vendredi 27 septembre 2019

Hybrides #16

Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s’enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvements vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l’eau.
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L'eau n'est pas forcément offensive, elle est enfermée. On la dit véhémente et tempétueuse, mais on ne dit jamais la violence des rives, leurs contraintes, l'autorité des canaux, des dérivations, des ponts, des digues, des écluses, des chenaux, des béals.

Julio Cortazar (Marelle)
& Emmanuelle Pagano (Ligne & Fils)


mercredi 25 septembre 2019

Vivaces #12

"Il ne faut pas plaquer le charme romantique sur l’intelligence classique. Il faut unir en profondeur les deux conceptions classique et romantique. L’histoire de la raison, jusqu’alors, est l’histoire d’une fuite, un refus du monde romantique et irrationnel de l’homme primitif. Pour libérer la pensée rationnelle, et lui permettre de comprendre et de maîtriser l’ordre de la nature, il a fallu, bien avant l’époque de Socrate, rejeter la passion et les émotions. Il est temps, maintenant, d’avancer plus loin dans la connaissance de la nature, en intégrant de nouveau à la raison ces passions que nous avons si longtemps méprisées."

Robert Pirsig (in Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes
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"Tu vois, ces champignons ne sont que le fruit d’un organisme beaucoup plus grand qui vit sous terre. On appelle les racines de champignons le mycélium, et le mycélium est en fait un immense réseau de fibres entremêlées et interconnectées juste sous nos pieds. C’est exactement comme un bois de trembles. On dirait un tas d’arbres différents, mais ils poussent de manière rhizomatique et ne forment en fait qu’un seul arbre. Tu savais ça ? (…) Et tu sais quoi d’autre : il y a plus de connexions dans ce réseau mycélial qu’il n’en existe dans un réseau neuronal humain. Cela signifie que ce truc est conscient. (…) Peux-tu croire une seule seconde que ce phénoménal fongus qui s’étend sous nos pieds n’est pas en train de nous observer, là, maintenant ? Réfléchis-y. Il doit y avoir plus d’une centaine de milliards de connexions là-dessous. Ce truc vrombit de conscience. On peut même la sentir si on fait attention."

Tony Vigorito (in Dans un jour ou deux)
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"Le sensoriel, plus vital, plus désordonné, refuse souvent le recours au rationnel intelligible. Il faut être ou sensible-stupide ou intelligent-distant."

Henri Cueco (in Le journal d'une pomme de terre)

lundi 23 septembre 2019

Vivaces #11

"Les Grecs anciens, qui ont inventé la raison classique, n'ont pas commis l'erreur de l'utiliser pour prévoir l'avenir. Ils écoutaient souffler le vent, et fondaient leurs prédictions sur les phénomènes naturels. Cela paraît insensé - et pourtant, ce sont eux qui ont inventé la raison."
Robert Pirsig (Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes)
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"Les racines de la créativité résident non dans la névrose mais dans la capacité de souffrance."
Alice Miller (L'enfant sous terreur)
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"Le chagrin nous met au défi d’aimer une fois encore."
Terry Tempest Williams (Refuge)

samedi 21 septembre 2019

Vivaces #10

"La lumière ne peut être trouvée qu'à partir de l'ombre, sinon elle n'existe pas, ce n'est qu'une idée."
Juliette Binoche
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"Tout en elle me bouleversait et la pensée même qu'elle avait sûrement une voire deux grand-mères vivantes ou mortes. Et de savoir qu'elle avait déjà vu la pleine lune ou des hirondelles sur un fil me mettait les larmes aux yeux."
Eric Chevillard (Du hérisson)
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"Nous ne sommes pas tant affectés par les choses que par l'idée que nous nous en faisons."
Epictète

jeudi 19 septembre 2019

Hybrides #15

    - J’ai été élevée sous le ciel d’Afrique, me dit-elle. L’obscurité est une chose dont je n’ai jamais eu peur. La clarté, la précision et la profusion des étoiles constituaient des cartes indiquant comment naviguer dans la nuit. Je savais toujours où j’étais, simplement en regardant le ciel.
     Elle marqua une pause avant de reprendre :
     - Mes fils n’ont pas ces guides. Ils n’entretiennent aucune relation avec l’obscurité, rien, dans leur imaginaire, ne leur dit qu’il existe des sentiers qu’ils peuvent emprunter dans la nuit.
    - J’ai une amie norvégienne qui dit : « Les lumières des villes sont un complot contre la pensée supérieure ».
     - Très juste, répondit en souriant Wangari. (…) Parce que nous avons oublié notre parenté avec la terre, notre parenté avec nos semblables s’est affaiblie. Nous évitons d’assumer des responsabilités et de nous impliquer. Nous choisissons de nous occuper, ce qui n’a rien à voir avec s’engager. En Amérique, le temps, c’est de l’argent. Au Kenya, le temps, c’est des relations. Nous avons une conception différente de l’investissement.

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J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.

Terry Tempest Williams (Refuge)
& Arthur Rimbaud (Les Illuminations)

mardi 17 septembre 2019

Hybrides #14

      Des générations et des générations de chevêches des terriers ont grandi ici. Je me tournai vers mon amie, lui expliquant que quatre bébés chouettes avaient survécu à l’inondation.
        Nous étions impatientes de les voir. (…)
       Le nid avait disparu. Rasé. A la place, à une quinzaine de mètres, s’élevait un bâtiment en parpaings portant un panneau : LA BERNACHE DU CANADA – CLUB DE CHASSE.
      Nous sortîmes de la voiture pour aller à pied jusqu’à l’endroit où le monticule s’était toujours trouvé, aussi loin que je puisse m’en souvenir. Disparu. Pas la moindre pelote de régurgitation.
        Un pick-up bleu s’arrêta près de nous. (...)
       - On les a pas tuées. Les types du service d’entretien des routes sont venus et ils ont gravillonné l’endroit. C’était pas du luxe. Je veux dire, faut bien admettre que ces chouettes sont des petites emmerdeuses plutôt dégoûtantes. Elles arrêtent pas de chier partout si vous les laissez faire. Et puis, essayez un peu de dormir avec elles dans le coin, qui hurlent toute la nuit. Elles pouvaient pas rester là. (…)
       L’esprit rationnel est séparé de l’esprit violent par une cloison d’acier qui a pour nom la retenue. Je faisais l’expérience de la rage. J’avais le feu au ventre.
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J'ai vu comme vous des hommes mastiquer avec mesure en gardant l’œil pertinent, en feuilletant de la main gauche une revue économique. Est-ce ma faute si je préfère assister au repas des phoques ?

Terry Tempest Williams (in Refuge)
& Jean-Paul Sartre (in Érostrate)


mercredi 11 septembre 2019

11 septembre


           Peut-on être peut-être amoureux ?
           D’étape en étape être amoureux ? A-t-on été amoureux si l’on commence à douter de l’être ? Est-on amoureux s’il nous suffit de tomber, que devient l’amour quand on se relève ?
           À pleins poumons inhaler le parfum du foin aux mille fleurs. Et même les odeurs de bouse deviennent délicieuses, on se jetterait au cou des vaches. L’air frais du matin enivre non moins que l’altitude, criquets et sauterelles sont de la partie.
           Nous avons bien du mérite. Pour les générations précédentes, la société était injuste, c’était admis. Elle est censée à présent être égalitaire, d’où la gigantesque embrouille. Nous nous faisons emmerder, mais d’une force ! Ô combien de nuisances subissons-nous ! Comme nous sommes gentils ! Nous sommes gentils telles des vaches broutant sous les éoliennes.
           Tu aimerais bien être amoureux, cela rétrécirait ton regard. Tu te focaliserais sur un grain de peau. Tu y décèlerais l’absolu de l’âme, tu t’émerveillerais et serais rempli d’indulgence.
           Mais cherches-tu vraiment une réponse ?