12 juillet
vendredi 12 janvier 2024
mardi 9 janvier 2024
Rhizomiques #168
Ils t’ont baguée, du coup…
- Oui… Ça me brûle aux phalanges, j’ai de l’eczéma. Mais je fais avec. J’ai le droit de l’éteindre cinq minutes toutes les deux heures. Pause-pipi.
- Tu es en surveillance intégrale : voix, vidéo, localisation…
- Évidemment. Je suis comme tout le monde en fait, ni plus ni moins. C’est marrant, j’avais toujours refusé d’en avoir mais c’est fou ce que la bague te facilite la vie. J’accède à tous les magasins maintenant, tous les services standard. Je prends le tram sans guetter les botcops. (…) Tout était laborieux avant, il fallait redécliner son identité pour chaque service, chaque zone. Là c’est fluide, je me sens presque intégrée, reconnue par les systèmes. Finalement ça me soulage…
- Oui… Ça me brûle aux phalanges, j’ai de l’eczéma. Mais je fais avec. J’ai le droit de l’éteindre cinq minutes toutes les deux heures. Pause-pipi.
- Tu es en surveillance intégrale : voix, vidéo, localisation…
- Évidemment. Je suis comme tout le monde en fait, ni plus ni moins. C’est marrant, j’avais toujours refusé d’en avoir mais c’est fou ce que la bague te facilite la vie. J’accède à tous les magasins maintenant, tous les services standard. Je prends le tram sans guetter les botcops. (…) Tout était laborieux avant, il fallait redécliner son identité pour chaque service, chaque zone. Là c’est fluide, je me sens presque intégrée, reconnue par les systèmes. Finalement ça me soulage…
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L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels.
Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels.
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Les pays en voie de
développement avaient été premiers à être gagnés par la frénésie de la
Perle. Digit-All avait été malin. Au lieu d’appeler ces gadgets
électroniques puces, l’entreprise les avait commercialisés sous le nom
de perles, qui avait une connotation lisse, ronde et tellement "culturelle".
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La société dit que nous devons communiquer uniquement de façons traditionnelles. Nous devons nous conformer à ce qu’on attend de nous ou nous serons ostracisés, voire pire. Avoir nos propres idées pour répondre aux institutions qui nous formatent est pratiquement impossible. Le seul fait d’y penser épuise les gens. Que ferions-nous si nous n’étions pas distraits par des mots ordonnés pour former une structure qui nous oblige à nous comporter comme les structures l’entendent ? Sans une telle tyrannie et une telle obéissance au langage, verrions-nous plus clairement les véritables rouages de la machine qu’il y a à l’extérieur et à l’intérieur ? Tout autour de nous et dans chaque atome. Nous sommes conditionnés comme le chien de Pavlov – à réagir à une réserve illimitée de faux systèmes essentiellement creux qui reposent sur la gratification.
Alain Damasio (in Les furtifs)
& Günther Anders (en 1956 in L’Obsolescence de l’homme)
& Namwali Serpell (in Mustiks)
& Günther Anders (en 1956 in L’Obsolescence de l’homme)
& Namwali Serpell (in Mustiks)
& Jenni Fagan (in La fille du Diable)
jeudi 4 janvier 2024
Rhizomiques #167
« Est-ce que c’est
ça, la normalité ? demandai-je, un canapé dans un salon avec au fond un
escalier et à côté, un fauteuil et un père dans ce fauteuil et une mère dans
la cuisine et des adolescents qui n’arrêtent pas d’entrer et de sortir en
trombe en réclamant des sandwiches et en se disputant mais toutes les
demi-heures, en décomptant les publicités, tout le monde s’embrasse ?
- Oui, dit-il. C’est
cela la vie des gens normaux. »
(…)
Zap. Ce qui est normal,
ce sont des gens irréels, des gens irréels et riches, la plupart du temps, qui
couchent avec des rappeurs, des joueurs de basket et qui considèrent leur
famille comme une marque du monde réel comme Pepsi, Drano ou Ford. Zap. Chaînes
d’information. Ce qui est normal, ce sont les armes à feu et l’Amérique normale
qui veut vraiment retrouver sa grandeur. Mais il y a un autre type de normalité
si la couleur de votre peau n’est pas la bonne et encore un autre selon que
vous êtes éduqué ou que vous considérez l’éducation comme un lavage de cerveau
et il y a une Amérique qui croit à la nécessité de vacciner les enfants et une
autre qui pense que c’est une arnaque et tout ce qu’une personne normale pense
n’est qu’un mensonge pour une autre personne normale et on les retrouve toutes
à la télé selon la chaîne qu’on regarde, alors en effet, il y a de quoi s’y
perdre. Zap zap. (…) La majesté des montagnes violettes. Un homme qui a, sur le
mur de son salon, une toile où on le voit représenté en compagnie de Jésus. Des
cadavres d’écolier. Des ouragans. De la Beauté. Des mensonges. Zap, zap, zap.
« Le normal ne me
paraît pas très normal, lui dis-je.
- C’est normal de
penser cela », répond-il.
Voilà tout ce que j’obtiens
en matière de sagesse paternelle.
(…) Des millions de
chaînes de télévision et rien qui les unisse. Des ordures, ici, et de belles
choses, là aussi, le tout coexistant au même niveau de réalité, dégageant le
même air d’autorité. Comment un jeune homme peut-il les différencier ?
Comment faire le tri ? Chaque émission sur chaque chaîne dit la même
chose : d’après une histoire vraie. Mais cela non plus ce n’est pas vrai.
La vérité, c’est qu’il n’y a plus d’histoires vraies. Il n’existe plus de vérité sur laquelle tout le monde peut
s’accorder. Je sens une migraine qui vient. Boum ! La voilà.
Waouh.
Quelle drôle d’époque
pour débarquer.
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En tout lieu, je cherche l’issue.
Dans l’espace confiné, je cherche une sortie.
Dans l’espace sans bornes, je cherche une entrée :
c’est la porte ouvrant sur l’espace confiné.
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L’appartement est vaste
et bien situé, avec une belle vue sur le vieil hôpital dédié à la variole sur
Roosevelt Island qu’ils se préparent aujourd’hui à convertir en un de ces
nouveaux camps de réfugiés. Par temps clair, on voit l’île sur toute sa
longueur, et quand il fait soleil, la rivière, normalement brune et boueuse, se
met à briller et en serait presque belle. Hier nous avons aperçu une vedette de
la police remonter lentement vers le nord. Il semble que les gens se suicident
en sautant du pont et qu’ensuite leurs corps flottent vers l’aval ; la
police doit alors aller les repêcher. J’aime les moments où il y a des nuages
et où le ciel devient gris acier – hier, il y a eu un orage et nous avons
regardé les éclairs qui zébraient l’eau.
Salman Rushdie (in
Quichotte)
& Éric Chevillard
(in La chambre à brouillard)
& Hanya Yanagihara (in Vers le paradis)
lundi 1 janvier 2024
mercredi 27 décembre 2023
A contre-saison #13
(D.R.)
"Le ciel se gorgeait de silence violet."
Jerzy Andrzejewski (in Les portes du paradis)
jeudi 21 décembre 2023
Rhizomiques #166
Nous, les humains, avons été définis de multiples façons. Homo sapiens en est une, mais que nous nous appelions ainsi nous-mêmes prête plutôt à rire dans la mesure où il s’agit d’une définition frisant la prétention : nous n’arrivons même pas à reconnaître que la seule chose que nous savons est que nous ne savons rien.
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La terre abrite une créature, se donnant le nom de grand singe, qui a entrepris de décrypter l’univers, d’expliquer tout ce qui existe, son monde, son monde social, son monde physique, la chute des empires comme celle des pommes. (…) Ne lui paraît-il pas troublant que les explications du monde qu’elle découvre lui soient intelligibles ? N’a-t-elle pas réfléchi au fait que, si elle trouve une réponse, c’est uniquement à cause d’une question qu’elle est capable de poser ? Avant d’améliorer ses connaissances, elle a dit que l’homme se distinguait du reste de la création parce qu’il avait un langage, se distinguait parce qu’il était doué de raison, se distinguait parce qu’il était doué d’une conscience, se distinguait parce qu’il concevait d’autres esprits, se distinguait à tous égards, semblait-il. L’orgueil démesuré de cet animal persiste aujourd’hui dans son idée que la vérité sous-jacente à tout ce qu’il perçoit, depuis le cosmos lointain et éternel jusqu’au banal proche et éphémère, productions humaines incluses, que cette vérité constante dont il croit qu’elle pourrait exister ne dépassera pas sa capacité de compréhension.
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Nous avons l’illusion de raisonner par nous-mêmes alors que nous récitons bien souvent ce que pense notre groupe, ses préjugés. Nous tenons ces croyances pour des vérités, des évidences, c’est ce que Françoise Héritier appelait notre adhérence aveugle au monde. Nous nous voyons comme des êtres de raison parce qu’avec le langage nous donnons une apparence sensée à nos émotions, nous les rationalisons, comme l’a montré Ernest Jones, un ami de Freud.
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Serions-nous du ça ? Du quelque chose agissant, ou plutôt agi par des forces que masqueraient les moirures de notre intelligence ?
- Vous voulez dire, l’interrompit Zef Zimmerstein, que notre intelligence…
- … serait comme ce voile sensible de la musique du sublime Beethoven que jouait un orchestre de musiciens squelettiques pendant que le bourreau, l’homme véritable et parfaitement « humain », exécutait sans trembler…
- Si je vous comprends, dit Zef Zimmerstein d’une voix un peu essoufflée par l’émotion, si je vous comprends bien…
- Oui ! vous m’avez bien compris, l’interrompit le jeune anatomiste. Je vous pose la question : de quel côté situer ce que l’on nomme : l’humain ? Beethoven ou bourreau ? Avouez que l’un peut aller avec l’autre.
- Vous voulez dire, l’interrompit Zef Zimmerstein, que notre intelligence…
- … serait comme ce voile sensible de la musique du sublime Beethoven que jouait un orchestre de musiciens squelettiques pendant que le bourreau, l’homme véritable et parfaitement « humain », exécutait sans trembler…
- Si je vous comprends, dit Zef Zimmerstein d’une voix un peu essoufflée par l’émotion, si je vous comprends bien…
- Oui ! vous m’avez bien compris, l’interrompit le jeune anatomiste. Je vous pose la question : de quel côté situer ce que l’on nomme : l’humain ? Beethoven ou bourreau ? Avouez que l’un peut aller avec l’autre.
Enrique Vila-Matas (in Montevideo)
& Zia Haider Rahman (in À la lumière de ce que nous savons)
& Boris Cyrulnik (L’Obs du 21/01/21)
& Serge Rezvani (in La cité Potemkine)
& Zia Haider Rahman (in À la lumière de ce que nous savons)
& Boris Cyrulnik (L’Obs du 21/01/21)
& Serge Rezvani (in La cité Potemkine)
lundi 18 décembre 2023
A contre-saison #12
18 juin
"Le jour où elle comprit que le flot doré était de la lumière,
elle rit
tout fort de la pure joie de la découverte."
Nancy Kress (in L'une rêve, l'autre pas)
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