samedi 14 décembre 2019

14 mars


           À moins que tu ne veuilles continuer à danser avec les mariées, toutes semblables dans leur robe blanche, et fatiguées déjà de la cérémonie, des discours, des odeurs de parfum mouillé qui se superposent sur leurs joues, fatiguées déjà de la première nuit d’une nouvelle vie supposée les attendre et les combler, oh ces regards qui se posent sur elles comme si elles le méritaient, toi tu sais qu’il n’y a aucun mérite à se marier avec un plus ou moins grand connard égoïste, ils se ressemblent tous, on pourrait intervertir les mariées cela ne ferait pas une grosse différence.
           À l’une, à l’autre tu ferais tes yeux éperdus, tu enverrais dans l’atmosphère le plus lisible des messages secrets, et si vous vous retrouviez derrière un buisson tu dirais que jamais, que toujours, tes petits serments de nazi, allez tu pleurerais bien deux ou trois larmes montées du fond de ton cœur tandis qu’à l’autre bout du jardin un genre de curé tiendrait salon sous la pergola, arguant des vertus de tempérance et de persévérance, la mariée peut-être accepterait que tu l’embrasses mais sans déranger sa mise en pli ni les dentelles de son chapeau et s’il te plaît, enlève ta main !

vendredi 13 décembre 2019

13 mars


           À force de prétendre que tu n’as rien de singulier tu vas finir par te faire bouffer par l’un ou l’autre zombie qui nous zyeutent derrière la haie. Très cher, passez devant, je vous rejoins. Déjà on ne te voit plus. Tu ressembles à cette actrice, là, j’ai oublié son nom.
           On jettera des cailloux dans la rivière pour faire pleurer une petite fille, d’accord ses vêtements sont trempés et elle saigne un peu au mollet, mais c’est qu’elle bougeait tout le temps, c’était difficile de bien viser. Et puis c’est elle qui a commencé.
           C’est comme si tu te méfiais de tous les aquarellistes sous prétexte que Hitler barbouillait des toiles quand il n’était encore qu’un jeune connard arrogant et plaintif. Je m’en fous, je sais pas dessiner mais c’est pas une raison. Fais-moi confiance, un peu.
           Grandir, grandir, les adultes n’ont que ça en tête ! Non mais ils ont vu leur tronche ? Qui pourrait avoir envie de leur ressembler ? Et puis c’est absurde, vu qu’eux-mêmes font tout leur possible pour paraître plus jeunes. Ça pue le piège, cette histoire.
           Mais qu’est-ce que tu attends, bon sang de mauvais sang ! On est déjà en retard, la soirée à peine entamée est un désastre. On reprend depuis le début ? Allez, au point où on en est… Non, toujours pas ? Venez, très cher, nous reviendrons un autre jour.

jeudi 12 décembre 2019

12 mars


Il y eut la surprise d’un baiser subit, elle ne s’y attendait vraiment pas. Elle venait de lui tendre un petit verre à thé, très chaud et sucré, qu’il avait posé sur la moquette pour ne pas se brûler les doigts. Il avait dit quelque chose à propos de ses doigts, peut-être était-ce pour qu’elle y porte son attention. Peut-être était-il de ces hommes qui parcourent les magazines féminins pour y découvrir des secrets utiles, du style La première chose que je regarde chez un homme ce sont ses mains. Ou bien il est innocent. Elle ne sait pas à quoi s’en tenir avec lui, elle ne le connaît pas depuis longtemps. Il manque sans doute d’humour mais pas de douceur. Mais est-ce de la douceur qu’elle désire ? En attendant que cela refroidisse elle visite les pièces de la maison, comme si c’était elle qui faisait visiter. Il se pourrait même que ce garçon soit un peu idiot, il ne savait pas où se trouvait la théière ! Elle retourne dans le salon, s’assied en lui souriant gentiment, sans engagement. Il semble hésiter entre prendre place à nouveau à son côté ou d’abord ramasser son verre, un choix qu’elle-même hésite à juger touchant ou insultant. Finalement il s’assied, se penche pour saisir son verre, se brûle encore les doigts, le repose. La soirée va être longue.

mercredi 11 décembre 2019

Notes inactuelles sur les conclusions malheureuses

La fin malheureuse est moralisme : elle contient toujours l’idée d’une punition.
La fin heureuse est non moins problématique dans son rapport au politique : quelle mesure de déni ?
Les deux sont pliures du réel – ce qui pourrait convenir pour une définition de l’acte artistique.
Pourtant, s’affranchir de cette dichotomie est plus exaltant encore, relève de l’utopie concrète.
La question – politique – pour l’auteur est « À quoi ai-je envie de contribuer ? » Non seulement « Que veux-je exprimer » ou « Qu’est-ce qui a nécessité à s’exprimer en moi », mais « Qu’aimerais-je créer pour le donner en partage ? » Certes, cela sonne un peu christique, mais si tout créateur apprécie de se sentir démiurge, la moindre des choses est qu’il en assume la responsabilité.
Redescendons un peu…
Quoique, plus révolutionnaire encore : le drame doit-il être la pierre philosophale de la fiction ? Ou le drame dans la fiction ne serait-il que le reflet d’une perception dramatique de la condition humaine – à côté de laquelle d’autres perceptions sont possibles ?
La littérature a l’avantage de ne pas être soumise à la mécanique dramaturgique – par définition – du théâtre. Du fait aussi de sa proximité plus grande avec la poésie qui est à la fois immersion dans le réel et dégagement vis-à-vis de celui-ci.
(Laquelle poésie, soit dit en passant, penche elle aussi furieusement vers le drame ! Mais là aussi, d’autres poésies sont possibles, existent déjà, même s’il faut chercher ses herbes vivaces sur les bas-côtés.)
La littérature devrait se sentir concernée par le « Que faire ? » de Lénine. (Et la réponse ne serait sûrement pas le réalisme socialiste !)
La force d’attraction du malheur est aussi considérable que notre terreur existentielle. Mais il serait bon de valoriser les auteurs qui ne se soumettent pas à ces ressorts puissants ; de même qu’on commence à reconnaître (grâce au féminisme politique) la valeur différenciée d’une écriture féminine.
Ceci en guise d'heureux dénouement – provisoire...

11 mars


           Elle rit, de par sa nature écrivaine, un de ces rires à l’étouffé qu’on dirait sortis à la mauvaise heure du jour, quand il y a trop de vent ou qu’il fait trop chaud ou que le ciel ne ressemble pas à un plan de cinéma, elle rit comme au téléphone avec la mauvaise personne, une secrétaire de réception, un preneur de commande, un fournisseur d’accès, elle rit avec un chat dans la gorge qui fait dresser les oreilles du chat posé sur le rebord de sa fenêtre, et c’est parce qu’on l’a pris pour une autre et qu’on se reprend, et que c’est pire encore mais drôle par la métaphore : jamais encore on n’avait fait le rapprochement entre sa personne et une… crêpe ?
           Bien sûr, cela n’a pas de sens. C’est presque énervant, on se sent exclu. De sa propre vie on se sent exclu, tant une deuxième reste en tentation. Et encore, deux vies ce ne serait pas assez. La vie de sacrifice ne tient pas la route quand on n’en a qu’une, mais le problème est-il résolu pour autant ? Parfois, l’emplacement judicieux d’une virgule permet que l’adverbe « bref » soit transféré avec élégance du langage parlé au langage littéraire.
           Une pie passe en jacassant. Le chat se réfugie sous le lit. Tout contre-stéréotype a tendance à devenir stéréotypé. Par exemple, elle ne boit pas de thé. Elle rit mais elle est en colère de devoir confirmer sans cesse des choix qui furent déjà si difficiles à affirmer.
           Autrement, tout serait tellement différent, inattendu, inconnaissable... Mieux ?