mercredi 15 août 2018

15 août


Un, autant se faire le devenir de la carotte. Et la carotte sera notre devenir, une fois retournés en terre. Sérieusement, pouvons-nous envisager la carotte, de tous les sens qui lui manquent, avec respect, et remercier pour notre imminent appariement ? Tout est déjà écrit : nous serons la perpétuation de la carotte de même que la carotte nous survivra.
Deux, quand les arbres se déracinent, les pierres connaissent elles aussi des velléités de départ. Mais comme des enfants (ou des parents) elles s’agrippent, et l’on n’est guère plus avancé. Asphyxiées par une coulée de boue, les truites ne sont plus là pour espérer un prochain orage qui leur épargnerait l’hameçon. Ces destins nous dépassent.
Avec tout ça, Binh-Dû en oublierait de célébrer le paysage. Plutôt il marche sur le bas-côté de la route, s’il ne lève pas le pouce peut-être obtiendra-t-il un « passage ». Mais non, il foule aux pieds des mégots, jetés côté passager, et de la menthe à profusion (pousserait-elle ici par compensation ?). Se pourrait-il qu’il n’y ait qu’un fumeur ?
(Trois, c’est une énigme. La résolution impliquerait un homme ou une femme, revenant le soir de son travail ou s’y rendant le matin, conduit(e) par son époux ou son épouse si c’est le matin, son amant(e) insoupçonné(e) si c’est le soir – un(e) collègue qui habite un peu plus loin, rendant service. Et cette personne éventuellement adultère fumerait.)

mardi 14 août 2018

14 août


Un, les orteils des hêtres sont si longs qu’on croirait marcher sur une chevelure. Des princesses figées par un charme, il y en a tant et plus, qui continuent de pousser quoiqu’on ne saurait l’affirmer à l’œil nu. Leurs ongles, leurs cheveux, tout leur corps même qui s’allonge hors de proportion. Pardon pour le sacrilège, mais c’est caresse aussi, sur le bois dur. Au village les rangées sont plus sages, un gros homme va de platane en platane, imposant les mains, écoutant. S’imaginant entendre ? Au bout de l’allée enfin, il va se planter devant un présentoir de cartes postales où il compare méticuleusement un bovidé faisant valoir que la montagne est vachement belle (dans un long meuglement de « aaa ») et un mouton bêlant dans une bulle façon bande dessinée. Deux pour l’incongruité. Menant à trois, dis-moi ce que tu manges, je te dirai... Ça pourrait s’appeler le serment du pâté. Des décennies d’ingestion vaguement écœurée de ces organes étrangers, foie, gorge, poitrine, dont les protéines sont censées s’amalgamer aux nôtres. Eh bien ça suffit. Il y a des limites au voisinage génétique. Que les nuits à venir, pour l’éternité, ne mêlent plus aux odeurs faisandées des chaussettes celle de pets de porc.



lundi 13 août 2018

13 août


Et le septième jour Binh-Dû réapparut. Divinement régénéré. Un ange de gentillesse. Un parangon de zénitude. Vraiment ? La voix guillerette dans les enceintes du supermarché est intolérable, il se bouche les oreilles. Pas pratique pour attraper un paquet de biscuits – qu’a-t-il besoin de biscuits ? Il vole un fruit, il se trompe de rond-point – mais il n’écrase personne. Il ne sait plus quel pistolet prendre à la pompe, d’ailleurs il a oublié comment s’en servir, et puis la barrière refuse de s’ouvrir. Plus Binh-Dû que jamais, un étranger universel.
Le lendemain les cloches sonnent à la volée, allez, un, deux, trois ! Car un, se remet en mouvement le déploiement. Des montagnes, pas à pas. Le sentier longeant les crêtes invite à poursuivre encore et encore après le prochain versant, d’accord, on reviendra à la nuit. Deux (sans pour autant profiter de l’offre), une vitre qui s’abaisse, un sourire, « Vous voulez un passage ? » Il y a pléthore de passages, celui du jour s’accomplit à pied. Jusqu’à trois, lorsque tombée du ciel s’ajoutera une étoile filante, indiquant le chemin.