi le son dans sa machine volante. Ça aurait pu stériliser ces pauvres bougres pour toujours, ou pire encore, leur faire concevoir quelque mutant de mouflon monstrueux, une bête à cornes d’aluminium, sabots de bakélite et toison en dacron. Je ne plaisante pas. Si la vie des choses naturelles, vieille de millions d’années, n’est pas sacrée pour nous, alors qu’est-ce qui peut l’être ? La seule vanité humaine ? Le mépris du monde naturel implique le mépris de la vie. A dominer la nature on domine la nature humaine. Tout devient possible. Autorisé. Nous retournons encore une fois aux cultures cauchemardesques d’Hitler, Staline, Philippe II, Montezuma, Caligula, Héliogabale, Hérode, et des pharaons ; le Christ s’est sacrifié pour rien.
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Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde.
 
Rick Bass
Jim Harrison (in Wolf)
Edward Abbey (in Un fou ordinaire)
Blaise Pascal

mercredi 23 juin 2021

le soleil joue avec ton ombre

19 juillet 2020

Jour 4

On ne joue jamais seul. Même en solitaire, même en patience, même au hasard. Il y a toujours un sentiment d’altérité, fût-elle fantasmatique.

Cette fois-ci, pour ton dernier jour, tu t’offres le grand tour. La montée abrupte le matin, à flanc de cascade, les quelques randonneurs essoufflés tu les dépasses en courant.

(Tu n’imagines pas être à l’avenir – quel avenir ? – moins bondissant, plus fatigué encore que tu ne l’étais à ton arrivée, et devoir lever les yeux vers ton ancien toi.)

Le premier refuge, tu le snobes, ne veux rien voir, rien entendre, tu continues ta course dans le vallon, traverse le torrent, grimpe encore jusqu’au prochain plateau.

Là tu t’arrêtes, tu bois de l’eau. Tu t’imprègnes par toutes les cellules de ton corps de ce spectacle caché, ce cirque inaltérable de montagnes.

Puis tu continues, c’est de plus en plus beau, cela ne saurait s’altérer de mémoire d’homme, tu te raccroches à cette pensée. Tu surplombes un lac.

Le refuge au bord du lac tu n’en veux pas non plus, il y a moyen de longer une ligne de crête, dans les éboulis. Tu penses aux amies, tu leur raconteras.

Tu penses à un livre que tu écriras – tu t’arrêtes pour prendre des notes. Tu repars, te souvenant de respirer au rythme de l’ici et du maintenant.

À l’approche d’un nouveau col tu penses à ceux qui sont morts, tu imagines qu’ils t’aiment encore. Les fleurs abondent. Ici même, il y a plusieurs années, sous l’orage tu as prié.

Tu as demandé un surcroît d’existence – des choses utiles à faire. Voilà un jeune couple et leurs deux enfants, ils guettent les bouquetins, ils sont magnifiques.

Dans une autre vie cela se serait passé ainsi pour toi aussi. Les névés sont épais, cette fois tu as pris tes bâtons métalliques pour ne pas glisser.

Le troisième refuge te surprend, juste en devers du col, une serveuse masquée apporte des sodas à des corps avachis, huilés de soleil. Ils sont horribles, tu t’enfuis.

                        

Il ne s’agit plus que de redescendre, tu ralentis. Tu n’es pas pressé. Une autre fois tu es rentré à la nuit, tu avais vu davantage d’animaux. Là ce sont surtout des marmottes.

Deux marmottons jouent à la bagarre, dévalant et remontant sans fin un talus. Tu t’approches pas à pas. Le jeu et l’autre, telle est l’évidence, tu médites un moment.

Le soleil couche ton ombre en arrière de toi. Une autre fois tu avais croisé un serpent. Cette nuit tu dormiras près de la cascade. Le lendemain tu t’en iras.