mardi 17 septembre 2019

Hybrides #14

      Des générations et des générations de chevêches des terriers ont grandi ici. Je me tournai vers mon amie, lui expliquant que quatre bébés chouettes avaient survécu à l’inondation.
        Nous étions impatientes de les voir. (…)
       Le nid avait disparu. Rasé. A la place, à une quinzaine de mètres, s’élevait un bâtiment en parpaings portant un panneau : LA BERNACHE DU CANADA – CLUB DE CHASSE.
      Nous sortîmes de la voiture pour aller à pied jusqu’à l’endroit où le monticule s’était toujours trouvé, aussi loin que je puisse m’en souvenir. Disparu. Pas la moindre pelote de régurgitation.
        Un pick-up bleu s’arrêta près de nous. (...)
       - On les a pas tuées. Les types du service d’entretien des routes sont venus et ils ont gravillonné l’endroit. C’était pas du luxe. Je veux dire, faut bien admettre que ces chouettes sont des petites emmerdeuses plutôt dégoûtantes. Elles arrêtent pas de chier partout si vous les laissez faire. Et puis, essayez un peu de dormir avec elles dans le coin, qui hurlent toute la nuit. Elles pouvaient pas rester là. (…)
       L’esprit rationnel est séparé de l’esprit violent par une cloison d’acier qui a pour nom la retenue. Je faisais l’expérience de la rage. J’avais le feu au ventre.
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J'ai vu comme vous des hommes mastiquer avec mesure en gardant l’œil pertinent, en feuilletant de la main gauche une revue économique. Est-ce ma faute si je préfère assister au repas des phoques ?

Terry Tempest Williams (in Refuge)
& Jean-Paul Sartre (in Érostrate)


mercredi 11 septembre 2019

11 septembre


           Peut-on être peut-être amoureux ?
           D’étape en étape être amoureux ? A-t-on été amoureux si l’on commence à douter de l’être ? Est-on amoureux s’il nous suffit de tomber, que devient l’amour quand on se relève ?
           À pleins poumons inhaler le parfum du foin aux mille fleurs. Et même les odeurs de bouse deviennent délicieuses, on se jetterait au cou des vaches. L’air frais du matin enivre non moins que l’altitude, criquets et sauterelles sont de la partie.
           Nous avons bien du mérite. Pour les générations précédentes, la société était injuste, c’était admis. Elle est censée à présent être égalitaire, d’où la gigantesque embrouille. Nous nous faisons emmerder, mais d’une force ! Ô combien de nuisances subissons-nous ! Comme nous sommes gentils ! Nous sommes gentils telles des vaches broutant sous les éoliennes.
           Tu aimerais bien être amoureux, cela rétrécirait ton regard. Tu te focaliserais sur un grain de peau. Tu y décèlerais l’absolu de l’âme, tu t’émerveillerais et serais rempli d’indulgence.
           Mais cherches-tu vraiment une réponse ?

mardi 10 septembre 2019

10 septembre


La journée des cinq « non » est une fuite interrompue entre deux parois rocheuses. Là coule une rivière qui par fortes pluies charrie des galets, d’une baignoire naturelle à l’autre. Par fortes chaleurs on traverse la route sans regarder à droite ni à gauche, nul besoin. Les pieds sont nus ou simplement chaussés de claquettes pour descendre jusqu’à la rive. « Tu viens te baigner avec moi ? » Dans la transparence, des alevins se déplacent à petites coups de nageoires, tout compte fait c’est oui. La sueur quitte les corps nus, un nuage obscurcit le soleil trop violent. « Tu restes dîner ? » Devant la fenêtre de la cuisine l’arbre à kiwis pousse ses branches  entre les figuiers et les treilles, l’ensemble forme tonnelle à la terrasse, et dans le four cuit un pain aux olives, fariné des premières châtaignes, tout compte fait c’est oui. « Tu voudras du raisin ? » Les figues déjà ont prodigué un content de sucre, et le melon, et la tomate russe, mais tout compte fait c’est oui. « Tu prendrais du beurre sur ton pain ? » Chaud sorti du four, embaumant la pièce, le pain se suffit à lui-même, mais s’il est chaud c’est pour faire fondre, tout compte fait c’est oui. « Tu restes dormir ? » Tout compte fait c’est non, il s’agit de reprendre la fuite, une fois au moins s’en tenir à ce que l’on annonce. Et sans regret quitter le paradis.

lundi 9 septembre 2019

9 septembre


           La terre s’élève du sol en tourbillons, comme un message discret murmuré par le sol arasé. Au loin les montagnes semblent bleues. Des humains les ont contemplées il y a longtemps, et la nuit ils s’efforçaient de percer le mystère des étoiles. Ils n’y parvenaient pas, ils ont dressé des pierres sur le plateau et le long des chemins qui y menaient. Aujourd’hui on les nomme menhirs, on y appose les mains. Le granit est parsemé de lichens colorés. Il n’y a guère d’autre bruit que celui de l’air que l’on respire, comme une transmission de poumons à poumons.
           Plus souvent tu es en colère. Tu ne vois rien tellement tu penses et tu ressasses. Tu y passes des heures et des heures, à travers les champs et les forêts. Un taon se pose sur ta jambe, tu dois le frapper à plusieurs reprises et il y revient encore, indécrottable. Y a-t-il mieux à faire ? Inconsciente de ta présence une biche traverse le chemin, ses sabots éparpillent des pignes de pin. Tu ne bouges plus. Plus tard, sur la route, la colère te reprend à la vue des éoliennes qui tranchent le ciel, le paysage, ton âme. C’est en luttant que mourut Don Quichotte.

mercredi 4 septembre 2019

4 septembre


La nuit est noire de la main à la bouche,
les fourmis ont un goût piquant.
Celles qui en réchappent finissent écrasées
sur ta peau que tu ne lèches pas.

Les pyrales s’élèvent et tourbillonnent autour
des réverbères, comme le sucre rose
s’agglutinant sur le bâtonnet d’une
barbe à papa.

Ces braves gens sont tellement terrifiés
par l’existence qu’ils sont prêts à parler
avec n’importe qui de la pluie
et du beau temps.

Mieux vaut être muet sous le soleil
que molosse dans sa niche,
asservi à la promesse du maître selon qui
vous êtes méchant.

Le lac est moins mobile qu’une baignoire,
et pourtant le flanc des falaises se creuse,
révélant une terre ocre comme chair.
Les mûres sont poussière.

Est-il venu d’Afrique, lui qui marche seul ?
Craint-il les éoliennes autant que toi ?
Es-tu seul, as-tu peur ?
Est-ce que tu disparais si tu fermes les yeux ?