samedi 29 juin 2019

29 décembre


                Il cherche quelque chose dans le regard, il ne le trouve pas. Combien de ses concitoyens sont-ils éteints ? Quelle proportion ? En quelle proportion sont-ils éteints pour que rien ne se voie d’allumé dans leur regard ? Pas même un souvenir de flamme…
                L’âme est aspirée par l’écran des smartphones, ce qui reste au-dehors n’est plus que carcasse dépourvue de conscience. Ou l’on joue avec un chien dans le parc, l’on bêtifie dans la nostalgie des réactions joyeuses provoquées chez un être simple. Un enfant aussi bien.
                Lui-même cherche dans le miroir et trouve surtout que ses sourcils épaississent. Il n’y voit pas très clair, ciseaux à la main, c’est d’appréhension qu’il cligne. Sont-ce les cils, le problème ? Reprenant une plus juste distance il détecte un subtil affaissement de paupière.
                Lui-même, en quelle proportion s’est-il éteint ? L’oiseau couvant son œuf, déjà pressent l’horreur d’un manque. C’est ainsi qu’on tue son enfance, pour garder l’illusion qu’elle se survit et qu’elle ne nous quittera pas. L’enfance muséale étouffe pourtant dans son tombeau.

vendredi 28 juin 2019

28 décembre


                Il irait retrouver la perfection incarnée, jusqu’à l’esquisse de larmes d’émotion. Elle semble si tendre, et si déterminée, si attentionnée et si intelligente, si prompte à s’enflammer et si brûlante déjà. Si calme. Si compréhensive. Si stimulante. Si ma main sur ta joue en une lente caresse, si ta respiration précipitée dans mon cou. Si… Mais est-elle bien réelle ?
                Il se heurterait à Némésis, la juste colère. Oh, ils seraient des alliés dont le contact produirait des étincelles, ensemble ils renverseraient les tables des banquets où se gobergent les crapules, et ils tiendraient en respect les loups attirés par l’aubaine. Et puis ils s’en iraient, dansant d’un pas léger leurs différences.
                Il se rapprocherait d’un loup semblable à nul autre, non plus à un chien. Le chien serait une vieille histoire, celle de l’homme qui ne se croyait pas digne du loup, jadis. Et le loup le mènerait à l’une des plus spirituelles femmes du monde réel, et c’est lui, l’homme anciennement chien, qui pleurerait de bonheur incrédule. Vas-tu te décider à croire ? demandera-t-elle.

jeudi 27 juin 2019

27 décembre


                Si le seul survivant ne peut plus compter sur l’arrimage de la pesanteur.
                Si le seul survivant a été réduit aux dimensions d’une sauterelle sans ailes.
                Si le seul survivant ouvre les volets, puis la fenêtre, et laisse entrer une lumière apocalyptique ainsi qu’une volée de mouches.
                Si le seul survivant regarde en bas de la rue ce qui s’y passe et ce qui ne s’y passe plus.
                Si le seul survivant a pour interlocutrice une amie perdue de vue.
                Si le seul survivant accapare tout le désir de reste et peu importe que ce soit ou ne soit toujours pas suffisant.
                Si le seul survivant prend soin de cacher ses cheveux sous un bonnet.
                Si le seul survivant espère tantôt avoir moins chaud tantôt avoir moins froid.
                Si le seul survivant craint de lasser la survenue des rêves, et dès la première nuit craint l’infidélité.
                Alors…
                Le seul survivant ferait mieux.
                De changer de monde.

mercredi 26 juin 2019

26 décembre


À défaut de voir les cailloux elle marche d’un bon pas, sans trébucher, son souffle la devance mais elle le rattrape à chaque pas. Elle se souvient d’un temps qu’elle n’a peut-être pas connu dans sa petite enfance, où l’hiver pinçait non moins et c’était presque aussi joyeux qu’une chatouille. Elle était presque aussi grande que sa taille actuelle, qui décline peu à peu. Mais bon pied bon œil, l’air de qui n’a jamais vraiment quitté le temps des enthousiasmes simples, voici qu’elle coupe l’élan de Binh-Dû pour lui demander, au jugé, quelle est la distance entre la grille d’entrée, tout là-bas, et la grille de sortie. Elle se répète, toute la boucle, depuis la grille d’entrée, là-bas, et jusqu’à la grille de sortie. Mais qu’est-ce qu’il en sait ? Deux kilomètres ? hasarde-t-il, et aussitôt il comprend qu’il a donné une mauvaise réponse. « J’aurais dit plus », réplique la gamine aux cheveux blancs en reprenant sa marche. Trois kilomètres peut-être ? tente-t-il de la rattraper, mais elle ne se retourne pas. Il consulte à son poignet le podomètre qui lui fut offert à Noël et qu’il étrennait justement aujourd’hui, par un de ces hasards bizarres dont elle aurait adoré qu’il le partage avec elle. Il n’y comprend rien, ce nombre à virgule est-il celui de ses pas, des mètres parcourus, des calories brûlées ? Il pense à la gloire des mathématiques qui dessinent des hallucinations aussi parfaites que la corolle d’une fleur, à l’invraisemblable dévouement dont fait preuve un oiseau pour sa progéniture, au peu de confiance en soi que manifeste l’acte d’écrire. De retour chez lui, muni du mode d’emploi, il se prépare à se sentir fier de la performance accomplie par ses jambes vigoureuses, voyons voir : 135 kilocalories, m’ouais (un cookie chocolat-noisettes et demi)… 4460 pas, si vous le dites… 3,56 kilomètres ?! Mais ça ne va pas la tête, c’est au moins le double ! Dans sa maison, peut-être la vieille dame sirote-t-elle un thé accompagné d’un ou deux biscuits, et peut-être pardonne-t-elle à Binh-Dû d’avoir mal compris le mérite qu’il y avait à accomplir le parcours qui mène de la grille d’entrée à la grille de sortie et retour à la grille d’entrée par l’autre côté, « une boucle, quoi ! » aurait-elle dû insister.

mardi 25 juin 2019

25 décembre


Si tu vois le caillou c’est que tu as ouvert les yeux. Et cela t’étonne, comme de s’apercevoir qu’on n’est pas vraiment en train de léviter à quelques centimètres du sol, ou qu’on ne pleure pas de vraies larmes qui coulent. Cela te déçoit comme de se retrouver à la fin d’une saison alors qu’on s’en croyait au commencement, ou de se réveiller quand le soleil déjà décline. Non, tu ne rêves pas. Si tu dormais, c’était avant, et c’était si miraculeux. Aussi miraculeux que naturel, tu comprenais ce que par paresse on nomme l’instinct des animaux. Ce quelque chose qui agit, qui sait quoi faire d’un corps habité, dans l’oisiveté aussi bien que dans la nécessité, qui sait naître et faire naître. La mathématique divine et sa composante d’âme. Ces cailloux, tu n’avais plus besoin de tes yeux pour les voir, ni même de tes mains. Ni de tes pieds ni d’aucune part de toi hors ta conscience. La conscience était encore tienne, mais libérée du doute. Tu évoluais comme dans un rêve, et soudain tu as constaté que tes yeux étaient ouverts, rien d’extraordinaire à ce que tu voies – quelle déception ! Aucun mérite… Nul prodige. Par ultime reliquat d’espoir tu as de nouveau fermé les yeux, mais il n’y avait plus qu’une obscurité maladroite en perspective. Alors tu es passé à autre chose. Au réveil, peut-être, tu te souviendrais.