Si tu vois le caillou c’est que tu as ouvert les yeux. Et
cela t’étonne, comme de s’apercevoir qu’on n’est pas vraiment en train de
léviter à quelques centimètres du sol, ou qu’on ne pleure pas de vraies larmes
qui coulent. Cela te déçoit comme de se retrouver à la fin d’une saison alors
qu’on s’en croyait au commencement, ou de se réveiller quand le soleil déjà
décline. Non, tu ne rêves pas. Si tu dormais, c’était avant, et c’était si
miraculeux. Aussi miraculeux que naturel, tu comprenais ce que par paresse on
nomme l’instinct des animaux. Ce quelque
chose qui agit, qui sait quoi faire d’un corps habité, dans l’oisiveté
aussi bien que dans la nécessité, qui sait naître et faire naître. La
mathématique divine et sa composante d’âme. Ces cailloux, tu n’avais plus
besoin de tes yeux pour les voir, ni même de tes mains. Ni de tes pieds ni
d’aucune part de toi hors ta conscience. La conscience était encore tienne,
mais libérée du doute. Tu évoluais comme dans un rêve, et soudain tu as
constaté que tes yeux étaient ouverts, rien d’extraordinaire à ce que tu voies
– quelle déception ! Aucun mérite… Nul prodige. Par ultime reliquat
d’espoir tu as de nouveau fermé les yeux, mais il n’y avait plus qu’une
obscurité maladroite en perspective. Alors tu es passé à autre chose. Au
réveil, peut-être, tu te souviendrais.