jeudi 10 avril 2025

à l'abri de quoi ?

1er juillet

    Ils sont revenus pour la première, avec leurs parents et avec d’autres gens, ça commence à faire beaucoup, les agents de sécurité agrandissent l’espace du public en déplaçant peu à peu les barrières qui mettent à l’abri… de quoi ? Depuis quand, des agents de sécurité si présents pour un spectacle de rue, d’accès gratuit ? Depuis sans doute une dizaine d’années, c’était pire alors, c’étaient des militaires agrippés à leurs fusils-mitrailleurs lors des festivals d’été.
    J’arrive au dernier moment, la chorégraphe n’a plus besoin de moi. La veille elle m’a offert un ballotin de chocolat, comme à toute l’équipe. Je viens du spectacle précédent, le solo d’un ami marseillais, présenté dans un jardin. J’ai pleuré, c’était bon. Une deuxième fois j’ouvre mon sac au regard d’un employé racisé. Cela semble admis, dans l’ordre des choses, ne poser problème à personne. À la fin du spectacle, les spectateurs sont invités à rejoindre la danse, même les timides.
    Je me suis rendu dans la ville en vélo, je n’habite pas loin. Cela redescend pour rentrer chez moi, à l’exception d’un raidillon que je peux aborder avec de l’élan. Je pense à Lorelei dont je dis souvent pour plaisanter qu’elle écrit en danseuse. Elle n’était pas là aujourd’hui. Les meilleures plaisanteries gagnent à n’être pas trop répétées. L’une des danseuses était curieuse de savoir ce que j’écrivais hors de mon petit carnet. Je lui enverrai un mail. On sera passé à autre chose.

mardi 8 avril 2025

Celles qui mènent la danse

30 juin

Aujourd’hui l’on transpire, c’est la générale du spectacle et cela se déroule en plein air, sur la place du marché. Il y a une clause du contrat qui spécifie que les représentations seront annulées si la température dépasse les 34°C. On n’en est pas encore là. On ne va pas annuler la générale. Et on ne va pas annuler la première, au pire on décalerait l’espace scénique plus près des murs où l’ombre s’étend à mesure que midi s’éloigne. Bien que, plus près des murs, cela sente le poisson. La danseuse dont le copain a perdu l’odorat improvise une entrée en scène où elle se plaint – « Fait trop chaud, pas envie… » C’est drôle, ça fonctionne bien, on valide. Au début de la pièce, les deux danseuses ont reçu comme indication de la chorégraphe d’évoluer avec des jambes en spaghettis trop cuits. Elles pèsent de tout leur poids entre les bras des hommes. En réalité, ce sont elles qui mènent la danse, de toute la puissance invisible de leurs corps gainés. Les gens jettent un regard en passant, c’est une fin de vendredi dans une ville de banlieue. On nous informe que le lendemain, la seconde représentation prévue à 20h30 est annulée sur décision de la préfecture. Des fois qu’une horde de vandales viendrait danser sa propre révolte. Pour l’heure, nous avons un public d’enfants dont les mamans papotent en terrasse au sortir de la maternelle. Ils rigolent beaucoup, sagement assis par terre, sans empiéter sur l’espace où ça danse.

vendredi 4 avril 2025

Un parfum de chair

29 juin

 
    Ils nous disent que les feux d’artifice sont des « mortiers ». Ils nous disent que les armes qu’eux-mêmes utilisent pour « rétablir l’ordre » sont « non létales ». Ils parlent de « peines exemplaires » et de « justice » dans la même phrase. Ils évoquent la « présomption d’innocence » pour une exécution à bout portant.
    Et les braves Français d’abonder la cagnotte ouverte par un sympathisant nazi pour soutenir le courageux policier. Et d’autres Français moins fascistes, peut-être plus timorés, voire sidérés par la révolte qu’ils sentent menacer leurs prés carrés, jugent raisonnable de ne pas prendre parti contre leur classe moyenne.
    Je ne parle que de cela avec cette amie comédienne que je retrouve dans un café avant son départ pour Avignon. Son spectacle traite du refus de rester aux places qu’on nous assigne. On n’est pas des statues. Et le soir, même seul, même dans la pose de l’endormissement, je hume un parfum de chair.

mercredi 2 avril 2025

Quelque chose de plus âcre

28 juin

    Parmi les animaux chantés par Murat ne figure pas la coccinelle.  La mort de Jean-Louis Murat est un désastre pour la biodiversité. Nous manqueront ses mésanges, ses éperviers, ses lièvres et ses musaraignes.
    Au soir je sens encore l’odeur des défuntes forêts canadiennes mais il s’y mêle quelque chose de plus âcre, de plus proche aussi, des pneus cramés ? On entend des feux d’artifice en pleine nuit.
    Le lendemain j’apprends qu’un adolescent a été tué par un policier. Très vraisemblablement il s’agit d’un meurtre raciste, un de plus, un de trop. Je l’aurais appris avec moins de délai que la mort du chanteur.
    La veille, une dame m’avait apostrophé en me montrant un piédestal sans statue – Elle a disparu. – Cela fait longtemps ? – Au moins deux ans. – Elle se cache peut-être au fond d’un atelier de rénovation.
    Vous parlez bien le français, m’avait félicité la dame, dont l’accent étranger était prononcé. Alors que je n’ai pas le type arabe ni la peau noire. La police ne me menace pas dès que je sors de chez moi.

lundi 31 mars 2025

Potion magique

27 juin

    Dans l’air flottent des molécules d’arbres canadiens partis en fumée. Depuis plusieurs semaines cela brûle, on parle de "méga-feux" d’une façon un peu puérile, comme s’il s’agissait d’animations pour un jeu vidéo. Je ne regarde pas les images, c’est mon côté Idéfix, trop sensible, sauf qu’une goulée de potion magique et hop, le petit Gaulois pouvait replanter un arbre abattu par les Romains. Pas de potion pour débrûler un arbre, et encore moins des forêts entières. Ces images qui font frissonner sous la canicule ne sont pas des effets spéciaux générés par ordinateur. Et cette légère odeur dans l’air d’Île-de-France, c’est bien un avant-goût de fin du monde.
    Je consacre dix minutes à observer une coccinelle la tête en bas. Moi-même me contorsionne. La tête en haut quand elle a fait le tour d’une feuille, et je me repère à la luminosité du ciel ainsi qu’un noyé ou un alpiniste enseveli sous l’avalanche. Je repars sans que me soient poussées des ailes. Plus tard je m’arrêterai de nouveau, devant une vasque remplie de lentilles d’eau. J’aurais une pensée pour Bashung immergé sur la pochette de Fantaisie militaire, non pas noyé mais néanmoins mort depuis, et une pensée pour Bowie, sépulcral sur les images de ses derniers clips, et une pensée pour Jean-Louis Murat qui est mort récemment sans que je l’aie su.

jeudi 27 mars 2025

Voudrions-nous d'un éternel été ?

26 juin


    Il me semble que j’avais écrit quelque chose, quelque part, qui méritait que je le relise. Mais quoi, mais où ?
    Mais qui pour s’en soucier ? Moi, certes. Quoique… J’employais l’expression « avoir quelque chose sur le feu ».
    Cela me fait rire, ah ah, car je m’adressais à une potière. Elle me répondait que le temps passe plus vite qu’on ne voudrait.
    Ou non, elle constatait seulement que le temps passe vite. Ce que nous voudrions qu’il fasse n’est pas si clair.
    Voudrions-nous d’un éternel été ? La température est redescendue. J’écris à la chorégraphe jusque tard dans la nuit.
    Demain j’aurai envie d’autre chose, ailleurs. D’un bain de nature. Ce qu’il reste de nature par ici. J’eusse voulu désinventer le feu.

lundi 24 mars 2025

Trop zinzins

25 juin

    C’est un jour à hydrater les vieilles personnes recluses en maison de retraite, la température monte à 34°. C’est un dimanche de repos et de fleurs fanées, je ferme les volets et transpire sous mon toit en buvant beaucoup d’eau.
    Mon ordinateur qui n’aime pas l’eau proteste : il n’aime pas non plus les grosses chaleurs. Parfois il émet le bruit d’un avion sur le point de décoller. Je ne branche pas le ventilateur qui fait plus de bruit encore que mon ordinateur.
    Une amie vivant en forêt m’écrit qu’elle observe les petites bêtes de son jardin, qu’elle découvre des espèces jamais répertoriées jusqu’à présent dans sa région. Probablement – c’est une hypothèse scientifique – parce que tout le monde s’en fout.
    Il me semble que les moustiques de ma chambre ont muté. Ils ne ressemblent pas du tout à des tigres, beaucoup trop lents. Ou trop zinzins (les plus rapides). Mais peut-être est-ce moi ? Quand je les écrase, la plupart du temps je ne trouve pas de sang sur mes mains.