jeudi 15 septembre 2022

Vivaces #37

Dans le nuage de poussière, mes mains cherchent vainement
le chemin tracé par mes pieds.
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 Comment arrêter une précipitation immobile ? 
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C’est une vie interminablement brève
qui dure parce qu’elle se précipite.
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 Nous nous entêtons à affirmer que le temps n’est rien
s’il ne s’y passe rien.
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N’est éternel que l’avenir.
La preuve ? Le temps n’y entre pas.
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Un jour nous réapprendrons à nous connecter à ce monde vivant,
et l’immobilité sera comme un envol.
 
Éric Chevilllard (in L’autofictif du 29/01/22)
& Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière (in Histoire et trauma: la folie des guerres)
& Éric Chevilllard (in L’autofictif du 29/01/22) 
& Gaston Bachelard (in L’intuition de l’instant)
& Éric Chevilllard (in L’autofictif du 29/01/22)
Richard Powers (in Sidérations)

mardi 13 septembre 2022

Rhizomiques #113

C’est un fait avéré que la Terre tourne à environ 1673 km par heure, mais parfois le monde s’arrête, tout simplement, pôles magnétiques ou pas. Et on arrête le monde rien qu’avec le poids de sa propre gravité dans ces moments de grande solitude. 
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Donc la superficie de la Terre est de 510 067 420 000 000 m². (…) Dans une marge de ton cahier, tu écris :

            il faut toujours que je tombe
            pile sur l’un des
            510 067 419 999 999 m²
            que tu n'occupes pas
            je vais finir par croire
            que tu te caches
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Il dit : J’ai l’impression d’être en avant et de me suivre quand on avance. Tu vois, comme si j’étais plus loin. Il y a peut-être une partie de nous qui marche en avant, une partie invisible. Elle marche devant nous. On la suit. Elle est 1 millimètre dans le futur. 1 millimètre plus tôt. Et on n’arrête pas de la suivre, tu ne crois pas ? Elle dit : Non.

Craig Johnson (in Dry bones)
& Fanny Chiarello (in Le sel de tes yeux)
& Laura Vazquez (in La semaine perpétuelle)

vendredi 9 septembre 2022

Attentives #28


Vers midi, un rancher passe dans son pick-up, s’arrête, propose de me prendre pour les dix derniers miles. (…) Ayant recouvré la position de repos sur les fesses qui est celle de chacun dans notre monde moderne, je m’abandonne voluptueusement aux délices de la civilisation que j’adore mépriser. Mes pieds sont encore plus heureux que moi. En l’espace de quelques minutes, ma marche de cent quinze miles dans les montagnes du désert devient une chose à part, une réalité disjointe au plus profond d’un abîme sans fond, soudain au-delà de tout rappel physique.

Mais elle est présente dans mon cœur et dans mon âme. La marche, les montagnes, le ciel, la souffrance et le bonheur solitaires – tout ça grandira, s’adoucira, deviendra plus beau et plus adorable dans les jours et les années à venir, comme un trésor trouvé puis volontairement rendu. Rendu aux montagnes, avec mes meilleurs vœux. Ça laisse une lueur dorée dans la tête.

Edward Abbey (in Un fou ordinaire)

lundi 5 septembre 2022

dernier aperçu d'altitude

Elle me montrait de petites fleurs bleues, un tapis de fleurs orange, lorsque retentit l’appel strident d’une marmotte. Seule fleur dont j’aie retenu le nom.

Toutes les mille fourmis, les mille mouches, les mille fleurs, j’en venais à considérer attentivement l’animal (l’une d’entre mille) : saisissant !

J’hésite entre un caillou vert pâle et un caillou doré ; se pose un papillon roux. A choisir, d’entre ces tentations minérales…

Quant aux moutons, ils viennent par paquet de mille, si bien qu’il est difficile de voir autre chose qu’un mouton, tout juste si l’on devine deux hommes et un chien comme ils sifflent et aboient parmi le tintement des clochettes. Je m’écarte du passage, m’en vais fouler plus loin une herbe moins rase. Mais c’est qu’on dirait qu’ils me suivent, vais-je être brouté moi aussi ? De toute la vitesse de mes deux brins de jambes je prends la fuite.

mardi 30 août 2022

Aperçus d'altitude - 9

La bêtise humaine n’a d’égale que mon arrogance, voilà encore une fois que je me perds. Je les aurais mis à bas, ces empilements de pierre trop fréquents, fallait-il être idiot et considérer les autres à son image pour baliser à ce point le chemin en dépit du bon sens, ou était-ce une mauvaise blague, il me semblait évident que le chemin ne pouvait pas se diriger vers ce flanc de montagne rocailleux. Une heure plus tard je m’extirpe à grand peine d’un bosquet de rhododendrons, griffé de partout, giflé par la végétation traversée à l’aveugle, tant je me suis obstiné à voir dans des sentes d’animaux le sentier fort mal indiqué qui aurait dû, croyais-je, contourner la paroi rocheuse. Et ainsi me retrouvé-je à mon point de faux-départ devant les empilements de pierre honnis…
Qui fort judicieusement, pour peu qu’on s’y fie, mènent à un passage discret entre les rochers, à partir duquel le sentier, surplombant confortablement les rhododendrons, invisible en contrebas, à mi-hauteur s’accroche à la montagne.
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A un moment on cesse les délicatesses, il n’est plus question d’une malheureuse piqûre d’ortie rencontrant une opportune griffure de ronce, mais de subir le fouet des unes et des autres. Sur coups de soleil. Et peau déshydratée. Et l’on est si fatigué, et l’on a si faim qu’on mangerait l’avocat avec sa peau, la sardine et son huile, tout juste recrachant le noyau. Alors on se sent bien. On a retrouvé le goût du confort, ce confort trop facile qui nous asservissait hier et qui, très relatif aujourd’hui, nous sera caresse, aux deux rives d’un accès de sauvagerie.

vendredi 26 août 2022

Aperçus d'altitude - 8

A qui raconterai-je mes exploits, homme descendant des hommes de l’Aéropostale, affirmant à l’instar d’Henri Guillaumet au pied de la cordillère des Andes qu’aucun animal n’aurait pu les accomplir ? J’aimerais assez me vanter, je décrirais ce torrent impétueux, les planches du pont emportées par le courant, mes efforts harassés pour en remonter le cours, cherchant un passage, jusqu’à atteindre une plaque de neige glacée formant pont sur la ravine, où je me hisse, étendu de tout mon long, glissant déjà, n’ayant que mes ongles, mes orteils ensemellés et mes genoux pour me retenir d’être précipité dix mètres plus bas sur les rochers, apprenant que l’on dérape moins à progresser en oblique plutôt que sur la voie la plus directe, parvenant enfin au bout de la traversée et me laissant tomber à bas du pont de glace sur la rive, tout le corps transi par sa longue reptation, la gorge asséchée, le cœur battant... Je raconterais avec humour comment je m’étais moqué un peu plus tôt de ce type qui portait un piolet attaché à une sangle de son sac, et du souvenir qui m’était revenu d’un reportage télévisé où l’on apprenait à d’aspirants bergers l’art et la manière d’interrompre une glissade sur un névé, souvenir si vague que j’avais oublié l’essentiel, à savoir se placer sur le dos ou sur le ventre ? Modestement je conclurais sur le meilleur choix que j’aurais pu prendre en descendant le long du torrent, comptant sur un amoindrissement de la déclivité et un apaisement du flot afin de traverser à gué, il n’y a pas de quoi être fier, vraiment, et je rirais, pis que fier, faraud.

Mais tout le monde s’en fout de mes histoires de randonnée, comme j’écouterais d’une oreille discrète le récit d’une rencontre amoureuse me laissant étranger, bon à repartir crapahuter dans les montagnes.