lundi 31 mars 2025

Potion magique

27 juin

    Dans l’air flottent des molécules d’arbres canadiens partis en fumée. Depuis plusieurs semaines cela brûle, on parle de "méga-feux" d’une façon un peu puérile, comme s’il s’agissait d’animations pour un jeu vidéo. Je ne regarde pas les images, c’est mon côté Idéfix, trop sensible, sauf qu’une goulée de potion magique et hop, le petit Gaulois pouvait replanter un arbre abattu par les Romains. Pas de potion pour débrûler un arbre, et encore moins des forêts entières. Ces images qui font frissonner sous la canicule ne sont pas des effets spéciaux générés par ordinateur. Et cette légère odeur dans l’air d’Île-de-France, c’est bien un avant-goût de fin du monde.
    Je consacre dix minutes à observer une coccinelle la tête en bas. Moi-même me contorsionne. La tête en haut quand elle a fait le tour d’une feuille, et je me repère à la luminosité du ciel ainsi qu’un noyé ou un alpiniste enseveli sous l’avalanche. Je repars sans que me soient poussées des ailes. Plus tard je m’arrêterai de nouveau, devant une vasque remplie de lentilles d’eau. J’aurais une pensée pour Bashung immergé sur la pochette de Fantaisie militaire, non pas noyé mais néanmoins mort depuis, et une pensée pour Bowie, sépulcral sur les images de ses derniers clips, et une pensée pour Jean-Louis Murat qui est mort récemment sans que je l’aie su.

jeudi 27 mars 2025

Voudrions-nous d'un éternel été ?

26 juin


    Il me semble que j’avais écrit quelque chose, quelque part, qui méritait que je le relise. Mais quoi, mais où ?
    Mais qui pour s’en soucier ? Moi, certes. Quoique… J’employais l’expression « avoir quelque chose sur le feu ».
    Cela me fait rire, ah ah, car je m’adressais à une potière. Elle me répondait que le temps passe plus vite qu’on ne voudrait.
    Ou non, elle constatait seulement que le temps passe vite. Ce que nous voudrions qu’il fasse n’est pas si clair.
    Voudrions-nous d’un éternel été ? La température est redescendue. J’écris à la chorégraphe jusque tard dans la nuit.
    Demain j’aurai envie d’autre chose, ailleurs. D’un bain de nature. Ce qu’il reste de nature par ici. J’eusse voulu désinventer le feu.

lundi 24 mars 2025

Trop zinzins

25 juin

    C’est un jour à hydrater les vieilles personnes recluses en maison de retraite, la température monte à 34°. C’est un dimanche de repos et de fleurs fanées, je ferme les volets et transpire sous mon toit en buvant beaucoup d’eau.
    Mon ordinateur qui n’aime pas l’eau proteste : il n’aime pas non plus les grosses chaleurs. Parfois il émet le bruit d’un avion sur le point de décoller. Je ne branche pas le ventilateur qui fait plus de bruit encore que mon ordinateur.
    Une amie vivant en forêt m’écrit qu’elle observe les petites bêtes de son jardin, qu’elle découvre des espèces jamais répertoriées jusqu’à présent dans sa région. Probablement – c’est une hypothèse scientifique – parce que tout le monde s’en fout.
    Il me semble que les moustiques de ma chambre ont muté. Ils ne ressemblent pas du tout à des tigres, beaucoup trop lents. Ou trop zinzins (les plus rapides). Mais peut-être est-ce moi ? Quand je les écrase, la plupart du temps je ne trouve pas de sang sur mes mains.

jeudi 20 mars 2025

Il faut dire merci

24 juin

    Et au réveil chiffon, je m’empresse d’attraper un nouveau train, de banlieue cette fois. Le soleil est déjà haut, sur le quai les écrans qui affichent les destinations sont peu lisibles – je lève une tête de myope vers les reflets. Venez par ici, me dit un homme assis, de ce côté c’est plus facile. Je lui souris, le remercie. Je suis analphabète, poursuit-il, mais je me débrouille bien avec les chiffres. Ah d’accord, j’opine, je continue à sourire et à regarder l’écran qui confirme ce que je sais déjà ; histoire de faire plaisir à ce monsieur plus jeune que moi et très sérieux. Et un peu inquiétant, il me regarde fixement, J’ai été gentil avec vous, vous pourriez le signalez… Mais oui, je vous remercie ! Il faut remarquer quand on est gentil avec vous, il faut dire merci… Mais oui, merci ! J’accentue encore un sourire devenu franchement douteux, tandis que je m’éloigne vers l’autre bout du quai.
    Plus tard je prends le volant d’un SUV hybride, en route vers une fête de la ville où le spectacle d’une amie comédienne est programmé. Elle n’a pas le permis mais un smartphone, grâce auquel elle me guide depuis le siège passager. Tout le matériel est dans la voiture. Tout le spectacle est dans sa mémoire, c’est la 140ème représentation. La boîte de transmission du SUV est automatique, j’oublie de positionner le levier sur « Parking ». Les automatismes de jeu sont inévitables mais l’amie est enceinte et teste des variations. Une spectatrice se frite avec une photographe, l’alimentation électrique tombe en rade. J’ai suffisamment serré le frein à main. Après le spectacle, des gens embarrassés dressent une table de pique-nique. Tiens Mamie ! Un gros homme et sa femme offrent deux roses embaumées dans leur linceul de cellophane. Mamie dit merci sans mourir.

mercredi 19 mars 2025

L'ombre du géant

23 juin

Qu’il est étrange de retrouver le chat du voisin à sa fenêtre, et le silence, et la réduction des mouvements. Deux jours une nuit suffisent à dépayser. Je rouvre les dossiers suspendus, j’abaisse les stores contre le soleil trop chaud, je rattrape du sommeil en retard. Un géant aveugle titube tel un Godzilla sédaté au milieu de la ville, à ma recherche, il est si grand que le fuir n’est pas chose facile ; c’est l’ombre qu’il projette sans le savoir (sans la voir) qui est annihilante, plus rapidement mortelle que ses énormes pieds, et il ne sert à rien de tenter de se cacher sous une autre ombre. Je cours, j’évite les ruines, j’espère juste qu’il n’a pas la bonne intuition de la direction par où me suivre. L’une des danseuses trouvait un avantage à la perte d’odorat de son copain, il lui semblait que ses aisselles diffusaient une odeur de fer. Je n’ai presque pas porté mon masque cette fois, comme si la nature de l'amour éprouvé envers mes compagnons de résidence constituait en soi une protection. Courir à l’air libre au milieu de ruines m’apparaît moins angoissant que dans les couloirs du métro, il m’est arrivé aussi de me réveiller nain – et en danger d’être tué ; me prenant pour un chat, je cherchais à m’échapper par la façade d’un immeuble d’une autre ville, moins dévastée. Est-ce la Covid qui passe par là ? L’ombre du géant ne signifiait pas tant la mort que la disparition, ailleurs, dans une autre dimension. À quoi suis-je aveugle ? Suis-je dangereux ? Le chat a des yeux incroyablement verts. Il se penche mais jamais ne tombera.

lundi 17 mars 2025

De l'entrain inépuisable

22 juin

    Le lendemain est déjà l’amorce d’un souvenir puisque le soir je repartirai pour Paris. Il pleut, le filage prévu à l’extérieur est compromis, la chorégraphe a noirci trois pages de notes sur son carnet durant la nuit. Les danseurs sont d’un entrain inépuisable. J'éprouve d'autant plus l’amorce d’une mélancolie que ces moments, dans l’instantanéité du vif, appellent à constituer souvenir. Tous engagés au meilleur de ce que nous pouvons être, afin que la pièce créée – cet objectif mineur au regard des catastrophes planétaires en cours mais revendiquant une foi placée en l’art – soit belle et inspirante.
    Comment si ce n'est par foi ferions-nous cela ? L’entrain des danseurs n'est pas réellement inépuisable ; la vue de l'esprit outrepasse la raison des corps qui voudraient n'être jamais rassasiés pour s'élever plus haut, se lover plus ample, gommer l'effort et la douleur. Un pied saigne, désinfecté à l’alcool, le petit cri de douleur se teinte de joie (du moins je me l’imagine, bien confortable dans mes chaussettes). Il est l’heure que je m’en aille, on se revoit à la générale ? Le portail rechigne à s’ouvrir au bip électronique, si je rate mon train je devrai rester un jour de plus. Je ne dirais pas non ? Le portail s’ouvre.

jeudi 13 mars 2025

De la beauté au sein du désastre

21 juin

    Dans le square près de la gare, toujours des hommes dorment, à ce qu’il semble. Cette fois il est près de midi – mais j’ignore ce qu’il s’y passe la nuit. S’il est fermé. Si les gardiens débonnaires le jour sont remplacés la nuit par des maîtres-chiens plus soucieux d’embarquer les indésirables. Deux femmes tirent un caddie et expliquent à l’homme qui les attendait qu’elles n’ont pas pu rapporter de glaçons. Sous le soleil ardent je visualise de petits icebergs que la grille métallique du caddie ne permettait plus de retenir, comme une allégorie des solutions dérisoires que l’humanité oppose au réchauffement climatique.
    Dans le train la climatisation souffle une brise au niveau de mes chevilles, j’ajuste mon masque et retrouve Lorelei. Nous ne sommes pas vus depuis plus d’un an, elle me reconnaît cependant, le paysage défile vite. Voici de nouveau ce coin de campagne où regarder danser, sauf que cette fois nous sommes deux, nous sommes trois avec la chorégraphe, sept avec les danseurs. Six cents migrants sont morts noyés en Méditerranée ces trois dernières semaines. Les exilés du square sont toujours aussi mal accueillis en France.
    Ce sont les tout derniers jours de la résidence de création, il y a encore beaucoup à rectifier, modifier, affiner. Besoin de mots pour danser, des mots de travail, d’autres de complicité. Le travail pour chacun d’entre nous est une faim, est une soif. En fin de journée il est trop tôt pour arrêter, d’autant que c’est solstice. Et fête de la musique. Le coin de campagne est un désert mais les danseurs empruntent la voiture, loin d'être rassasiés. Lorelei et moi parlons d’écriture dans la cuisine. L’eau de la tisane fleure les pesticides. La beauté au sein du désastre fera de bons souvenirs.