mardi 21 janvier 2025

En-deçà des explosions

1er juin
 
© Ian Grandjean
(Cie Libertivore)
 
On peut aussi se tenir en-deçà des explosions. Ou un pas de côté. Aller écouter le brame d’animaux fantomatiques, dans une nuit de théâtre, on se suspend à un andouiller élevé dans les cintres et l’on tourne sur soi-même. On est invertébré glissant une frustration d’amour humain jusqu’à ramper sur le sol. On bondit au contraire pour s’accrocher aux troncs des arbres et se hisser plus haut que la voûte céleste (et l’on redescendra la tête en bas, discrètement). Voilà ce qu’on fait, du moins ce qui se montre à mes yeux et à ceux de ma compagne du jour, pour notre part nous nous contentons de regarder bien assis dans nos fauteuils. Et d’applaudir à la fin, ni enfants ni trop adultes. Il se pourrait que nous apparaissions comme un drôle de couple que nous ne sommes pas, la dernière fois que nous nous sommes tenus à côté l’un de l’autre remonte à quatre mois. Ou en face l’un de l’autre, comme dans ce café dont nous ferons la fermeture, où nous commandons des boissons mal assorties.

jeudi 16 janvier 2025

"Spontanément je ne suis pas sûr"

31 mai

    Les courriels c’est beaucoup de perception, de mots, de phrases, de pensées. J’ai le temps. Une amie qui a moins le temps, à qui je n’ai pas adressé récemment de courriel, m’envoie un texto avec une « pensée pour toi » exclamative. Je suis déstabilisé, entre Lune et Soleil, quel jour est-il, qu’est-ce qui se passe ? Que me vaut ? lui demandé-je en retour, et elle, dans une glorieuse concision, sans plus besoin d’exclamation, sans même d’émoticône, me renseigne : « l’amitié ».
    Un drôle de garçon discute sur un banc avec une drôle de fille, ils ont une vingtaine d’années, mon oreille traîne et j’entends le garçon dire à la fille : « Je ne sais pas… Spontanément je ne suis pas sûr d’être d’accord avec toi ». Spontanément je l’aurais mal pris, je me serais agacée. (Sans trop y réfléchir, je me verrais bien en fille vite agacée.) Il faudrait toujours applaudir en enfants, mon amie pense et danse intensément et sa joie est explosive.

mardi 14 janvier 2025

faire la grenouille

30 mai

    L’acupunctrice pique mes points sensibles. Je n’y comprends pas grand-chose, allongé sur sa table, sinon que je ferais mieux de me recaler sur les aspirations du Soleil et de la Lune. Paraît qu’il est déraisonnable de dormir à pas d’heure. Qu’ainsi on se dérègle, on a mal partout, on vieillit précocement et à la fin on meurt. Une perspective qui ne me plaît pas du tout, dans la salle d’attente  j’ai vu la photo d’un homme qui faisait la grenouille, tête en bas, suspendu à une corde à l’orée d’une caverne.
    Qu’y ont-elles compris, les chauves-souris, dormaient-elles en attendant la nuit ? Je sens que les aiguilles enfoncées dans ma peau dessinent comme un tracé cartographique superposé à mes nerfs plus ou moins sympathiques. De fait je m’apaise, à l’opposé d’un endormissement. Quand l’acupunctrice retire les aiguilles et que je me relève, la pièce est plus nette, je la découvre comme si je ne l'avais pas vraiment vue ; en nyctalope, comme si un accroissement perceptif m’avait été octroyé.

jeudi 9 janvier 2025

chasser la poussière

29 mai

    J’écris à des amies, c’est une chose que je fais, c’est ce qui se passe. Des courriels de rien, de peu ou de beaucoup. J’écris plus qu’on ne m’écrit mais c’est normal, c’est moi l’écrivain. C’est moi qui n’ai rien d’autre à faire, ou alors si, écrire pour moi. La distinction n’est pas si claire, lorsque j’écris à des amies c’est aussi pour moi que je le fais, et lorsque j’écris des textes qui ne sont pas courriels c’est souvent avec en tête la pensée de mes amies.
    Mieux vaut ça que d’avoir la tête auréolée d’un abat-jour boule. Je ne suis pas un saint. Mais je suis gentil. On me l’a dit par le passé, je n’appréciais pas, ça me rendait méchant. Méchant ça ne m’allait pas non plus, on me le reprochait – Je croyais que tu étais gentil. Les malentendus s’en donnent à cœur joie quand on ne sait pas trop qui on est. C’est ce pourquoi on écrit, afin de dissiper. De clarifier. De chasser la poussière avant qu’elle ne s’encroûte.
    Écrire c’est complexe, parfois il me semble que clarifier passe par l’ajout d’une strate supplémentaire de filtres entre soi et le réel. Aux autres, il semble alors que je ne leur écris pas vraiment, que je suis en conversation avec moi-même. Loin de moi pourtant cette intention. Je suis gentil et j’apprécie à présent qu’on m’en fasse crédit, comme d’une qualité singulière. Cela pique la baudruche de mes prétentions moins sympathiques, moins dignes d’être écrites.



mercredi 8 janvier 2025

à quoi sert l'abat-jour boule ?

28 mai

    Que se passe-t-il ensuite ? Un dimanche chez soi, à reprendre ses marques, assez peu intéressantes en comparaison. L’abat-jour boule du plafonnier est tombé, dispersant un tourbillon de poussière.
    L’abat-jour boule n’est pas tombé sur moi, j’étais de côté, occupé à tuer un moustique. Cela pourrait constituer une scène intéressante, dans un film, bien qu’un peu stéréotypée, le type avec son journal qui frappe dans le vide.
    Qui détruit un élément du décor tandis que le moustique, plus vif, ricane. Il y a aussi des araignées chez moi, je me dis que cela compense. J’espère qu’elles attrapent des moustiques et non seulement de la poussière.
    Leurs toiles, les miennes. L’abat-jour boule est tombé sur mon lit. Je ne m’éclaire jamais avec le plafonnier. L’abat-jour a pour fonction de cacher l’ampoule qui ne sert à rien. J’écris à une amie aux antipodes.