C’est intéressant de parler du caca. Nous sommes un amas
de chair, c’est notre misère. On a tendance à l’oublier dans notre monde qui
déréalise tout.
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Je
suis particulièrement soucieux de ma prochaine défécation, poursuivis-je. Il me
semble qu’il y a des limites très précises à ce que la société peut supporter.
Il y a toutes sortes d’excentricités et d’horreurs absurdes qui sont permises –
les guerres, le mariage, les taudis – mais il semble que l’idée de devoir faire
ses besoins partout sauf aux cabinets est universellement tenue pour
inconvenante.
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Je
découvris que même pour déféquer, les riches et puissants habitants de Luanda
recouraient à l’aide des esclaves. Chose que jamais je ne voulus accepter. Et
ce refus, je pense, me sauva la vie. C’est ce qui se passa un jour où j’allai,
au crépuscule, me réfugier dans le coin le plus éloigné du jardin, au-delà des
cabanes des esclaves, afin de satisfaire les besoins du corps. Je m’accroupis
derrière des buissons, et j’étais là, réduit au plus faible bruit de
l’existence, lorsque j’entendis près de moi une effrayante conversation. Deux
hommes discutaient en quimbundo de la meilleure façon de s’introduire dans ma
maison et de me tuer. (…) Si je m’étais rendu dans ce coin, bruyamment et avec
ostentation, à la tête de trois esclaves, deux pour transporter une bassine
d’eau tiède et parfumée, le troisième portant une serviette, les soldats du
capitaine m’auraient extirpé de là et troué le ventre à coups de couteau. Ou
ils se seraient enfuis et, revenant la nuit suivante, m’auraient égorgé dans
mon sommeil. Je restai tapi, dans le plus grand silence, jusqu’à ce qu’ils
partent. Seulement alors, je me relevai et courus vers la maison en criant et
en tenant mes culottes à la main.
Blanche Gardin
& Luke Rhinehart (in L'homme-dé)
& José
Eduardo Agualusa (in La reine Ginga - et comment les Africains ont inventé le monde)