lundi 7 octobre 2019

Hybrides #19

Le passé n'existe que dans nos souvenirs, le futur n'existe que dans nos projets. Le présent est notre seule réalité. (...) Tout objet conçu intellectuellement est toujours situé dans le passé - et, par conséquent, irréel. La réalité n'est que l'instant de la vision qui précède la conscience. Il n'y a pas d'autre réalité. Cette réalité pré-intellectuelle n'est autre que la Qualité.
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Ce que beaucoup de gens appellent aimer consiste à choisir une femme et à l’épouser. Ils la choisissent, je le jure, je l’ai vu. Comme si l’on pouvait choisir dans l’amour, comme si ce n’était pas un éclair qui te fend en deux et te laisse pétrifié sur place. Tu diras qu’ils la choisissent parce qu’ils l’aiment, moi je crois que c’est versa vice. On ne choisit pas Béatrice, on ne choisit pas Juliette.

Richard Pirsig (Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes)
& José Cortazar (Marelle)

samedi 5 octobre 2019

Hybrides #18

    Elle se souvint du fluoroscope qu’on utilisait au rayon chaussures. Un machin de la taille d’un congélateur dans lequel les clients, en particulier les enfants car ils adoraient ça, glissaient leurs pieds. (…) Les gamins poussaient de petits cris en voyant s’agiter leurs orteils fantomatiques au bout de leurs pieds (…).
   Elle savait deviner une pointure sans y avoir recours, mais la machine faisait vendre, aucun doute là-dessus.
   Bernice apprit plus tard qu’il s’agissait de rayons X, et l’idée lui causait désormais des frissons. Ces sales rayons, ou faisceaux, ou elle ne savait quoi, dont ils avaient été bombardés, elle et toutes ces mères et ces jeunes enfants. Comment avait-elle survécu si longtemps ?
   En réchauffant au micro-ondes son potage bœuf-légumes pour le déjeuner, elle regretta de n’avoir pas collé deux ou trois têtes dans le fluoroscope, histoire de voir.
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   Cet après-midi, j’ai réussi à persuader maman de venir se baigner dans le Grand Lac Salé, ce qui ne nous était plus arrivé depuis bien des années. Nous avons fait la planche, portées par l’eau fraîche, les yeux rivés sur le ciel. (…)
   Nous nous sommes laissé flotter pendant des heures. Immergées dans l’eau salée et le ciel, nous nous sentions diluées, dissoutes, apaisées.
   Nous sommes rentrées, les cheveux parsemés de cristaux de sel et le nombril rempli de sable pour nous rappeler que nous n’avions pas rêvé.

Michael Christie (La reine des bocaux et des boîtes)
& Terry Tempest Williams (Refuge)

jeudi 3 octobre 2019

Vivaces #13

On mesure l'amour qu'on porte à une ville au nombre de clins d’œil qu'elle vous décoche.

(Emmanuel Guibert)
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Mais les villes sont égoïstes
et arrachent tout dans leur course
comme bois mort, elles brisent les bêtes
et consument de nombreux peuples.

Et leurs hommes, esclaves des sciences,
perdent équilibre et mesure,
nommant progrès leur traînée de limace ;
la lenteur cède à la vitesse ;
ils ont des sentiments et des fards de catins,
s'enivrent du fracas du métal et du verre.

(Rainer Maria Rilke, in Le livre de la pauvreté et de la mort)
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Les fenêtres de l'hospice reflètent le soleil couchant avec autant d'éclat que celles de la demeure du riche.

(Henry David Thoreau, in Walden ou La vie dans les bois)

mardi 1 octobre 2019

Attentives #5

Quand vous allez là-bas, il y a un panneau qui vous accueille à l’entrée. C’est un panneau spécial, monsieur. Je n’ai jamais vu un panneau comme ça ailleurs. C’est un panneau que vous voyez dès que vous arrivez en bas de la petite colline, au bout de la route de Douala, après le Mile Quatre. Il est au-dessus de votre tête, personne ne peut le rater. Et on lit là, en grosses lettres, entre deux poteaux rouges en métal plantés des deux côtés de la route : « Bienvenue à Limbé, ville de l’amitié ». Quand vous voyez ce panneau, monsieur, ah ! Vous pouvez être n’importe qui, venir à Limbé pour une nuit ou pour dix ans, être gros ou petit, vous êtes heureux d’être arrivé là. Vous sentez le souffle de l’océan qui parcourt des kilomètres pour venir vous saluer. Ce souffle est si doux. Et là, vraiment, vous avez l’impression que cette ville près de l’océan que l’on appelle Limbé est unique au monde. (…) Ensuite, une fois que vous avez dépassé le panneau de bienvenue, monsieur, quand vous arrivez au Mile Deux, vous voyez les lumières de la ville qui brillent la nuit sur l’océan. Ces lumières ne sont ni trop vives ni trop nombreuses. Elles sont juste comme il faut pour vous faire dire que vous avez sous les yeux une ville de magie, une ville de l’OPEP, avec sur une de ses rives la raffinerie nationale, et sur son autre rive des pêcheurs avec leurs filets. Ensuite, quand vous arrivez au Mile Un, là, monsieur, vous commencez à ressentir Limbé… C’est quelque chose, monsieur.
 
Imbolo Mbue (Voici venir les rêveurs)

dimanche 29 septembre 2019

Hybrides #17

Nous avons fait l’amour. Comme ce mot a l’air banal – trivial, usé, tout trait distinctif quasiment effacé par l’usage – mais comment décrire une telle action en acte ? Cette création ? Cette union magique ? Je pourrais dire que nous sommes devenus deux silhouettes prises dans une danse hypnotique sous le talisman chaloupé de la lune, d’abord lente, si lente… deux plumes appariées flottant dans la substance claire d’un ciel liquide… puis qui accélèrent, de plus en plus, pour finalement n’être plus que photons de lumière pure. (…)
Ou bien je pourrais dresser la liste des impressions, des images encore brillantes, illuminées à jamais par la cambrure blanche de ces premières caresses, le premier regard après qu’ayant écarté la chemise de laine, j’ai vu qu’elle ne portait pas de soutien-gorge ; la timidité de ses hanches se soulevant imperceptiblement lorsque j’ai fait glisser la rude toile de jean  (…).
Mais il me semble que la meilleure façon pour moi de communiquer la beauté de ces moments consiste à répéter, tout simplement, que nous avons fait l’amour. Et consommé ainsi tout un mois de regards furtifs, de sourires prudents, de frôlements accidentels de nos corps, trop flagrants ou trop secrets pour n’être que des accidents, et toutes les autres petites vignettes incomplètes du désir… et peut-être par-dessus tout, consommé la connaissance partagée de ce désir, et de ce désir retrouvé, et du progrès irrépressible de ce désir… dans une déflagration interne parfaitement silencieuse tandis que tout mon corps tendu explosait à l’intérieur du sien comme un fluide électrique.
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Après une certaine dose d'affection, tout le monde aspire à un peu de répit pour penser à l'amour à tête reposée.

Ken Kesey (Et quelque fois j'ai comme une grande idée)
& Jim Harrison (Nord-Michigan)