mercredi 26 août 2020

Rhizomiques #54

Nous nous sommes rencontrés sur une plage. (…) On était tous en maillot. Je m’étais baignée et j’avais relevé en chignon mes longs cheveux, j’étais un peu étourdie par la chaleur, je n’arrêtais pas de pouffer… Lui, mon futur mari, un homme qui avait sept ans de plus que moi, s’amusait, exécutait toutes sortes de tours. Il était le point d’attraction des autres hommes. Il s’est tenu sur les mains jusqu’à ce que les veines de sa nuque saillent… puis il a laissé retomber ses jambes, d’un mouvement sec, en éparpillant le sable… Il y avait du sable sur sa poitrine, dans ses cheveux emmêlés… Dans ma poitrine à moi, j’ai ressenti la furieuse morsure de l’amour, profondément. 
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Les paroles de la chanson sortant du juke-box étaient claires et la voix nasillarde comme toutes celles qui avaient vibré auparavant dans la cantina. C’était une voix féminine et c’était une chanson triste, féminine et triste comme la silhouette qui pénétrait à l’instant par la porte en bois et laissait ses yeux errer dans la pénombre (…), dans un moment élastique et irréel de plus ou moins deux secondes, aux yeux de Rodrigo, dont tous deux se souviendraient comme le plus propre de ceux qu’ils avaient vécu jusque-là. Parce qu’il y a des moments propres, où l’air semble réellement une matière docile qui nous permet de comprendre le monde, et il y a des moments sales ou bruyants pendant lesquels le moindre degré de lucidité est immédiatement réfréné par l’insipide matière des choses, qui s’imposent comme symptômes d’une maladie très grave que nous nous accordons tous à appeler « monde », ou « monde cruel » lorsque nous devenons tragiques.

JC Oates (in Puzzle)
& Daniel Saldaña Paris (in Parmi d’étranges victimes)